Tué dans un tragique accident de la route, le styliste préparait une nouvelle collection et une tournée mondiale.
Le styliste camerounais Zambo n’est plus. Il a trouvé la mort assez mystérieusement dans un accident de la route le 4 avril dernier. Au retour d’un non moins mystérieux voyage dans la cité balnéaire de Limbé, dans le Sud-ouest camerounais, en compagnie de parents, et d’un mystérieux prêtre exorciste porté disparu après avoir été le seul survivant de l’accident. L’Afrique perd en Zambo un créateur qui tenait à faire savoir au monde que le continent noir n’est pas seulement un réservoir de matières premières. On y trouve aussi des hommes et des femmes dont la matière grise et la sensibilité peuvent produire des merveilles à offrir au monde, en transformant ces matières premières.
De condition très modeste, Zambo était un orphelin qui avait peiné à remplir la page à moitié vide du cahier de la parenté. Il savait prendre sur lui les soufflets de l’adversité et faire face. Il accomplit une scolarité fort honorable, s’imprégnant des courants de pensée qui le mèneront vers la recherche de l’authenticité. Déjà, au Lycée Leclerc de Yaoundé, son goût immodéré pour des tenues vestimentaires hors normes avait fini par attirer l’attention sur lui. À ceux qui, confus, lui demandaient le pourquoi d’une telle extravagance, il répondait que nos références étaient pour le moins communes, et qu’il n’avait rien à faire avec le banal, le commun. Jusqu’à son uniforme scolaire, Jean Roger Zambo avait apporté sa touche personnelle. Pour ne point détonner à l’excès, il s’était « contenté » d’un col officier qui ne le mettait pas hors la loi. Décidément hors normes, son allure étudiée avait fait bourgeonner une gerbe de questions auxquelles il répondait par le surnom qu’il s’était choisi : « mannequin Shouratz ». Il se voulait mannequin, et pour ceux qui le prenaient un tant soit peu au sérieux, il annonçait, une lueur de défi dans l’oil vif, qu’il serait quelqu’un dans la mode, un jour. Il aimait la mode, les mannequins, les créateurs, la beauté. Il aimait Shade Adu et faisait volontiers un play-back de « Love is stronger than pride ».
Jean Roger Zambo savait bien qu’au Cameroun, il n’y avait pas de structure pouvant donner une forme respectable à ses rêves artistiques. Pourtant, il fera comme tous les jeunes bacheliers camerounais peu fortunés qui n’avaient pas les moyens d’aller tout de suite étudier ailleurs, il s’inscrira à l’université de Yaoundé, en philosophie.
Il est important de signaler qu’une bonne émulation l’avait poussé, dans la Terminale littéraire hispanisante que menait fort brillamment un certain Lucien Ayissi en philosophie au Lycée G. Leclerc de Yaoundé (1989), à saisir le pourquoi de l’étude de cette discipline si redoutée. Saisissant l’inanité d’un cheminement dont les prémisses l’avaient familiarisé avec l’essentiel, les principes de l’apprentissage de la sagesse, Zambo prendra congé de la fac après un premier cycle laborieux pour le sujet brillant mais désargenté qu’il était, s’orientant peu à peu vers la réalisation de son rêve, cherchant sa voie, celle de son authenticité et de son originalité. Les épreuves personnelles avaient pour effet de décupler sa force : la perte d’une mère chère, l’indifférence d’un père fantomatique.
Tout à sa quête, Zambo pousse son eurêka au contact de l’expérience nipponne de la création lors d’un voyage au pays du Soleil Levant, et par le truchement d’une avocate avertie de la ville de Douala, s’ouvre l’occasion de conquérir Paris, capitale de la mode.
Lors de notre première entrevue parisienne à la station de métro Charles de Gaulle, Zambo, habillé d’une de ses créations me coupe littéralement le souffle. Le mannequin Shouratz était donc la larve d’un papillon à venir. Après avoir évoqué les autres camarades du Lycée Général Leclerc, Zambo devance ma question et me dit fermement ce qu’il pense. Foin des considérations sur le racisme ambiant. Il faut apporter quelque chose de neuf ! La sour Calixthe Beyala l’a bien fait, en littérature. Il le ferait, lui, dans le stylisme et la mode. Il m’annonce au passage qu’il est désormais chaperonné par la maison Yves Saint Laurent, et qu’il veut aller le plus loin possible, grâce à Dieu.
Il m’enverra plus tard des invitations à ses défilés, m’appellera pour me donner l’adresse de son show room à Paris. J R Zambo voulait réussir. Il s’appliquait à cette réussite, voulant que sa Cameroonian touch soit un label de persévérance et de foi en l’homme, sujet créateur. Retiré au Cameroun pour créer, il avait rendez-vous avec la mort. Un accident de la route, à la fois banal dans ce pays-là, et si effroyable quand on pense au scénario d’une automobile percutant de plein fouet un camion stationné pour un contrôle de police. Artiste amoureux du beau et artisan d’un modélisme africain jouant dans la cour des grands, Zambo était un homme qui s’était vacciné contre la fascination de l’Occident, croyant en l’Africain qu’il était et qu’il voulait demeurer, poreux à tous les souffles. Il évoquait le chemin parcouru non sans fierté, car il savait que bien qu’ici et là des personnes inspirées et bien disposées lui aient fait la courte échelle, il avait un potentiel et une philosophie gagnants, le gage d’une réussite qui ne tenait qu’à lui.
Zambo n’était qu’un rapide crayonnage de succès africain dans le monde fermé de la mode parisienne. Une ébauche, une virtualité. Mais il était le premier couturier africain à avoir mis les deux pieds dans la cour des grands noms parisiens de la mode. Et il n’avait pas de fortune. En mai 2002, des étudiants de l’EAP admiraient ce styliste africain qui méritait tant et plus de reconnaissance, écologiste sans idéologie.
Le Z de Zambo aura-t-il été celui du renard, du Zorro africain ? Au créateur d’une marque orpheline, une griffe à peine tirée de sa chrysalide, il faut décerner des hommages largement mérités. Il faut saluer l’artiste et l’artisan qui s’était refusé à devenir un zéro comme les sociétés africaines en produisent, voulant tant et tellement la place du héros, le premier à arriver aux cimes de la mode à Paris. Fauchée trop tôt, l’étoile filante Zambo laisse une lueur qui mérite d’être entretenue. Adieu l’esthète !
le site de Zambo : http://www.zambofashion.com////Article N° : 2882