» Mon amour, je te raconte l’histoire d’un massacre. Je te raconte l’histoire d’une purification « . Les dernières phrases de Rêves sous le linceul de Raharimanana sonnent comme un début. On arrivera là, après seulement une centaine de pages et pourtant essouflé. Ceux qui ont déjà lu Lucarne (Le Serpent à Plumes, 1995), le premier recueil de ce jeune auteur malgache, auront été prévenus, les autres le seront dès les premières lignes : » Un canapé qui flotte dans la brume. Dedans, m’enfonçant, je sombre en douceur. 6 heures. On est bien ici. Une tête coupée à la machette. En différé. Dommage « . À travers les textes concentrés de violence et de poésie, le lecteur suivra les réflexions de ce témoin réfugié dans son canapé et se perdra dans ses délires pour finalement rester, comme lui, impuissant devant ce qui défile sur l’écran de télévision.
Appelés nouvelles sur la page de titre, ces textes courts composent un ensemble vaguement relié par des thèmes récurrents, les images de guerre, de mort, de dérive. Et, de temps en temps, des images d’amour, même si c’est un amour désespéré, comme celui de cette femme qui s’éprend du corps du Haïtien qu’elle retrouve sur la plage un matin. Moins variés que les nouvelles de son premier recueil, ces textes n’en sont pas plus faciles à digérer. (Rêves sous le linceul, de Raharimanana, Ed. Le Serpent à Plumes, 1998, 140 p., 89 F)
Une langue moins violente, un rythme plus calme, mais toujours l’enfer dans le dernier roman de Michèle Rakotoson. Tiana part à la recherche de sa femme Bodo, décédée, et se retrouve dans les décombres de son passé, de ceux d’un peuple. Un enfer qui n’est pas loin de certaines images du Tiers-Monde : » Les décharges couvraient des centaines d’hectares, formant une colline entière d’immondices sur lesquelles grouillaient des silhouettes informes, comme des tiques sur une peau de chien. C’étaient des hommes, des femmes et des enfants, couverts de plaques et de pustules, des hommes et des femmes qui avaient quasiment la couleur des ordures, des hommes et des femmes hâvés, décharnés, le dos voûté, la tête obstinément penchée vers la terre
» Pourtant, le ton a changé des premiers écrits de Rakotoson, comme Le Bain des reliques (Karthala, 1988) qui finissait sur la mort du héros. Ici, on emprunte le chemin contraire : Tiana finira par retrouver Bodo, fera son deuil et acceptera de retourner à la vie. Comme on en a l’habitude dans les écrits de Rakotoson, le roman est sillonné de pans de textes en malgache : bouts de refrain et comptines que Grand-Mère, figure quasi-mythique, avait coutume de chanter. (Henoÿ ! Fragments en écorce, de Michèle Rakotoson, Ed. Luce Wilquin, 1998, 120 p.)
Madagascar semble rester une source sans fond pour ces deux auteurs résidant en France depuis longtemps. Cependant, là où, après un détour par la France dans Elle, au printemps (Sépia, 1996), Rakotoson revient de nouveau vers l’île, Raharimanana élargira son point de vue à Rwanda et dépendances
, comme l’indique la page de dédicace. Malgré les bribes d’espoir que Rakotoson nous livre à la fin de son ouvrage, Madagascar reste l’île de la misère. Certains, comme Tiana, se réfugieront dans les souvenirs, qui parviendront à réconforter. Chez Raharimanana, ils feront juste mal : » Hier encore, sur ces terres, hier encore
Je n’arrive pas à te le dire. Hier encore sonne déchirant et nous blesse dans nos souvenirs. «
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