L’enjeu de l’intégration régionale pour les industries culturelles africaines

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La possibilité pour chaque peuple d’exprimer sa vision du monde à travers ses expressions culturelles et d’avoir accès à celles des autres constitue un bien public primordial à préserver et à développer. Pour les pays d’Afrique, les industries culturelles constituent un puissant vecteur de diffusion de valeurs et d’imaginaire ainsi que de production de connaissances. Quelle est leur place sur leur propre marché et au plan international ? Quelles sont les conditions de leur développement ?

S’il existe dans les pays tels que l’Afrique du sud, le Burkina Faso, le Cameroun, le Gabon, le Mali, le Maroc et le Sénégal une capacité de production de biens culturels dans les filières de la musique, de l’édition et de l’image (TV – vidéo – cinéma) et des objets du quotidien (textile et mode, design et artisanat), les marchés culturels africains sont, en général, des marchés dominés par les produits des pays gros fournisseurs de biens culturels. Leurs propres productions représentent de 1 à 5 % de la consommation culturelle locale. Handicapés par l’importance des investissements financiers que requièrent les industries culturelles, et freinés par le manque de maîtrise des réseaux de distribution, les productions culturelles africaines peinent à avoir une présence significative dans leur propre pays et sur les marchés internationaux.
Pourtant, le dynamisme actuel du commerce international de biens culturels constitue pour ces pays une opportunité à saisir pour bénéficier des retombées positives de la mondialisation. L’Afrique du sud, le Cameroun, la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Maroc et le Sénégal ont connu récemment des gains de compétitivité en matière de musique et d’écrit sur le marché international. Dans le domaine de la musique, ils peuvent tirer parti de leur position croissante dans ce secteur qui est en déclin en exploitant certains marchés spécifiques des musiques du monde, des instruments de percussion où la demande est croissante. Ils y détiennent un avantage relatif lié à leur originalité et au coût de production tout comme pour le marché des objets du quotidien. L’opportunité économique qu’offre le marché international est, malgré tout, marginale pour les pays africains. La hausse de leur contribution à l’offre mondiale s’explique par la faiblesse du niveau de départ. En outre, la structure de leur offre culturelle indique que le commerce international n’est pas une priorité. Ses retombées sont marginales et en même temps les productions locales sont dominées sur leurs propres marchés. Malgré cela, une offre locale existe et correspond aux besoins culturels des populations. Elle mérite d’être accompagnée par des stratégies d’intégration et des espaces économiques qui offrent des opportunités commerciales. En conséquence, la priorité première est de s’organiser pour mieux les diffuser sur les marchés nationaux et sous régionaux.
Pourquoi l’intégration régionale ?
Le déséquilibre entre le potentiel des pays grands fournisseurs de produits culturels et celui des pays africains implique pour ces derniers de se donner les moyens de soutenir le développement et la distribution de leur production. Ils ont aussi pour responsabilité de veiller à ce que l’activité des entreprises culturelles s’effectue dans des conditions économiques viables pour leur permettre d’affronter une forte compétition sur leurs marchés et à l’international. Le développement des industries culturelles africaines pourrait s’articuler sur les filières de l’audiovisuel (musique, image, spectacle vivant), des objets du quotidien et de l’écrit nécessaires au développement du capital humain et à l’expression des identités. Elles présentent l’avantage de disposer d’une forte demande liée à une forte attente des publics et ont une forte capacité d’intégration. Et, seul un espace économique comme l’espace régional est propice à la consolidation et au développement de leur capacité à satisfaire la demande.
Plusieurs facteurs indiquent la priorité à accorder à l’intégration régionale dans la stratégie d’appui aux industries culturelles. Il s’agit en premier lieu, de l’étroitesse des marchés nationaux, du sous-équipement technique et de l’insuffisance de l’infrastructure de base. La faiblesse du pouvoir d’achat est également prise en compte ainsi que la perte d’importance des frontières nationales, sous l’effet de l’internationalisation des échanges et des mutations des processus de distribution numérique qui ignorent ces frontières.
En deuxième lieu, prises filière par filière, les industries culturelles africaines ne disposent pas d’une production suffisante. Elles peuvent difficilement répondre aux contraintes de compétitivité qu’impose le marché international. De plus, leurs marchés nationaux étroits ne peuvent soutenir une production locale diversifiée. En troisième lieu, l’importance des investissements à réaliser en matière d’infrastructures techniques, de formation professionnelle et de soutien financier dépasse les capacités de chaque pays. En quatrième lieu, la plupart de ces industries culturelles sont déjà orientées vers les marchés intérieurs et leurs produits parviennent rarement à se placer sur les marchés internationaux. La dépendance de certains contenus par rapport à certains types de réseaux de distribution et de diffusion met en difficulté les industries nationales en situation de concurrence internationale.
Par conséquent, orienter entièrement la production culturelle africaine en vue de l’exportation sur les marchés internationaux ne semble pas prioritaire. En dépit d’atouts avérés dans des domaines comme la musique, les politiques publiques à engager ne peuvent pas viser exclusivement la conquête de marchés extérieurs ouverts. En revanche, la coopération intra et inter – régionale est un objectif stratégique prioritaire à prendre en considération, en procédant par étapes allant du sous régional au régional puis à l’inter-régional.
Pour autant, cela n’exclut pas la possibilité de combiner une stratégie intra- africaine orientée vers les marchés régionaux, et une autre tournée vers les marchés internationaux.
Priorités et conditions de réussite
Si la coopération régionale est un enjeu primordial, sa réalisation implique de disposer d’une stratégie fondée sur un schéma de regroupement des pays et tenant compte de la faiblesse des moyens face à l’ampleur des besoins. Une répartition des activités et des infrastructures techniques doit, à la fois, tenir compte des spécificités structurelles de chaque filière et de son niveau de croissance mais aussi de la nécessité de veiller à un développement réparti sur les différentes zones de l’espace considéré. Grâce aux économies d’échelle qui en résulteront, la baisse des coûts améliorera la compétitivité de l’offre. La coopération régionale permettra aux pays de se doter d’infrastructures communes pour augmenter la production, mieux diffuser les biens produits pour satisfaire les besoins culturels des peuples. Elle leur donnera la capacité de mener des chantiers communs comme la formation professionnelle, l’amélioration et l’harmonisation de l’environnement institutionnel et juridique. En s’appuyant sur des organisations professionnelles structurées, sur une base régionale et non pas seulement nationale, la coopération régionale permettrait aux acteurs culturels d’acquérir une plus grande capacité de négociation.
Cependant, la réussite de cette stratégie dépendra de la capacité des pays à remplir les conditions suivantes : adopter des comportements favorisant la mutualisation des moyens, se doter d’un cadre stratégique, d’enjeux et de priorités bien définies, adopter des programmes ciblés avec des calendriers réalistes.
Pour l’heure, deux priorités doivent être traitées. Il s’agit d’abord d’élaborer des plans d’action sous-régionaux par filières stratégiques et par thèmes. Cela suppose de poursuivre des programmes d’études économiques et statistiques permettant de mieux connaître les réalités économiques de l’activité culturelle. Il s’agit ensuite d’élaborer et de mettre en œuvre dans des cadres sous-régionaux un plan d’équipement en infrastructures techniques. En somme, par leur dimension identitaire et économique, les biens culturels expriment la vitalité créatrice des peuples. Ils contribuent à la conscience démocratique ainsi qu’à la cohésion sociale et à la création d’emplois et de revenus. C’est pourquoi ces industries constituent un enjeu essentiel pour l’identité des peuples africains et leur développement économique.
Ce chantier est donc important et complexe. Il implique la mise à niveau et la structuration des entreprises culturelles. Il nécessite d’aménager l’espace dont elles ont besoin pour prospérer et rester compétitives. C’est un impératif pour éviter aux peuples africains d’être condamnés à consommer exclusivement les images, les musiques et les écrits des autres.

///Article N° : 5814

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