Les artistes africains à Montréal : vivants mais encore invisibles !

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Dans une société qui sort à peine d’une crise économique majeure et dont la culture demeure l’indéniable parent pauvre, comment les artistes d’origine africaine ou créole peuvent-ils obtenir, grâce à toutes leurs différences, mieux qu’une simple reconnaissance ? Comment, dans une ville où seul l’emploi d’une langue relève du combat quotidien, des créateurs aux codes méconnus peuvent-ils s’affirmer ? Bien éloignée de celle de la ville Lumière, la réalité québécoise charrie son lot de freins endémiques au développement des cultures d’immigrants.

Il y a quelques années, les Québécois découvraient Petro Guelfucci, le Corse, sur les ondes de la radio d’Etat. À peine quelques mesures plus tard, Cesaria Evora lui volait la vedette et plaçait son Cap Vert natal en haut des palmarès juste avant que Youssou N’Dour et Neney Sherry raflent, en anglais dans le texte, la ferveur éphémère mais populaire. Il n’en fallait pas plus pour qu’on parle de vague afrophile. L’Afrique était à nos portes et les magasins d’artisanat se multipliaient.
La musique est indéniablement la discipline artistique la plus consommée au Québec. À elle seule, elle traduit certaines des réalités exclusives à ce coin d’Amérique, particularités à partir desquelles on peut évaluer la réalité des artistes d’origine africaine et créole en général. Ainsi, tandis que les festivals majeurs de la métropole programment enfin leurs spectacles sur les prestigieuses scènes estivales du centre-ville, les radios commerciales persistent à bouder le genre sous des prétextes faussement mercantiles. Le public, qui raffole pourtant d’exotisme gratuit, ne pose aucun geste qui génère l’achat de produits culturels du Sud.
Du coup, à une époque où les organismes qui soutiennent ces arts et cultures commencent enfin à recevoir des subsides officiels, les artisans de ces mêmes cultures survivent grâce à des petits boulots qui, s’ils n’affectent pas leur créativité, n’en demeurent pas moins des sapeurs potentiels de moral.
Présence récente
À part quelques privilégiés qui abandonnent leur douillette doudoune hivernale pour s’affaler sur les plages des Caraïbes, les cultures du Sud, si elles sont devenues familières, n’en sont pas plus établies. Même si Montréal, ville aux reflets cosmopolites, compte parmi les siens de plus en plus de citoyens issus des communautés haïtiennes et latino-américaines, ce flux migratoire a moins de trente ans. Dans l’absolu, cette présence multiethnique n’est pas encore légitimée. Et pour les Africains, la distance joue un frein majeur. D’ailleurs la plupart préfèrent la proximité parisienne malgré son climat social difficile. Quant aux autres, c’est l’Amérique économique plus que culturelle qui demeure souvent le pôle d’attraction.
Face à ces récents mouvements migratoires, dans un pays où aucune colonie n’entache l’histoire, les arts africains et créoles s’établissent en paradoxe. D’un côté, des créateurs qui veulent enrichir leur terre d’adoption des fruits de leur imagination, de l’autre, des hôtes reconnus pour leur chaleur humaine qui transpirent toutefois l’individualisme érigé en culte dans cette partie du monde. Le résultat est limpide : le public est curieux mais refuse d’être dérangé dans ses habitudes de consommation culturelle, les producteurs sont craintifs et ne prennent aucun risque, quant aux média, ils suivent le train plus qu’ils ne le précèdent, et ne parlent des pays du Sud qu’en cas de guerre, de disette, d’élections ou de visite protocolaire.
Une crise qui traîne
En période de crise économique, tout le monde est logé à la même enseigne. De plus, avec toutes les qualités dont elle dispose – tranquillité citadine et qualité de vie y brillent fièrement -, Montréal n’est pas ce qu’on peut appeler un phare culturel francophone en terre yankee. La ville aussi survit, économiquement surtout. Pas étonnant dès lors qu’elle se protège contre toute forme de différence. Et puis personne n’a jamais dit que le métier d’artiste était facile. Alors ils triment, toutes nationalités d’origine confondues !
C’est là l’un des bâts blessants : les artistes, a fortiori ceux issus des communautés africaines ou caraïbéennes, doivent se débrouiller tout seuls. C’était écrit en filigrane dans le bas du contrat ! Il a fallu que le gouvernement adopte des politiques générales en matière d’intégration de ses immigrants pour que les ministères concernés s’intéressent enfin à la culture de ces mêmes immigrants. C’était il y a six ans. Il a fallu que des individus, des institutions privées se battent pendant des années, pour que l’élite affiche une certaine compassion à l’endroit des cultures ethniques locales.
Lente émergence
Difficile dans ces conditions de voir émerger du bassin des artisans qui exprimeraient, épanouis, leur dualité culturelle. Les musiciens, dont la discipline est pourtant plus facile d’accès, doivent devenir homme orchestre pour parvenir à se faire connaître. Les peintres s’escriment à flatter les galeries qui, un jour, peut-être, leur ouvriront les portes. Les comédiens se rabattent sur les métiers des communications s’ils veulent payer leur loyer. Et pourtant, malgré ces constats amers, les diffuseurs de spectacles aux distributions multiethniques se multiplient, des airs de wolof s’entendent sur les ondes de Radio Canada, Louise Forestier, interprète culte, se fait porte parole du plus vieux festival de musique africaine.
Les clichés éculés s’étiolent. Si les Africains ne sont plus les seuls à jouer du tambour, ils doivent pouvoir maintenant intervenir aux différentes étapes administratives et stratégiques qui servent leur pairs, strates jusqu’alors réservés aux seuls Québécois de souche. Les artistes venus du Sud entendent jouer avec les règles du jeu du Nord… et se démarquer. Petit à petit, ils acquièrent la crédibilité qui leur était jusqu’à ce jour refusée. Au même moment, les spectateurs ne sont plus simplement avides d’exotisme, ils ne se formalisent plus des seules différences. Ils recherchent une tonalité, un esprit qui leur ressemble, dans lesquels ils se retrouvent. Étrangement, les plus lents à suivre cette tendance sont les représentants du merveilleux monde des communications qui, submergés qu’ils sont des produits hollywoodiens au sens large, ne prennent pas le temps de sentir le vent tourner.
Quelque soit l’évolution des cultures québécoises de souche ou d’adoption, il est clair que leur métissage devient essentiel aussi pour la survie d’une francophonie mythique qui, si nous y travaillons, pourrait devenir autre que diplomatique. Dans ce cadre, le Québec en général (et Montréal en particulier) se place en alternative harmonieuse pour pallier une France honteuse de son passé et à un Oncle Sam générateur de culture populaire prémâchée.

///Article N° : 700

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