Les Matitis : une utopie gabonaise venue de la Rochelle

Entretien de Sylvie Chalaye avec Patrick Collet

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Voilà plus de quinze ans que Patrick Collet est entré dans le brouillard, mais s’il a perdu la vue, il n’a pas perdu sa passion du théâtre, son enthousiasme et sa fougue. Il est un de ces hommes que rien n’arrête. Et il n’en est pas à un défi prêt. Homme des rêves qui se concrétisent envers et contre tout, il s’est lancé dans un vaste projet qu’il a baptisé « Les utopies africaines », tout un programme ! Le continent africain l’attirait, les lourdeurs de la création théâtrale en France l’ennuyaient, et comme il ne fait rien à moitié, c’est un triptyque avec trois pays et trois compagnies différentes qu’il a entrepris de porter à bout de bras. Trois textes singuliers : un document sur les bidonvilles de Libreville avec Les Matitis créé en 1997 à La Rochelle et qui a été présenté dans le cadre d’Afrique en créations à Lille en novembre 2000 ; le témoignage d’un émigré qui fait le chemin du retour avec Les Nouraanes d’après un récit du poète sénégalais Charles Carrère ; mais également Les Paléos, une adaptation du roman de Kourouma En attendant le vote des bêtes sauvages, qu’il a créé à Grand Bassam avec Ymako Teatri pour le Festival des Arts de la Rue 1999 et repris récemment au Théâtre International de Langue Française dans le cadre des Griots de l’an 2000. S.C.

Comment sont nées « les utopies africaines ?
J’avais depuis quelques années l’impression que j’étouffais dans le cadre de mon travail en France et mes relations avec le théâtre tel que j’étais contraint de le pratiquer se sclérosaient. J’avais besoin de me retrouver loin du pays où je vivais pour rencontrer d’autres personnes, et d’abord des êtres humains avant même de rencontrer des artistes, des individus avec lesquels je pourrais échanger des points de vue sur la nécessité de pratiquer le théâtre, sur les incidences que le théâtre peut encore avoir sur la vie. Quelle était l’urgence, la nécessité de cette pratique artistique que je m’évertuais encore à vouloir partager ? Je voulais retrouver le geste d’un théâtre nécessaire.
L’Afrique allait être en somme l’utopie dont vous aviez besoin. Mais étiez-vous déjà parti en Afrique ?
Pas du tout justement. L’Afrique était un continent loin de moi, que je n’avais jamais visité, que je ne connaissais pas du tout. J’avais rencontré des artistes africains, écouté des musiques, lu des livres. Mais tout ce que je savais, c’était vu de la France. Donc, j’ai pensé qu’une expérience sur un long temps pouvait m’apporter ce que je cherchais. A partir de 1996, j’ai commencé à recouper des informations, à réunir des avis sur les artistes que je pourrais rencontrer dans des pays francophones d’Afrique, mais aussi dans des pays qui avaient une ouverture sur l’océan, qui pouvaient avoir ce rapport à la mer que nous avons à La Rochelle. Je me suis attaché à rencontrer des gens du Gabon, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Bénin…
Pourquoi l’aventure a-t-elle commencé avec Libreville ?
Nous ne savions pas comment nous allions concrétiser le projet., quand j’ai reçu un appel du Gabon en 1997. La mission de coopération française qui venait d’initier les bases d’une pratique de théâtre urbain à Libreville m’a demandé de venir animer un stage de théâtre de rue. A partir de ce moment-là les planètes se sont alignées et on a pu mettre en place un projet. J’ai rencontré en décembre 1997 au Gabon une quarantaine d’artistes. J’ai sélectionné des danseurs, des chorégraphes, des comédiens, des musiciens, pour venir à La Rochelle réaliser un spectacle sur un texte que j’avais trouvé à Libreville, d’un tout jeune auteur, Hubert Freddy Ndong Mbeng : Les Matitis.
Mais ce texte n’est pas du tout théâtral.
En effet, c’est une sorte de reportage sur la vie dans les quartiers pauvres de Libreville. J’avais eu à la lecture la sensation d’une écriture à mi-chemin entre la fiction et le journalisme. Il s’agissait d’un regard particulier, le regard plein d’humour d’un jeune homme sur la vie. Et ce qui m’avait frappé, c’est qu’il couvrait à la manière des reporters la vie quotidienne, mais que l’écriture elle-même était fondée sur une vraie rythmique répétitive, sur une musicalité étonnante. Ensuite, ce qui me séduisait, c’était qu’il nous donnait à lire le doigt pointé sur l’injustice, sur les inégalités et qu’il avait ainsi une manière d’interpeller les gens du pouvoir économique, politique, voir ethnique, sans que jamais, il ne se transforme en porte-drapeau.
Comment avez-vous travaillé avec l’équipe africaine ?
J’ai adapté ce récit, j’en ai fait une matière première que j’ai livrée aux acteurs. Et nous avons travaillé ensemble, à La Rochelle : j’ai reçu leur propositions de chants, leurs musiques, leurs danses, leur regards critiques sur le texte. Tout ce travail a cheminé…
Mais n’y a-t-il pas un enjeu politique qui n’a sans doute pas la même portée à Libreville qu’à La Rochelle ?
Je partais du principe que moi adaptateur vivant en France, je ne courrais que peu de risques quant aux implications que le spectacle aurait là-bas, c’est pourquoi j’ai toujours demandé aux artistes leur avis sur l’opportunité de dire telle ou telle chose. Ce que l’on appelle « le théâtre engagé », ce sont les gens qui vivent sur place qui en sont les premiers frappés en cas de répression. Je ne voulais pas jouer au Blanc porte-drapeau d’une révolution qui le dépasserait et dont il ne subirait pas dans sa vie quotidienne les conséquences concrètes. Ce qui me concernait philosophiquement ou moralement, ne me touchait pas, moi, dans ma vie concrète, comme cela pouvait les toucher eux.
Mais votre engagement réside surtout dans la conception d’un spectacle qui puisse aller au devant de tous les publics, aussi bien dans la rue que dans les théâtres.
Le théâtre de l’Utopie est installé à la Rochelle depuis 25 ans, et soutenu par le département, la région, la municipalité et la DRAC. Nous pouvons travailler avec un vrai outil. Mais pour ce spectacle des Utopies africaines nous voulions un travail conçu dès le départ comme pouvant être représenté sur une place publique en plein air, de jour comme de nuit. Dans des lieux semi-couverts, des friches industrielles ou sur un plateau de théâtre bien sûr. Et nous l’avons créé sur le vieux port historique de La Rochelle. Les artistes africains sont retournés au Gabon, ils l’ont joué, répété et retravaillé partout.
Ils sont revenus récemment pour une longue tournée dans la région de La Rochelle ?
Nous les avons fait revenir en Poitou-Charentes pour deux mois de tournée. A la fois pour jouer le spectacle, mais aussi pour d’autres manifestations, dont notamment Lille 2000. J’ai construit une déclinaison des Matitis pour le jeune public : « les enfants des matitis ». Nous invitons les jeunes spectateurs, nous nous déplaçons aussi dans les écoles. Douze artistes africains qui débarquent dans une école, c’est un vrai cadeau ! On a imaginé également un spectacle d’intervention dans la rue. Une intervention coup de poing autour des Matitis, et de petites formes, des contes, des ateliers de musique et de danse.
Les Matitis n’est finalement que l’un des trois volets des Utopies africaines…
Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de mettre en oeuvre une simple relation nord -sud, mais de créer aussi des relations artistiques transversales, de créer des occasions de faire se rencontrer les artistes africains.
Vous aviez un projet avec Les Gueules Tapées au Sénégal ?
Oui mais il n’a pas encore abouti. Aujourd’hui je travaille sur un projet avec le Théâtre vert du Bénin et Urbain Adjadi. Il s’agit d’un spectacle à partir de textes de Charles Carrère. Un livre que j’ai aussi ramené de Libreville : Mémoires d’un balayeur. Avec Les Matitis nous avions à faire à des gens qui naissent, travaillent, meurent… dans le bidonville. Ils restent garés au quartier, ce qui ne les empêche pas de rêver et de reconstruire le monde. Charles Carrère, c’est plutôt la vie de l’émigré, c’est celui qui revient au pays et veux apporter quelque chose au pays, il essaye de mettre en oeuvre un rêve concret. Il essaye de ramener la vie sur la terre aride de son pays, en plantant des éoliennes et en amenant l’eau sur la terre sèche. Au pays des Blancs, il a vu fonctionner des éoliennes et a nourri un rêve fou. Pour moi, il y a aussi, la machine à rêve que représente l’éolienne. C’est la machine qui brasse le vent, le vent venu d’ailleurs.
Vous avez aussi travaillé avec une compagnie ivoirienne sur un texte d’Ahmadou Kourouma.
Dans mon périple africain, j’ai rencontré des artistes. Et j’avais beaucoup apprécié le travail d’Ymako teatri. Nous avons eu le désir de faire quelque chose ensemble. Au détour d’une conversation, nous avons parlé du roman de Kourouma et malgré l’épaisseur du volume, j’ai eu beaucoup de facilité à faire l’adaptation. Il me fallait choisir des fils, et m’en tenir à un tissage subjectif, à une histoire lisible. C’est l’histoire de toute l’Afrique. Mais le roman nous parle aussi de nous, les Blancs ; il trace un siècle d’histoire et met le doigt sur tous les méfaits du colonialisme, tandis qu’il traite avec respect tout ce qui fait sourire les Occidentaux. Il ne condamne jamais la magie comme une chose détestable mais dénonce d’abord ceux qui l’utilisent, ceux qui embobinent le peuple.
Vous êtes mal voyant et le théâtre, l’art de la scène est un art de l’image. Comment travaillez-vous ?
J’ai été voyant, et je suis de plus en plus aveugle aujourd’hui. Seulement, à partir du moment où j’ai été voyant, j’ai gardé une mémoire des choses. Il se trouve que j’ai quarante ans d’expérience du théâtre et j’ai presque touché à tous les métiers de la scène ; j’ai été scénographe, acteur, metteur en scène, costumier, éclairagiste, régisseur… je connais vraiment le plateau. Je commence toujours à concevoir l’espace et donne des consignes très précises. Je sais comment sont faites les lumières, et comment obtenir tels ou tels effets, je fais aussi confiance à mes collaborateurs pour l’exécution. Mais je sais quand ce que qui est réalisé correspond à ce que j’ai conçu ou non. Il y a bien sûr un minimum d’aléatoire. Et d’ailleurs je ne veux pas brider mes collaborateurs. Je crois à ce qui se passe sur le plateau. Je rencontre les acteurs, je sais les reconnaître et je suis capable de dire qui est qui. J’ai un travaille de toucher, d’approche ; je travaille à la fois très proche et très loin des acteurs. J’écoute beaucoup. Je n’ai plus de rapport avec l’écrit. Tout est à l’oreille. J’ai eu beaucoup de mal à renoncer à l’écrit, j’avais l’impression que ma pensée ne se formait plus. J’ai renoncé à parfaire ma connaissance livresque, je travaille avec ce que j’ai en moi. Et je fais confiance au plateau : je dirige comme un chef d’orchestre, je travaille sur les rythmiques et les phrasés. Et je suis moi-même le premier surpris du résultat.

Les Matitis, scènes de la vie quotidienne
d’après Hubert Freddy Ndong Mbeng
Théâtre de l’Utopie à La Rochelle
Direction de production : Denise Vlaneck
adaptation et mise en scène : Patrick Collet
musique : Nessim Bismuth
images : Lorenz Garcia
coordination technique : Vincent Robert
avec : Angèle Adda, Aboubakar Boussougou Nzamba, Germaine Dianga Mboumbou, Serge Mamadou, Louise Mengue, Laurène Moutsinga, Michel Ndaot, Mathias Ndembet, Guy-Joël Ntchango, Jean-Fidèle Nziengui, Julienne Obika, Alphonsine Voyage. ///Article N° : 2152

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