115 îles. 445 km2. 80 000 habitants. Un paradis vendu pleines pages dans les magazines. Un pays que je connais à peine, moi qui suis pourtant originaire d’un archipel voisin, les Comores. Partageons-nous le même vécu insulaire, en circuit fermé, mais tellement rivé sur l’Ailleurs ?
Atterrissage. Mon passeport ne suffit pas à convaincre. La file de touristes blancs sont accueillis avec le sourire. Moi, non. On me fait attendre sur le côté. Vous venez d’où ? – De Paris, madame. La suite. Avez-vous une carte bleue ? Des devises ? – Une carte, madame. – On peut la voir ? Etant citoyen de la COI (Commission des îles de l’Océan Indien), la démarche devrait en principe m’être facilitée. Mais les Comores, pays pauvre, sans cesse en instabilité politique, peut inquiéter mes hôtes. Normal. Vous êtes là pour ? Tous les passagers sont déjà sortis, ou en train d’attendre leurs bagages. Je suis journaliste, madame. De passage. Conciliabules entre collaborateurs. Allers-retours vers le chef qui finalement me sourit et me file mon passeport.
Libéré, je ne rencontre plus que des visages autrement accueillants. Politesse et gentillesse, avec des gestes mesurés pour signifier le dévouement. Le Seychellois est roi en son pays. Il ne s’incline donc pas devant l’étranger. Mais il lui ouvre volontiers la porte et lui voue un respect tout naturel. Chez moi, on dit qu’on ne méprise pas la main qui vous nourrit. Le pays, en dehors de la pêche, ne vit que du tourisme [sélectif/ de luxe]. Les Seychellois ont donc trouvé la juste mesure.
Leur métissage n’est pas tout à fait comme celui de mon pays. Ils parlent créole mais le leur à un goût à part dans la façon dont on mange les mots à la prononciation. Ni pareil à celui des Antilles, ni même à celui de la Réunion toute proche.
Les îles étaient inhabitées au départ quand des planteurs débarquent d’Europe, de France surtout, des esclaves rapportés notamment de Madagascar (40% des populations déplacées), des commerçants indiens et chinois, des marins britanniques, etc. Le peuplement date du 18ème siècle, à partir de 1770. Colonisation française, puis britannique. Indépendance en 1976, une année après celle des Comores.
En 1977, le premier ministre, France Albert-René, héraut de l’autonomie de l’Archipel, prend le pouvoir par un coup d’Etat appuyé par des éléments de l’armée tanzanienne et installe un régime progressiste. Je me souviens que mon pays avait soutenu par la suite les efforts de l’Etat nouveau-né, en envoyant des enseignants sur place, au nom de la coopération régionale et de la solidarité des jeunes Etats révolutionnaires. Depuis, ces îles n’ont pas cessé de vouloir s’inventer une destinée. Un monde à part dans l’histoire de l’Afrique et de l’Océan Indien. Un journaliste musicien du cru me dira un soir, au Pirate Arms, le principal bistrot de la capitale Victoria: « Nous ne sommes pas africains. Nous sommes Seychellois ». Son voisin de table, au teint très foncé, ajouta aussitôt : « C’est vrai. Ce n’est d’ailleurs pas une question de couleur. C’est une question d’identité. Nous avons des origines entre autres africaines. Mais nous sommes aujourd’hui d’abord Seychellois ». Lire entre les mots, comprendre que les querelles d’identité sont un fleuve jamais tranquille, éviter le sujet qui fâche, boire une gorgée de bière…
Africain ou pas africain ? Les gens de nos îles sont souvent des peuples aux histoires entremêlées, aux identités bifurquées, aux certitudes consumées. L’Afrique bien sûr est là, à tous les coins de rue. Par ses croyances. Par ses rites. Par sa volonté de vie, après avoir subi le fouet du large. Mais l’Afrique s’y est aussi mélangée à d’autres vécus. A d’autres croyances. A d’autres mondes. Souvent, de manière violente. Aux Seychelles, cela a donné naissance à une identité consensuelle, « au nom de laquelle ce pays venait à exister » confie l’un de mes hôtes, pensant sans doute à la révolution progressiste initiée il y a 25 ans.
Mais, l’Afrique, ni les îles voisines de l’Océan Indien, n’ont pas connu ce destin « miraculeux » vanté par certains de mes autres hôtes. Il y encore moins de 30 ans, les richesses du pays étaient tenues par quelques familles de grand colons blancs alors que le peuple vivait dans la misère. Le nouveau pouvoir à instauré l’accès gratuit à la santé et à l’éducation pour tous, le droit au logement, l’emploi assuré, avec un revenu minimum pour les chômeurs. Un Etat providence comme il n’en existe pas sous nos latitudes. Aucune violence dans ces eaux, bien que quelques coups d’Etat aient raté leur but dans l’histoire récente. Une sécurité sans égale pour ses habitants, partout sur les îles. Une nature préservée…
Ce pays jadis pauvre, qui n’est relié par avion que depuis 1971, s’est hissé en un quart de siècle au rang des pays développés [47ème au classement mondial 2002]. Pas l’ombre d’une Banque Mondiale ou d’un FMI dans les rues !
Et la culture dans ce « miracle » ? Philippe Legal, conseiller aux Affaires étrangères, anciennement au ministère de la Culture, répond : « Les artistes sont soutenus, oui. Même si parfois certains aimeraient bien l’être davantage. Le ministère a pour un aussi petit pays une programmation culturelle relativement riche, avec un festival Kreol, un festival de jazz, un festival des arts et une semaine de la Francophonie. Les artistes répondent présent. » Il renchérit : « Je crois aussi qu’à l’avenir ça passera par une professionnalisation du statut de l’artiste ».
Des musiciens comme Ralf Ammesburry, Patrick Victor, Jean-Marc Volcy ou encore David André produisent une musique entre romances, inspirées d’un vieux fond musical français, et moutia, issu des rythmes d’esclaves. Dans les arts plastiques, Léon Radegonde ou encore Edgar Marday s’inscrivent dans une école indian-océane où éclatent les couleurs et les humeurs par des techniques mixtes mêlant matériaux, influences et traditions. Il y a aussi l’écriture et la danse. Et surtout ce festival Kreol, qui a lieu tous les mois d’octobre, devenu vitrine du pays. Philippe Legal encore : « Un festival qui permet aux artistes créoles de la région – Maurice, la Réunion et les Seychelles – de se rencontrer et travailler ensemble. Il s’ouvre sur d’autres pays, qui, sans être créoles, sont des pays de métissage, de rencontres culturelles, comme les Comores et Madagascar. Le festival, c’est à la fois la musique, la danse, la mode, l’artisanat, les traditions
ça touche à tout. Et c’est aussi un festival qui aimerait s’affirmer comme une passerelle entre les deux grandes communautés créolophones : Océan Indien et bassin Antilles-Caraïbes ». Ainsi donc, même la culture profite de ce « miracle » seselwa. Mais qui en parle à l’extérieur ?
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