L’esprit des eaux

De Pepetela

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Inscrit dans le temps présent et dans un temps mythique, ce court roman déploie dans un registre satirique une réalité politique sordide dont la chute est rendue inéluctable par le recours au mythe de Cassandre. Sur la place de Kinachi, un quartier de Luanda, les immeubles sont, en effet, victimes d’un curieux syndrome. Ils s’effondrent tous un à un.
João Evangelista et son épouse Carmina surnommée CCC (Carmina Caboche de Cactus), une dirigeante de la Jota (1), incarnent un système en pleine déliquescence. À la tête d’une entreprise d’import-export, Carmina devient député au sein du parti d’Etat recomposé à l’heure de l’ouverture démocratique. Elle n’hésite pas à devenir prête-nom afin de détourner l’embargo sur la vente d’armes. Rapidement enrichie, elle ouvre un compte à Fricland, le nouveau paradis fiscal, tandis que la guerre civile fait rage. « Ceux qui ne pouvaient fuir mangeaient des chats, des rats, des chiens (…) Un vent de folie et de mort balayait le pays (…) Luanda croissait à une allure galopante et suicidaire, se remplissait de gens fuyant la guerre et la faim (…) Pendant ce temps-là, les gens importants circulaient dans de luxueuses voitures aux vitres fumées, derrières lesquelles se cachaient les visages, ils passaient devant nous, détournant sans doute le regard afin de ne pas être dérangés par le hideux spectacle de la misère. » (2)
Figure du pauvre hère pourtant lucide, le mari de Carmina , incapable d’affronter la réalité s’abrutit jour après jour devant son ordinateur tandis que la ville est en passe de se transformer en un véritable champ de ruines. Tout le monde se refuse à écouter les paroles étrangement prophétiques de Cassandra. Le récit, entrecoupé par les voix dont Cassandra est le réceptacle, puise là sa dimension poétique et son intensité dramatique. « C’est le doux et douloureux cantique qu’un jour enfant entendit. Il le dit à ses amis qui en rirent. Alors l’eau chante maintenant ? C’est si beau, mais si triste poursuivit l’enfant (…) De plus en plus douloureux, le cantique s’élevait des eaux sombres … » (3)
Cassandra est la messagère funeste de la déesse Kianda, l’esprit du lac qui se trouvait auparavant sur la place du marché de Kinachichi et qui entend désormais reprendre ses droits. Le retour à une géographie originelle apparaît comme la seule possibilité de réinstaurer un ordre au sein du chaos alentour. Le monde souterrain du mythe réactualisé se fait la résonance de voix qui crient dans le désert. Des voix vibrantes qui n’auront de repos que lorsqu’elles seront enfin entendues.

(1) Organisation de la jeunesse contrôlée par le MPLA
(2) L’esprit des eaux p. 117
(3) L’esprit des eaux p. 65-66
Pepetela, L’esprit des eaux, Traduit du portugais (Angola) par Michel Laban, Actes Sud. 140 p. 2002. 13,90 euros///Article N° : 2830

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