Lire l’Afrique, une anthologie de la littérature

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Amina Bekkat

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Amina Bekkat, professeur de littérature comparée à l’Université de Blida, en Algérie, est passionnée de littératures d’Afrique. Elle a entrepris avec des collègues tout aussi animés par ses textes, de composer une anthologie sur les littératures africaines. Ainsi né fin 2010, Lire l’Afrique, un recueil préfacé par Tierno Monenembo, qui traduit la volonté de rendre accessible des œuvres africaines essentielles, aux Algériens.

Madame Amina Bekkat, vous êtes professeur de littérature à Blida, « la ville de Fanon », vous venez de publier « Lire l’Afrique » une anthologie de la littérature. Pourquoi ce livre maintenant ? A quand remonte ce projet ? Quelle a été sa réception en Algérie ?
En 1969, s’est tenu à Alger le premier festival panafricain. C’était aux lendemains des indépendances et le continent vibrait d’espoirs. En 2009, le second festival tentait de ranimer la flamme mais, bien sûr, la situation du continent avait changé. L’engouement était resté le même mais les attentes avaient été déçues. Pour ma part, j’ai toujours ressenti la dimension africaine de l’Algérie. Il suffit de s’enfoncer vers le sud du pays pour s’en rendre compte. J’ai entrepris d’étudier ces littératures après une licence de lettres classiques. J’ai trouvé d’ailleurs beaucoup de points communs avec la littérature maghrébine et c’est ce que j’ai tenté de démontrer dans ma thèse publiée sous le titre Regards sur les littératures d’Afrique. J’enseigne les littératures d’Afrique depuis plus de vingt ans et j’ai toujours eu beaucoup de mal à trouver les œuvres dans nos librairies. Il me fallait un manuel pratique, assez complet, et abordable. C’est pour cela que j’ai entrepris de confectionner cette anthologie avec le concours de collègues passionnées comme moi par ces textes. Je n’imaginais pas que j’aurais tant de mal à obtenir les autorisations de reproduction et que cela prendrait tant de temps. Certaines maisons d’édition ont même refusé alors que d’autres ont accepté gracieusement.
Le livre a été bien accueilli par les étudiants et les enseignants car cela permet à tous d’avoir accès aux textes dans un seul volume disponible en Algérie et abordable. Même si on trouve depuis quelque temps des titres africains grâce à Terres solidaires, l’union des éditeurs qui œuvrent pour mettre les textes à la portée de tous, conjointement en Algérie, au Bénin, au Sénégal, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, cela reste très insuffisant.
Vous êtes certes l’auteur de cette anthologie, mais certains écrivains sont présentés par vos collègues. Ce qui fait son originalité. Le livre est préfacé par Thierno Monembo, les illustrations sont de Véronique Tadjo. Outre les textes fictifs, lire l’Afrique est aussi une anthologie d’essais. Qu’est ce qui justifie cette démarche plurielle ?
L’anthologie comme je le dis dans l’avant-propos est tributaire des choix de l’auteur ou des auteurs, c’est donc un parcours assez arbitraire et parfois frustrant. Bien sûr, les textes essentiels sont représentés mais j’aurais aimé m’étendre beaucoup plus par exemple sur Sony Labou Tansi dont l’œuvre est importante tant au niveau de la production que de la créativité. Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver les livres et même dans les librairies de province en France, ils ne sont pas disponibles. Il n’était pas envisageable de traiter de la poésie et du théâtre car il aurait fallu plusieurs volumes et cela aurait été trop onéreux en droits d’auteur, mais j’ai pensé que les essais qui interrogent les œuvres et qui sont aussi une réflexion générale sur les auteurs africains et les conditions de création, étaient importants. Depuis le précurseur Edward Blyden mentionné dans le premier numéro de Présence Africaine jusqu’au Manifeste pour la vie de Nocky Djedanoum. Ce sont des jalons importants pour la compréhension de ces littératures qui, comme l’ont noté beaucoup de critiques, ont été entourées de pré-textes, de critiques et de commentaires en grand nombre. La démarche peut paraître un peu étrange mais dans des pays où il est difficile de se procurer les œuvres, j’ai jugé que c’était important de réfléchir à la fois à partir des textes et à propos des textes. J’ai pris soin de ne présenter que des Africains pour une compréhension, disons… « continentale » de nous-mêmes.
En présentant votre ouvrage, votre éditeur (ou vous-même) écrit :  » Le jour où Kateb Yacine sera devenu familier aux lecteurs de Dakar et d’Abidjan et Ahmadou Kourouma parfaitement visible dans les bibliothèques et les librairies d’Alger et de Casablanca, croyez-moi, ce jour-là, le Sahara ne sera plus un obstacle ». Est-ce que vous n’êtes pas trop optimiste…
Ces mots sont de Tierno Monenembo dans la préface qu’il a écrite pour l’anthologie. Bien sûr, cela peut paraître d’un optimisme exagéré mais les écrivains et poètes sont là pour faire naître l’espoir et entretenir les rêves. Les difficultés de circulation des œuvres dans le continent sont dues à des paramètres connus, l’édition, les canaux de diffusion qui souvent nous privent de lire nos auteurs. Des rencontres comme celle du festival panafricain, des colloques comme ceux que nous avons organisés en Algérie autour des littératures d’Afrique à Tamanrasset (2006), à Djanet (2008) à Alger (2010) sont autant d’occasions pour nous retrouver et de confronter nos avis et approches. C’est déjà un moyen de renverser les obstacles et de franchir le Sahara.
L’épilogue de votre ouvrage est le manifeste pour la vie, extrait de Nyamirmambo, texte écrit par l’écrivain Tchadien Nocky Djedanoum dans le cadre de l’opération : « Rwanda 94 », écrire par « devoir de mémoire ». Qu’est-ce qui justifie ce choix.

Les discours sur l’Afrique et les Africains sont toujours d’un pessimisme navrant : épidémies, souffrances, guerres, luttes ethniques… « la pauvreté, la maladie et les aléas de tous genres rendent l’existence incertaine et précaire » écrit Achille Mbembe dans Sortir de la grande nuit. L’Afrique est désormais « en majorité peuplée de passants potentiels » ajoute-t-il. Le phénomène de ce que nous appelons les Harragas, les brûleurs de route, les migrants clandestins, ceux qui mettent leur vie en péril pour rejoindre d’autres terres où dans le meilleur des cas, s’ils survivent, ils seront parqués dans des camps, est terrifiant. Toutes ces descriptions offrent une vision désespérante amplifiée par les médias occidentaux. Pourquoi ne pas croire en des lendemains meilleurs ? Pourquoi ne pas croire au pouvoir du verbe créateur ? C’est un chant d’espoir même si, en ces temps de doute, il peut paraître utopique. Mais le souffle créateur de la littérature nourrit nos rêves. « Nous voulons vivre pour l’Afrique » voilà le credo de Nocky Djedanoum. J’ai voulu terminer sur une note optimiste.
Après cette anthologie, quelle est la prochaine surprise que nous réserve Madame Bekkat ?
Avec mon groupe de recherche nous préparons une anthologie de la littérature algérienne depuis 1990. Il y a eu depuis cette date une effervescence littéraire tout à fait étonnante. Il fallait résister à la barbarie intégriste et aussi témoigner. Comme pour les massacres du Rwanda, les textes littéraires abordent la réalité de façons diverses. Ce sont des œuvres de facture inégale, de grands textes et des témoignages plus simples, mais il est important de les recenser. Et puis je prépare une biographie d’Edward Saïd, ce Palestinien qui conquit une place dans le monde américain et dont les œuvres montrent que le projet colonial était appuyé par des formations discursives sous-jacentes. J’aimerais interroger ses articles en anglais et aussi en arabe. Mais cela prendra beaucoup de temps.

///Article N° : 10062

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