Cette note de lecture concerne un livre publié en langue allemande sur la représentation des Africains dans la nouvelle littérature de jeunesse germanophone. Elle complète l’article publié dans nos colonnes par Richard Alemdjoro intitulé « Zoo humain et fantasmes populaires en Allemagne ».
Contribution à l’étude de l’image du Noir dans la littérature de jeunesse, avec sa cohorte de préjugés, clichés et lieux communs, l’ouvrage est le résultat d’une thèse de doctorat soutenue à la faculté de la nouvelle Philologie de l’université Johann Wolgang Goethe de Francfort en 2002. L’auteur, le Togolais Kodjo Attikpoe, s’est donné comme priorité de combler le vide laissé par les précédentes études, antérieures à 1980, en dépassant la perspective didactique ou sociologique et en se basant sur l’impact avéré ou supposé avéré des images véhiculées par les ouvrages destinés aux jeunes lecteurs.
Ecrite dans un style épuré et en allemand l’étude dévoile la vision truffée de clichés et de préjugés d’une Afrique à la dérive et des Africains englués dans un mode de vie primitif. A quelques exceptions près, les auteurs de littérature enfantine de l’aire germanophone stigmatisent une Afrique des catastrophes et distillent un racisme subliminal dans les uvres pour enfants tout en soutenant, face aux critiques, que ces derniers sont capables de distinguer la fiction de la réalité.
L’étude s’étale sur trois grandes parties, comportant chacune de nombreuses subdivisions. La première partie consacrée aux fondements théoriques explore et les fondements théoriques de la perception de l’autre en général dans la littérature et, de manière plus spécifique, les fondements historiques de l’image de l’Afrique. L’analyse détaillée du concept complexe des stéréotypes passe en revue les différentes théories qui ont essayé d’éclaircir la formation de ces derniers : celles qui l’expliquent par des causes essentiellement sociologiques et celles qui y voient au contraire un phénomène lié à un processus psychologique individuel. Une place importante est réservée à l’imagologie de la littérature enfantine. L’auteur analyse sur la base de documents historiques le discours européen sur l’Afrique et son besoin de légitimation. Il remonte aux sources de la formation du mythe du nègre, met en exergue la contribution des récits de voyage à l’ancrage de ce mythe dans le subconscient occidental. On découvrira ou on relira avec étonnement la contribution de philosophes, écrivains et ethnologues tels que Herder, Hegel et Frobenius à la propagation dudit mythe.
La deuxième partie, riche en analyse textuel de récents ouvrages des années 1980 aux années 2000 et en exemples du genre de clichés véhiculés par la littérature de jeunesse germanophone d’aujourd’hui, porte bien son titre : Analyse et interprétation de textes. Grâce à une subtile subdivision des textes analysés, on lira sous la plume de Stephanie Zweig dans Die Spur der Löwe (littéralement : Sur les traces du lion) les prouesses d’intelligence d’un petit européen apportant à une Afrique arriérée voire primitive le message de connaissance du monde civilisé. Le tour d’horizon des livres d’aventure destinés à la jeunesse d’Eric Campbell, probable adepte des aventures de Zembla et de Tarzan, fait ressortir leur caractère ethnocentrique, et leur côté aventureux rappelle quelques films du temps colonial qui montraient les Africains comme des esclaves passifs, prêts à tout pour faire plaisir à leurs maîtres colonisateurs. Dans son roman, Jagd nach dem weißen Gold (La quête de l’or blanc), publié en 1998, Campbell fait revivre le mythe de l’omnipotent Bwana (personnifié par van del Wel), devant lequel les Africains paresseux font profil bas : » Pssst ! sifflent-ils pour prévenir. » Bwana arrive ! Bwana arrive ! « . S’ils sont en train de glander, ils cherchent hâtivement à s’occuper avec zèle. Après, ils sourient et interpellent : » Jambo Bwana, habari ? « , simulant ainsi les travailleurs consciencieux. Car, si l’un deux se fait surprendre en train de glander, la colère de Bwana est sans limites, et le Sjambok (fouet en peau de rhinocéros) siffle et fait des coupes nettes comme celles d’un couteau dans les dos, les épaules, les cous et les joues «
On lira des extraits d’une littérature germanophone qui présente l’Afrique aux jeunes comme un danger : danger parce qu’étrangère (Die Gazelle (La gazelle) de Jo Pestum), danger parce que pleine de secrets (Sylvia und der Regenzauber (Sylvie et le faiseur de pluie) d’Evelyn Schmidt), et enfin l’Afrique simplement hôtesse dangereuse (Auf dem Strom (Sur le fleuve) d’Hermann Schulz). L’auteur analyse également un certain nombre de livres pour enfants publiés récemment, dans lesquels les motifs de l’Africain primitif (Afrika hinter den Zaun (L’Afrique derrière la clôture) de Bart Moeyaert) et de l’Africain arriéré et éternellement enfant tiennent lieu de trame. Il ressort de la lecture de certaines uvres l’impression que les auteurs font une utilisation esthétique de stéréotypes racistes, voire une subtile manipulation de ces stéréotypes (voir Brigitte Blobel : Verliebt in Afrika (Amoureuse de l’Afrique)) et une thématisation de la discrimination raciale à travers des uvres relatant les aventures d’Africains en Europe. Les troisième et quatrième sous-subdivisions de cette deuxième partie décortiquent avec moult exemples de romans d’une part la représentation littéraire pour les enfants des » problèmes africains « , prétexte à une représentation d’une Afrique de la pauvreté et de la faim et d’autre part les constructions pleines de fantaisie d’une Afrique que l’on voudrait » authentique « .
Le troisième volet de l’étude vient, comme un contrepoids à ce discours pessimiste sur l’Afrique, clôturer l’ouvrage. Il s’agit ici de ce que l’auteur appelle » le discours que les Africains tiennent sur eux-mêmes « , une analyse des uvres de la littérature enfantine et de jeunesse écrites par des auteurs africains et traduites en allemand. Une analyse théorique du devoir d’interculturalité dans les uvres traduites en allemand met l’accent sur les clés qui devraient servir à la compréhension d’une culture étrangère racontée aux enfants et aux jeunes lecteurs en général. L’étude se concentre sur l’analyse des images véhiculées par ces uvres : description d’une certaine enfance africaine dénuée de sensationnalisme, les traditions africaines vues à travers le prisme des enfants. L’auteur de cet ouvrage fait aussi une incursion dans l’image de l’Afrique véhiculée dans la littérature enfantine sud-africaine des auteurs blancs du pays, dont la vision n’est parfois pas loin de celle des auteurs germanophones. L’ouvrage de Kodjo Attikpoe permet de comprendre cette littérature germanophone destinée aux jeunes, qui n’est pas très connue en dehors de son aire géographique et qui a donc tendance à évoluer en vase clos.
Kodjo Attikpoe, Von der Stereotypisierung zur Wahrnehmung des Anderen’ La représentation des Africains dans la nouvelle littérature de jeunesse germanophone (Publié dans la Collection Kinder- und Jugendkultur, -literatur und -medien, des éditions Peter Lang, Band 24, Francfort 2003). ///Article N° : 3946