Madagascar : dessiner tout haut ce que l’on chuchote tout bas

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La caricature et le dessin de presse sont inséparables de la bande dessinée à Madagascar. Pratiquement tous les dessinateurs de presse malgaches sont issus de l’école de la bande dessinée. Mais à l’inverse de ce qui s’est passé ailleurs où la caricature, encore appelée « dessin chargé », a précédé le dessin de presse, les adeptes du dessin de presse ont devancé les caricaturistes à Madagascar.

Au début était l’humour. La répression de la rébellion anti-coloniale de mars 1947, qui a fait entre 60.000 et 100.00 victimes, a provoqué un choc social épouvantable. « Les Malgaches sont devenus tristes. Il faut leur réapprendre à rire », estimait le journaliste Célestin Andriamanantena. « Je vais fonder un journal humoristique pour rendre le sourire à mes compatriotes », pariait-il. C’est ainsi que le journal satirique « Hehy » a vu le jour, en 1955.
Les pionniers du dessin de presse
Le premier numéro sera révolutionnaire à plus d’un titre. Non seulement pour sa ligne éditoriale, mais aussi parce que la « une » contenait un dessin de presse, une nouveauté pour l’époque. L’œuvre est signé Gabin. En fait, sous ce pseudonyme se cache Jean Razafindrakoto, un sportif qui a dominé le petit monde du ping-pong malgache pendant une dizaine d’années. Il consacrera la décennie suivante à « Hehy ». Journal purement humoristique, « Hehy » flirte avec la politique après l’indépendance de Madagascar, en 1960. Gabin y sera également de toutes les luttes, illustrant l’actualité avec un regard ironique, souvent naïf, toujours drôle, mais jamais irrespectueux. La censure veille.
L’humour est justement utilisé pour contourner la censure. Le successeur de Gabin chez « Hehy », Barry, perpétuera cet esprit. Seul changement, mais de taille : sa démarche est à mi-chemin entre le dessin de presse et la caricature. Ses œuvres s’inspirent des actualités et croquent les personnalités, sauf que seuls les corps sont dessinés. Les têtes sont constituées de véritables photos des victimes de sa plume.
« Hehy » cessera de paraître en 1977. Barry continuera à publier ses œuvres dans d’autres journaux dont « Akon’ny Aro » dans les années 80. Mais le dessin de presse est quelque peu oublié pour laisser la place à la bande dessinée dont le marché explosera quelques années plus tard. En coulisses, les dessinateurs en herbe affûtent leurs crayons sur les modèles des adeptes de Honoré Daumier. Ramily en fait partie.
Le pionnier de la caricature
Avec son frère jumeau, Ramily s’essayait au dessin en reproduisant les caricatures de David Levine dans Paris-Match auquel son père est abonné depuis 1970. Sa première œuvre, réalisée en 1975 mais jamais publiée, sera une caricature du poète Jean-Joseph Rabearivelo, les cheveux ébouriffés et une plume plantée dans la tête. Un caricaturiste est né. Le premier à Madagascar. Ramily n’a jamais fait de dessin de presse. Il n’a fait que de la caricature, dans le sens d’un portrait-charge, en exagérant la proportion de la tête et en réduisant le reste du corps, dans le style des maîtres du genre.
Lors de son service national hors forces armées, le « SN » que chaque bachelier doit effectuer pour servir la révolution socialiste malgache, Ramily propose ses caricatures à la revue Afrique-Asie, éditée en France. Le patron, Simon Malley, est conquis. De 1981 à 1984, les caricatures de Ramily illustrent les pages de la revue. La rédaction lui verse une indemnité et lui fournit des papiers Canson que Ramily renvoie par la poste, après les avoir noircis, pour publication. Afrique-Asie lui propose même de venir en France pour intégrer la rédaction mais le jeune homme n’obtiendra pas la permission paternelle. Ramily continuera donc ses études à Madagascar et délaissera le dessin. La seule fois où il a accepté de sortir de son hibernation, c’était en 2005-2006. Sur la sollicitation du rédacteur en chef d’un nouveau quotidien, Le Courrier, qui n’était autre que son frère cadet, il a accepté de refaire de la caricature, avec le même style mais d’une autre manière : l’ordinateur a remplacé le papier et la souris, la plume. Après la disparition du Courrier, il continuera de s’attacher aux nouvelles technologies à travers un blog illustré par des dessins réalistes réalisés sur ordinateur (1)
« Les fous du roi »
Dans les années 80, alors qu’il cherchait une voie pour publier ses œuvres localement, Ramily emprunte le chemin du desk du journal Atrika pour y rencontrer Anselme. Bédéiste aux talents reconnus, lauréat du premier festival africain de la BD à Nairobi (Kenya) en 1985, Anselme gagnait principalement son pain en illustrant les pages de ce journal gouvernemental. Au fil des conversations, Ramily apprend qu’Anselme a un frère cadet, Aimé Razafy, qu’il connaît bien pour avoir partagé avec lui les bancs d’une école primaire dans le quartier d’Ambohipo dans les années 60. Ainsi donc, les frères Razafindrainibe, Anselme et Aimé Razafy, mais aussi Rado, sont tous devenus dessinateurs !
Piliers de l’Association des bédéistes malgaches (Abedema), Anselme et Aimé Razafy ont créé le trimestriel Sarigasy, en 1986, en plein âge d’or de la bande dessinée malgache. Mais la censure, en vigueur à l’époque et qui ne plaisantait pas, même avec l’humour, aura le dernier mot face à ce journal sous-titré « journal fou, plein d’humour et de B.D.« . Sarigasy devient Sarigasmes avant de s’arrêter au n°8.
Après le déclin du marché local de la BD malgache au début des années 90, Aimé Razafy se consacre entièrement au dessin de presse. Embauché par le quotidien Tribune, il y deviendra une star du dessin de presse. Ses œuvres ont été compilées dans un album (Sans cible, 1993) et ont fait l’objet de thèses universitaires aussi bien à Madagascar qu’à l’étranger. Actuellement, Aimé Razafy loue ses services, avec le même humour mordant, souvent décalé mais qui ne rate jamais sa cible, au quotidien La Gazette de la Grande île dont il est le directeur artistique.
Crayon d’or
Aimé Razafy a ouvert les portes des rédactions aux dessinateurs de presse. Après lui, chaque journal se doit d’avoir un dessinateur maison. L’un des plus connus est Elisé Ranarivelo.
Egalement issu également de la bande dessinée, Elisé Ranarivelo, alors qu’il était encore étudiant, a publié une planche chez « Fararano Gazety », un magazine subventionné par la Coopération française entre 1981 et 1987 et qui comprenait une partie BD. Il végétera ensuite pendant quelques années aux éditions Horaka, sous la houlette du grand bédéiste Richard Rabesandratana. Repéré par Tsileondriaka, une autre structure éditoriale de BD, Elisé Ranarivelo y crée le personnage populaire du Professeur Mahiratra tout en écrivant des scénarios pour d’autres séries.
Il flirte avec le dessin de presse par accident. Lors de la grande grève de 1991, on le sollicite pour faire des dessins tournant en dérision les opposants au régime. Ces dessins sont par la suite multipliés et distribués, sinon affichés, dans tout Antananarivo. Repérant le filon, les éditions Tsileondriaka décident de tenter l’aventure d’un journal quotidien… illustré par les dessins de presse d’Elisé Ranarivelo. En 1994, il est embauché par un nouveau quotidien, L’Express de Madagascar, dont il est le dessinateur de presse attitré jusqu’à ce jour. Crayon d’or’95 du meilleur dessinateur de presse, Elisé Ranarivelo a publié sept recueils de ses œuvres lesquelles ont aussi, récemment, fait l’objet d’une étude universitaire.
Elisé Ranarivelo a ouvert le chemin du dessin de presse aux bédéistes qui, après le déclin de la bande dessinée, veulent continuer à produire pour exister.
Rock et décontraction
Pour exister, William Rasoanaivo rêvait de devenir champion de natation. Mais face à la pauvreté des infrastructures dans ce domaine, il tombe dans la grosse marmite du dessin. Et se fait un nom : Pov’. Il inaugure la tradition du dessin de presse, le vrai, chez « Midi Madagasikara », à partir de 1996, alors que pour illustrer certains articles, le quotidien faisait appel au service du studio de dessin Soimanga, fondé par un grand nom de la BD malgache, Alban Ramiandrisoa Ratsivalaka. Après avoir publié deux albums de ses best-of (Composez le 18 et En voie de développement, en 2004) Pov’ est parti la recherche du bonheur à l’île Maurice où il continue d’exercer ses talents pour un journal local. Ses fans (il y en a !) se consolent en regardant son blog (2).
Pov’ fait partie d’une génération de dessinateurs de presse, fan de rock (il est le frontman du groupe Vaïn) et à la décontraction insolente, comme son compatriote Jivan.
Animateur d’une émission de hard rock dans une station de radio privée de la capitale, Jivan a dessiné dans différents périodiques, Tana 7 Jours, New Magazine et le fantôme du journal Hehy, réapparu le temps de trois saisons de rires (1999-2001), avant d’atterrir chez le quotidien malgachophone Gazetiko. Mais son humour naïf et au premier degré finit par l’affecter au service minimum où il pond un strip de deux à trois cases quotidiennes.
En 2005, Pov’ et Jivan ont fondé une revue de dessin de presse et de caricatures, Saringotra avec l’aide d’un autre dessinateur, Ramafa, qui travaille parallèlement comme dessinateur de presse pour Les Nouvelles depuis 2004. Dès l’année suivante, Aiza ? Edition publie son premier recueil de dessins, Tir en l’air.
Des talents inégaux
Saringotra ne fera pas long feu mais le dessin de presse connaîtra une véritable explosion suite à la multiplication des journaux. De nouveaux dessinateurs de presse, aux talents inégaux, sont ainsi apparus dans le paysage médiatique malgache.
Les successeurs d’Aimé Razafy chez Tribune n’avaient pas son charisme : Hery, aux traits et réflexes presque puériles, puis Rabri, un ancien bédéiste qui a participé à des séries en vogue dans les années 80, Rakarandoha et Siringo. Autres transfuges de la BD : Max, au style aérien, travaillait aux défunts Le Quotidien et Ny Vaovaontsika. Il a collaboré, entre autres, à l’album historique Vao Ambany Riana, sous la direction d’Alban Ramiandrisoa Ratsivalaka. Mais il y a également Georges Randrianantenaina dit Ndriana, qui a gravité autour des éditions Eh !, fondé en 1982, et rame un peu actuellement chez La Vérité, un quotidien créé en 2008.
Dans cette profusion de dessinateurs, Feno de Ao Raha a su se démarquer. Collaborateur d’Elisé Ranarivelo, il a s’est forgé un style propre, tout en rondeur avec un humour bonhomme. Le matin, il lui arrive de croquer en direct les invités de l’émission populaire Kidaona maraina sur la chaîne de télé RTA. Mais il y a également Mamy Be de L’Hebdo de Madagascar qui perpétue avec brio une caricature particulièrement réaliste, servie par des bulles à l’humour grinçant.
Cet état des lieux ne saurait être complet sans mentionner Narimalala Rakotobe. Originaire de Majunga, où il était le correspondant de L’Express de Madagascar dans les années 90, ses dessins étaient plus visibles dans des expositions que dans la presse, mais également dans le journal de la chaîne télévisée M3TV. Son regard alerte, lui a valu l’estime du public et lui a permis de gagner le premier prix lors d’un concours sur le… journalisme d’investigation, organisé par le Centre culturel américain, en 2004. Installé en France, lui aussi a choisi le net pour publier ses œuvres (3)
Le dessin de presse et la caricature ne sont pas à la portée du premier bédéiste venu. Mais ils peuvent faire la notoriété de ceux qui ont de l’imagination. Elisé Ranarivelo est maintenant à la tête d’Elisé Production, une maison d’édition qui ne cesse de se perfectionner, tandis que Ramafa assure régulièrement des commandes d’illustrations. Les concepteurs de supports d’information, d’éducation et de communication ont compris l’efficacité d’un message transmis avec humour. Les dessins qu’ils proposent aux journaux ne sont pas toujours acceptés, suivant les circonvolutions des lignes éditoriales. Leurs tiroirs renferment ainsi d’innombrables dessins de presse et caricatures inédites. Il arrive que certains dessins suscitent des tensions qui frisent l’incident diplomatique. En 2006, Ramafa a été suspendu pendant quelques mois pour avoir publié un dessin de presse sur Koffi Annan que les fonctionnaires des Nations Unies avaient moyennement apprécié. En 2008, entre autres scandales, un dessin d’Elisé Ranaivelo a entraîné l’éloignement du directeur du groupe L’Express. Mais l’humour finit toujours par avoir le dernier mot. Dans un pays où l’on doit souvent lire les journaux entre les lignes, le dessin de presse et la caricature permettent de dire tout haut ce que l’on chuchote tout bas.

(1) http://decophilie.hautetfort.com

(2) « http://povonline.wordpress.com »

(3) http://nary.africa-web.org///Article N° : 9069

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