Mali : du rêve aux réalités, un festival populaire

Entretien de Sylvie Chalaye avec Adama Traoré

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Il y a quatre ans, de retour au Mali après un séjour au Festival International des Francophonies de Limoges, Adama Traoré, comédien et professeur d’art dramatique à l’Institut National des Arts de Bamako, faisait un rêve… Il avait assisté à Limoges à plus d’une dizaine de spectacles et se disait qu’au Mali il lui aurait fallu au moins cinq ans pour en voir autant. La création théâtrale ne peut avancer sans savoir ce qui se pratique ailleurs. Il lui apparut évident qu’il fallait créer un festival qui permette aux artistes maliens de découvrir d’autres formes théâtrales, un festival qui permette de confronter le théâtre malien aux réalités de la création internationale. Ce serait le Festival des Réalités qui en est aujourd’hui à sa quatrième édition.
Consacré cette année au thème de la parole et intitulé  » De l’oral aux cris « , il a réuni du 26 novembre au 3 décembre une dizaine de spectacles théâtraux et de nombreux concerts et spectacles musicaux. Fidèle à sa vocation de diffusion, le festival a accueilli des spectacles en tournée après le Festival de Limoges. C’est ainsi que l’on pouvait y retrouver les 7 Koûss du Sénégal avec Les Indpendan-tristes de Williams Sassine, mis en scène par Jean-Claude Idée ou Atakoun du théâtre Wassangari (cf. Africultures 22), et bien d’autres spectacles venus d’Afrique et d’ailleurs, comme L’amour d’une mère de Ildevert Méda par le Théâtre Evasion venu du Burkina Faso, Moman de Louisette Dusseault venue du Canada et surtout La compagnie des Gueules-Tapées venue du Sénégal avec un spectacle décapant où l’ubuesque Mobutu se fait personnage de théâtre pour nous ramener avec d’autant plus de violence et d’acuité à des réalités qu’on s’empresse habituellement d’occulter en brandissant l’image fétichisée du dictateur. Festival des réalités du théâtre, festival des réalités du monde et de l’Afrique, cette édition 1999 n’est pas restée muette et devrait retentir encore longtemps.
Qu’est-ce qui vous a amené à créer un festival ?
Je me suis rendu compte qu’un festival est une vitrine. C’est un événement vital pour la dynamique artistique d’un pays, car il donne l’opportunité de voir une vrai palette de spectacles. Un jour en rentrant du Festival de Limoges où j’avais vu beaucoup de spectacles, j’ai réalisé qu’il m’aurait fallu cinq ans au Mali pour voir autant de choses. C’était absurde, il nous fallait un festival !
Il y a aujourd’hui de nombreux festivals de théâtre en Afrique. Quelle est l’identité de votre festival ?
C’est un festival d’essence populaire, au sens noble du terme. Un festival de création citoyenne, un festival qui va au devant du public. Face aux problèmes de transports insolubles qui existent à Bamako, nous avons pensé qu’il fallait une festival qui tienne compte des réalités matérielles. Et ces réalités soulevaient aussi un problème esthétique. Nous nous sommes donc posé la question de la pertinence de la scène à l’italienne. C’est pourquoi nous avons conçu des scènes mobiles et autonomes qui puissent se déplacer dans les communes et y offrir des spectacles dans de vraies conditions d’échange avec le public.
Le festival est concentré à Bamako ?
En fait, nous souhaitons aussi le décentraliser. Bamako se trouve au coeur du Mali. Nous organisons de petites tournées pour les troupes qui traversent le désert et qui jouent dans les lycées comme l’Ymako Téatri ou les Tréteaux du Niger l’an dernier. Nous voudrions aussi organiser une randonnée sur le fleuve Niger.
Les spectacles sont gratuits ?
Oui. Même dans les lieux institutionnels : le Centre Culturel avec lequel nous avons un partenariat technique et le Palais de la Culture du Mali ou l’Institut National des Arts. En dehors de ces lieux nous aménageons aussi des scènes ouvertes dans les différentes communes de Bamako.
La dimension sociale et pour vous aussi importante que la dimension artistique.
Il faut former un public. Pour nous, les questions esthétiques et sociales sont liées. Le travail que j’ai fait sur Une Hyène à jeun de Massa Makan Diabaté partait aussi de ce questionnement (cf. Africultures 18)
Quelle est votre politique de programmation ?
Rechercher la spécificité esthétique des troupes, faire venir des compagnies qui proposent une ouverture, mais ce doit être aussi une opportunité pour les artistes de l’INA, comme pour les troupes du Mali qui font à l’intérieur du pays un vrai travail d’intervention sociale… Eux aussi sont programmés : ils proposent ce qu’ils ont l’habitude de faire et qui est subventionné par des ONG. Mais ils ont surtout la possibilité de rencontrer d’autres troupes africaines et de découvrir des créations très contemporaines.
Chaque édition a été marquée par un thème, un sujet. Pourquoi ?
La manifestation en elle-même est aussi une création artistique. Le thème nous permet de donner une unité, une cohérence et de défendre à travers lui l’ensemble des conférences, des rencontres professionnelles ou universitaires, des expositions, etc. Après  » Femme-sida « , puis  » L’environnement  » et  » Violences et discrimination  » l’an dernier, le thème 1999 était autour de l’oralité, de l’oralité à travers le dialogue aux cris de joie et de douleur. L’Afrique a une culture d’oralité et nous avons aujourd’hui perdu les vertus du dialogue. Au lieu du dialogue, c’est le bruit des bottes militaires, les coups de canons, qui retentissent et deviennent les moyens d’expression, les moyens de pression aussi. Il y a là quelque chose qui se perd.  » Face à toutes ces menaces, brandissons notre antique sagesse  » disait Massa Makan Diabaté. Mais cette antique sagesse existe-elle encore ? Avons-nous confiance en la parole ? Croyons nous encore en ces vertus du dialogue ? Sommes-nous encore capables de nous asseoir pour discuter, de prendre le temps d’écouter l’autre pour arriver à l’entendre ? Le théâtre, c’est une façon de ne pas laisser se perdre l’art de l’oralité. De ne pas laisser se perdre le cri dans le désert.
Après quatre ans d’existence, le festival a-t-il beaucoup évolué ?
Ce qui me semble être une réussite, c’est la prise en charge progressive de ce festival par les autorités administratives et politiques du pays qui au début ne nous faisaient pas confiance. Nous avons commencé en allant voir des amis qui nous ont soutenus, aujourd’hui les institutions viennent à nous. Avec Angers, la ville jumelle de Bamako, nous avons le projet de créer un Festival des Réalités qui fasse écho en France à celui du Mali ; c’est une vraie satisfaction pour moi. Il y a aussi l’intérêt que manifestent de plus en plus les professionnels. Nous avons même des propositions de coproduction avec le Canada. La presse qui est de plus en plus présente, même la presse du Mali. Petit à petit quelque chose est en train de prendre forme…

///Article N° : 1131

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