Une fois n’est pas coutume, nous publions cette intéressante nouvelle par un jeune auteur à découvrir. Bonne lecture !
Airbus A 320. Atterrissage en douceur. Chaleur moite d’un pays tropical, d’une république bananière. Formalités douanières, policières et militaires avec son cortège de contradictions, d’incohérences et d’arbitraire. Banales sous les tropiques. S’y plier, se résoudre à graisser la patte toujours rugueuse du douanier, du policier, du militaire, ou d’un quelconque intermédiaire. Dans l’enceinte et à l’extérieur de l’aéroport, existe une sorte de cour des miracles ayant ses règles propres échappant au voyageur pressé. Excroissance nécessaire de la densité du trafic aérien. »Vrai saut d’obstacles pour rentrer dans son propre pays », se dit-il. L’atterrissage d’un jet est toujours heures d’emplettes, jours de marché pour cette cours des miracles y compris les forces de l’ordre. Quel ordre ? Du désordre. Au fur et à mesure de la pénible approche des clients-passagers exténués, ils se lèchent les babines. Début de repas. Les plats n’ont jamais la même consistance. Selon que vous manier avec clarté ou non l’une des langues du pays, vous serez traités avec diligence ou brutalité. Selon que vous soyez blanc, noir, jaune, rouge ou même vert, l’accueil s’adaptera.
Selon que vos bagages soient rangés soigneusement dans une valise Delsey, Vuitton ou dans un simple ballot »home made », fabrication tropicale ou chinoise, vous bénéficierez de plus ou moins d’égards. Carnet de vaccination exigé ? Pourquoi ? Personne ne le sait réellement : si vous l’avez, tant mieux. On vous toisera d’un regard réprobateur comme pour vous reprocher, en silence, d’être trop en règle : vous constituez le grain de sable qui risque de gripper la mécanique. Pas commode pour des agents qui veulent des »clients »qui les fassent manger. Si vous ne l’avez pas, on vous proposera de vous faire vacciner sur le champ comme
du bétail. Naturellement, la facture est à votre charge. Si vous dites l’avoir égaré, ici de toutes les façons, on s’en fout. Vous subirez une autre vaccination pour la n-ième fois. Rassurez-vous ! Vacciner ou pas, on n’échappe pas si facilement au paludisme à moins d’avoir une peau de pachyderme.
Boulevard de la »Muerte ». Superbe voie à grande circulation. Pour lui qui venait de finir une partie de ses études chez les toubab, ceci n’est qu’une ruelle de banlieue. Dommage qu’il porte un nom aussi sinistre lié aux hauts faits d’un de nos ancêtres les Gaulois, connu pour avoir tripatouillé dans les mines de Charbon d’un roitelet nègre. C’est toujours le même schéma : les relations entre ces deux acolytes défrayèrent pendant longtemps les colonnes des journaux de la Gaule et de l’Afrique. Cette relation, comme bien d’autres entre les chefs d’états de France et d’Afrique est le symbole vivant des rapports biscornus entre nos pouvoirs féodaux nègres et le pouvoir gaulois : « Je t’aime, moi non plus ! ».
Callé au fond du taxi qui le ramenait vers le domicile familial, il essayait de comprendre comment pendant toutes ses années, depuis les fameux soleils des Indépendances, on ne faisait que reculer. Avec du recul, et une relecture de notre histoire, il serait en principe possible de rectifier le tir, de revoir la copie mais, il semble que la leçon n’a pas été bien apprise. Après quarante ans de pseudo- indépendance, la note tournerait autour de 06/20 : médiocre. Ainsi »les Imbéciles avaient décidé de rentrer dans l’histoire à reculons », chanta l’artiste.
Le partenariat, pour être plus précis, le paternalisme suicidaire, la coopération de »ces messieurs d’Afrique »avec le continent noir l’avait mis à plat ventre sur le sol ; coopération entre le maître et le cheval. Depuis longtemps, le cheval se connaît et sa chevauchée fantastique digne d’un film western est loin d’être à son terme. Quant au cavalier, il n’est pas près d’être désarçonné par ce canasson qui n’en peut vraiment plus. Ce qui est encore plus complexe et met tout le monde dans l’embarras, c’est que la charge s’alourdit proportionnellement aux complaintes du pauvre canasson.
Il contemple une belle affiche publicitaire vantant les qualités de la capitale. Titre d’une hyperbole touristique. Mais parfois, embouteillages énormes. Dowtown : quartier des affaires comme on le dit dans les villes américaines. Cette cité s’étale sur les abords d’un lac gigantesque O ! Combien de fois pollué. La ressemblance de ce »dowtown » tropicale est vraiment frappante avec certaines métropoles du Nouveau Monde. La flatteuse comparaison s’arrête là dès que vous expérimentez la torture que constitue l’entrée et la sortie de quartier à certaines heures. Pour mériter totalement la comparaison avec ses surs d’Amérique, la circulation devrait être fluide.
Paris. Charles De Gaulle. Opération Vigipirate. Marcher dos et nuque raides en étant sûr de contrôler tous ses bagages
et aussi les colis qui ne vous appartiennent pas. Hauts parleurs scandant la même litanie sur vos droits et vos devoirs envers vos colis et tous les autres colis : »2001 l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick ne ferait pas mieux. Paris, ville lumière ?! »J’en avais vu d’autres »marmonna-t-il. Rien d’extraordinaire sinon que l’intérieur des subways est extraordinairement triste. Rien avoir avec les métros high-tech d’Atlanta ou de D.C. En matière de relations humaines, de contact avec des êtres vraiment vivants, rien ne peut remplacer un trajet dans un autobus bondé de Dakar, d’Abidjan : on y parle, on y critique, on y communique : politique, sports, frasques conjugales, économie
le corpus des débats est illimité dans ces moyens de transport parfois vétustes. Par dessus tout on y sent la présence du vivant. Les yeux des passagers ne sont pas rivés sur des journaux ou sur le plancher comme dans les transports publiques New Yorkais, les ouïes ne sont pas obstrués par un walkman, un discman ou, disons-le en français, un baladeur comme pour signifier aux autres: « Ne m’emmerdez pas, laissez-moi dans mon périmètre de sécurité ! » ; c’est sans doute une autre victoire de l’individualisme et du libéralisme. Ne soyez donc pas surpris par le stress galopant, la peur de l’autre, le refoulement systématique de la tendance très humaine à vouloir sympathiser avec autrui : l’enfer semble t-il c’est vraiment l’autre. Peu à peu, ses souvenirs lui indiquèrent qu’à l’Ouest il y avait vraiment rien de nouveau.
Budapest. La Duna ou pour les manuels de géographie dont on l’avait gavé sur l’histoire de l’Europe : le Danube. Seul nègre perdu dans le long fil d’attente pour faire viser son passeport de sous-développé. Naturellement, regards hagards de part et d’autre. Questions incompréhensibles bredouillées par l’agent de l’immigration. Réponse en anglais sans même savoir le sens de l’interrogation. Réponse prémédité car, dans tous les aéroports du monde, vous êtes soumis probablement au même rituel : quel est le but de votre séjour ici ? Question classique de tout agent de l’immigration qui se respecte. Pas besoin de savoir et de comprendre ce qu’il dit, donnez votre réponse. Chaque pays, il l’avait constaté, a quelque chose de bureaucratique frisant parfois le système communiste : soucis maniaque et méticuleux de vouloir identifier, cataloguer, localiser, aussi bien l’étranger que ses propres citoyens. Et, traverser une frontière n’est jamais chose évidente. Pour expérimenter à l’état pur l’arbitraire, faites un tour à vos propres frontières. Sous les tropiques, idem. On n’est jamais assuré de rien au passage des frontières terrestres ou aériennes. Il l’avait expérimenté sur son propre continent se souvient-il, alors que le flot incessant de ses pensées affluait. On n’y est jamais en règle quelque soit le document qu’on brandira. Les discours les plus beaux, aussi bien articulés soient-ils, risquent de vous compromettre en rendant encore plus difficile votre hypothétique libération. L’unique document, le vrai, devant lequel tout le monde s’inclinera ne porte ni votre nom, ni votre date et lieu de naissance, ni votre profession, encore moins votre photo d’identité et votre filiation. Ce droit de passage automatique ? L’argent, de préférence en devise étrangère. Dès que vous le brandissez, on vous bazarde tranquillement la clé du pays. Il remarqua qu’en Occident, cela semble différent. Même si chaque être humain à son prix (théorie bien connu des maîtres-corrupteurs) l’agent peut, semble-t-il, résister à certaines sirènes. Vos documents de voyage ici, à l’aéroport ont un sens.
Ce n’est plus l’espace de la tradition orale où l’agent de police peut dire, à tout moment : « Je ne sais pas lire ! » Pourtant, il sait prestement compter les billets que vous lui tendrez. Ici, vous devrez présentez des documents en règles et l’agent sait très bien lire. Cependant, vous n’êtes pas à l’abri d’une remarque tatillonne qui peut vous désarçonner et vous expédier vers votre pays d’origine. Ce n’est donc ni tout blanc, ni tout noir des deux côtés de la barrière.
Il revint à la réalité lorsque le taxi s’immobilisa devant la villa. Personne n’était là pour l’accueillir. Ce n’était pas aussi surprenant que cela. Après ses prises de positions sur le plan politique, il était conscient qu’il se trouverait isoler par le père de famille qui dictait les choix les plus intimes de sa progéniture. Lui avait décidé d’utiliser son droit à la différence. Le domestique transporta ses bagages dans le grand salon.
– »Où est le vieux? », interrogea t-il
– »Ils sont tous partis au village. Tu sais patron, y a élection et tout le monde fait campagne maintenant ».
– »Je comprends. C’est un autre périple qui m’attend. Mets mes bagages dans ma chambre s’il te plait ».
Le jeune homme au corps frêle qui faisait office de domestique hésita un instant.
– »Qu’est-ce qu’il y a ? » Demanda-t-il surpris.
– »Grand patron dit de dire à petit patron que y a pas moyen rester ici ».
– »Quoi ? Quelles sont ces histoires-là ?!Je te dis de foutre ses sacs dans ma chambre à coucher, tu me parles de grand
je ne sais quoi à dit. Ça va pas chez toi ou quoi!? »
– »Patron ! C’est-à-dire que
»
– »Qui te demande des explications ?
La tension montait. Le pauvre domestique qui se retrouvait entre deux ordres opposés, décida d’exécuter celui qu’il venait de recevoir à l’instant. Tout en transportant la première valise vers la chambre, il murmura à lui-même :
– »On dit chez nous quand deux couteaux commencent palabres, le coq se cherche ! »
– »Qu’est-ce que tu racontes encore !?
– »Patron, je ne dis rien !! »
– »Passe-moi le phone ! »
Nerveusement, il décrocha le combiné pour essayer de joindre le pater au village. C’est un cousin qui décrocha. Il l’informa que le père était à ce moment précis à un meeting. Et d’ailleurs, il n’était pas près de rentrer sur la capitale. Chacun se devait de rester dans son fief pour récolter le plus grand nombre de suffrage au bénéfice du président autoproclamé lors des élections à venir. Il y allait de la survie financière de tous »ces grilleurs d’arachide ».
Son père, membre influent de ce parti ne voulait pas du tout perdre le bénéfice de toute cette richesse amassée, plus ou moins honnêtement au service du guide suprême. Il le lui avait rappelé un jour :
– »Si tu te pavanes à travers le monde, c’est bien à cause de mon travail de politicien et, grâce aux sous venant d’un pouvoir que tu considères comme corrompu ».
– »Eh bien mon fils, l’argent de la corruption a servi à payer tes périples autour du globe. »
Le débat était devenu presque impossible entre père et fils. Étant donné que le scrutin devait offrir au président 99,99 pour cent des suffrages exprimés, il n’était pas question pour son père de revenir avant le résultat final. Ce serait de la démission et, il se placerait tout droit dans le collimateur du parti.
Le fils décida donc de rejoindre son père dans leur région natal. Il réquisitionna une Toyota 4×4 du parc automobile de la famille et un chauffeur pour entreprendre le parcours des 600 kilomètres jusqu’au village. Ils partirent le lendemain de son arrivée, dès l’aube. La silhouette du paysage se découpait dans le jour naissant.
Monument Valley? Okefenokee? Cape God ? Mojave ? Grand Canyon ? Non ! Tout simplement l’Afrique, continent qui a le malheur de ne représenter qu’un pour cent du commerce mondiale, situé hors des circuits commerciaux classiques. Mais, champ de batailles fertiles en conflits aussi bien absurdes que sanglants, où tout marchand de mort sérieux vient expérimenter ses dernières trouvailles.
Un pour cent des flux commerciaux planétaire selon les statistiques qui, à plusieurs reprises ont tué cette Afrique qui, pourtant, continue de vivre et de bien vivre. Paysages hollywoodiens dignes de classiques tels que : »La chevauchée fantastique », »La charge héroïque ». Au fur et mesure que le soleil pointait du nez, nos voyageurs découvraient des canyons d’une beauté divine, des cimes de montagnes flirtant toute l’année avec les vagabonds nimbo cumulus. La 4×4 serpentait le long des flancs verdoyants de ces cathédrales taillées au vif par la Nature. Pour les quatre voyageurs, ce spectacle était éblouissant. On ne pouvait que s’incliner devant la grandeur du divin et la petitesse de l’humain à la vue de ces contrées magnifiques : »la nature est un temple où de vivants piliers laissent paraître de confuses paroles », avait dit le poète. Chacun était plongé dans ses réflexions matinales. Le chauffeur était contraint de rouler à allure modérée.
De multiples virages l’obligeaient à contrôler en permanence la vitesse. De pittoresques bourgs s’étalaient aux pieds de ces longues chaînes de montagnes. On pouvait y imaginer une vie tranquille : pas besoin de carte de crédit, pas de téléphone, pas d’électricité, ni de journaux avec des nouvelles polluantes. Vivre simplement et être heureux. Ces nomades et paysans sédentaires qu’on rencontre ne semblent même pas être perturbés par ces splendeurs naturelles ; ils sont une partie de ces magnifiques décors.
Machinalement, il capte R.F.I. sur l’autoradio. Les nouvelles les renvoient brusquement à la cruelle et stupide réalité de notre monde : « Les corps frigorifiés de deux adolescents venaient d’être découvert dans le train d’atterrissage d’un avion à Bruxelles » dit le journaliste.
– »Merde !les gars, deux jeunes sont morts pour un mirage ! »
– »Non ! Moi je dirai que deux jeunes africains sont morts au combat pour tirer encore, pour la »n »ième fois, le signal d’alarme de la misère. »
Les informations en continue évoquaient une polémique entre les deux pays, d’autant plus que les deux jeunes hommes avaient laissé une lettre pathétique expliquant leur motivation. De Bruxelles, on voulait insister sur l’irresponsabilité des dirigeants nègres : ceux qui, au lieu d’utiliser l’aide au développement pour le bien-être social de leur population, s’enrichissaient et laissaient périr leurs forces vives.
– »Tout cela sent la connerie, la mauvaise foi transpire des deux côtés, que ce soient nos politicards ou ceux de Bruxelles, c’est tous les mêmes malfrats. Ces gars savent mieux que nous les filières que l’aide à la coopération réemprunte pour retourner en Helvétie. »
– »Tu as raison ! Qu’ils cessent de nous emmerder avec ces imbécillités ».
Il réussit à capter cette fois la radio nationale. C’était l’actualité du jour. Ici, on dénonçait le néo-colonialisme qui, en bradant au nom d’un soi-disant commerce international et d’un libre-échange les cultures d’exportation, et en affaiblissant jour après jour le paysan, cultive la misère. Les interventions des ministres dénonçaient aussi l’irresponsabilité des parents des défunts.
– »Ce n’est pas croyable. Que peuvent faire des parents en face de la misère, de l’horizon hermétiquement bouché. Il n’y a pas d’espoir donc les gars se cherchent ! »
– »Je paris que ce soir, à la télévision nationale, on aura droit aux mêmes conneries. Ils vont encore nous montrer les vrais-faux statistiques qu’eux seuls ont le secret sur la croissance en flèche du pays vers les cieux de la prospérité et pourtant
.. ! »
– »Je me demande bien qui concocte ces chiffres à la con »?
– »Vraiment, ils prennent les gens pour des gnamokô-dén, des je m’en fous
! »
L’autre renchérit : »des en bas de chaussure ! »
– »C’est comme s’il voulait cacher le soleil avec les mains, personne n’est bête quand même !! On n’a pas besoin d’être Docteur en économie ou en sciences sociales pour comprendre que la population vit dans le dénuement. »
– »Eh djo! Mets un peu de musique ! On est fatigué avec ces politiciens qui nous prennent pour des chameaux. Tous des menteurs !
Il sentit cette dernière intervention comme une offense mais n’osa pas réagir. Il était conscient que son père faisait parti de cette clique de politiciens malhonnêtes dont on parlait. Son pater voulait »manger »pour cela il fallait s’accoquiner avec les politiciens et aussi faire de la politique. C’était une sorte de sport nationale que de battre campagne pour le président, le pain quotidien en dépend. Et, quand on commence à »manger »on ne veut plus s’arrêter ; c’est si facile de tromper, de raconter des balivernes aux populations analphabètes. On est sous menace que lorsqu’on décide de ne plus chanter la même chanson que le parti au pouvoir. Si vous essayez de vous désolidariser du parti, toutes les vraies-fausses statistiques sur votre richesse personnelle, votre gestion des affaires seront étalées au grand jour. Vrais ou faux, on s’en fout éperdument. Le parti fonctionne comme une société de sorcière. On y rencontrait tous ceux experts en caméléonisme politique qui se sont échappés des autres partis politiques, pas par idéalisme mais, parce que, l’appel du ventre devenait pressant. Une fois que vous y entrez, le rêve d’en sortir est à écarter si on tient à sa peau et à celle de sa famille : Cosa Nostra. Seulement lui, il ne comprenait rien à rien. S’étant nourri de démocratie à la sauce occidentale, il osait critiquer le parti publiquement, mettant son père et tout le clan dans l’embarras. Il était convaincu que les soleils de la démocratie, de la belle et grande démocratie athénienne pouvait prendre forme totalement et complètement aux abords de la jungle.
La Toyota 4×4 poursuivait son parcours. Ils venaient de traverser le Niger sur le pont flambant neuf. On n’était pas loin du village natal. On sentait dans l’air la fin de la saison sèche. Les premières pluies avaient rendu la savane plus verdoyante. Quelques kilomètres plus loin, la voiture s’immobilisa devant la superbe demeure du député de la région. Le chauffeur mit le premier pied à terre. Il l’imita avec ses deux amis. Seul le cousin qu’il avait eu au téléphone la veille était là pour l’accueillir. La famille dans sa grande majorité le boudait. Apprenant que son père était au salon, il s’y dirigea précipitamment.
Celui-ci était assis, un verre de jus d’orange à la main, suivant les informations à la télévision. On y évoquait encore la mort tragique des deux adolescents. Son bonsoir eût une réponse assez distante.
Le père lui demanda froidement s’il avait fait bon voyage, comme s’il y était obligé seulement par devoir filial. Il ne répondit pas.
– »Je voudrais savoir pourquoi je ne peux pas occuper ma chambre ? Selon tes ordres m’a dit ton bonhomme ».
– »Tu sais très bien pourquoi. Pas besoin d’épiloguer là-dessus. Tu ne partages pas mon engagement politique, et tu le dénonces publiquement au risque de nous foutre tous à la rue. Ne sois pas égoïste ! »
– »Je ne suis donc plus libre de parler, de donner mes points de vue politiques ? N’est-ce pas vous les nouveaux ténors de la démocratie !?Alors j’exerce mon droit à la libre expression. »
– »O. K. fils je vais me reposer. J’ai un important meeting demain et je veux rester concentrer. Le débat est clos. Bonne nuit ! »
Le père se dirigea droit vers la télévision, l’éteignit, sûrement pour lui signifier qu’il doit déguerpir, et se dirigea vers sa chambre à coucher.
La ville se réveilla avec une ambiance indescriptible de fête. Il y avait deux meetings ce jour-là : celui de la coalition de l’opposition et celui du parti au pouvoir, le parti de son père. Les militants affairés se déplaçaient dans toutes les directions. Et comme toujours, le marché avait été fermé sur ordre du préfet de région qui, naturellement, était soumis aux ordres du pouvoir central. Ses amis et lui décidèrent de rentrer sur la capitale.
– »Pas besoin de s’emmerder avec des meetings politiques où le mensonge est la règle », avait dit un de ses compagnons de route.
Ils venaient de retraverser le nouveau pont, cela faisait environ quarante cinq minutes qu’ils roulaient, quand ils furent arrêtés manu militari par une voiture de la police. Le temps de vérifier leur identité, un cargo militaire déboucha à vive allure, écumant de poussière l’horizon. La police avait reçu la consigne, par radio, de les retenir. Une vingtaine de bidasses l’air menaçant s’éjectèrent du camion. On les encercla. L’un d’eux qui paraissait être le chef intervient de manière péremptoire :
– »Vous êtes en état d’arrestation pour avoir semé le trouble et pour avoir incité les paisibles populations à la violence. Puisque vous semblez instruits, on appelle ça atteinte à l’ordre public. Embarquez-les ». Ils furent jetés sans ménagement à l’arrière du véhicule militaire.
Les deux meetings politiques avaient dégénéré en affrontement entre militants adverses. Bilan : trois morts.
///Article N° : 4347