Militant de foyer, un engagement à conjuguer au pluriel

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Souvenons-nous des « grandes grèves » des foyers Sonacotral. Elles rassemblèrent plus de 30 000 travailleurs migrants entre 1975 et 1980. Leurs revendications, (droit à la vie privée, droit de réunion, statut de locataire) très partiellement satisfaites, retrouvent un écho tout particulier dans le contexte actuel où beaucoup de foyers vétustes sont réhabilités. Des forces vives, militantes, prennent la parole pour défendre, encore et toujours, ces droits. Boubou Soumaré, délégué du foyer Bailly (Saint-Denis, 93) et président de la coordination des foyers de Plaine Commune, est du mouvement. L’écho de sa parole résonne timidement hors des cercles militants et syndicalistes. Mais elle mérite notre attention dans un contexte politique crispé sur l’immigration.

Vendredi 6 décembre, c’est dans un froid de loup qu’une dizaine, puis une vingtaine, enfin une quarantaine d’hommes se rejoignent sur le parvis de la mairie de Saint-Denis (93). Ils habitent des foyers de travailleurs migrants de Seine-Saint-Denis et sont membres de la coordination des foyers de Plaine Commune, dont Boubou Soumaré est le président. Aux côtés de son compère Jean Bellanger, militant incontournable à St-Denis, il rappelle le sens de cette présence. « Nous revendiquons trois choses : notre droit à la vie privée, la reconnaissance des comités de résidents dans tous les foyers et le maintien d’espaces de vie collective après les travaux, dans les résidences sociales ». Ce soir se tient un meeting du Front de gauche, l’occasion pour ces hommes d’interpeller les élus locaux. Déjà, début 2013, ils avaient exprimé leur colère jusque dans le bureau de Cécile Duflot, ministre du Logement. Avec le COPAF (Collectif Pour l’Avenir des Foyers) et le syndicat de la CGT, Boubou avait anticipé le projet de loi pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) pour se faire inviter au ministère. Un an plus tard, non satisfait d’une timide prise en compte des problématiques des foyers dans la proposition de loi, un autre rendez-vous fut organisé. Une ténacité fructueuse puisque depuis, Cécile Duflot a reconnu la légitimité des comités de résidents.
Pour un dialogue social
« On n’a pas pensé cette coordination pour faire la guerre entre résidents et gestionnaires, mais pour l’amélioration de nos conditions de vie » insiste Boubou, bonnet visé sur la tête et grands yeux rieurs. Née il y a un an et demi, la coordination des foyers de Plaine Commune s’inspire de la constitution de la communauté d’agglomération du même nom. Boubou raconte >em> »A l’ origine, Jean Bellanger avait créé l’association des comités de trois foyers. Mais ce n’était pas suffisant : il y a plus de 30 foyers à Plaine Commune dont 8 à St-Denis. Nous ne sommes pas logés dans les mêmes enceintes mais nous partageons les mêmes problèmes ». En plus du ministère, la coordination a été reçue par le président de Plaine Commune Patrick Braouezec et par le maire de St-Denis, Didier Paillard. Première revendication des résidents : le droit à la vie privée, qui passe par la reconnaissance d’un statut de locataire aux résidents : « Nous sommes considérés comme des hébergés alors que nous payons des loyers comme des locataires de HLM. Or on ne peut pas être chez soi et être hébergé en même temps ». Les loyers que les résidents payent, appelés redevances, n’ont pas le statut juridique de loyer en effet. De même, pouvoir héberger un proche ou changer la serrure de sa chambre n’est pas une liberté acquise. « Aujourd’hui les résidents sont le dos au mur, c’est pourquoi ils sortent », assène Boubou. Le foyer Bailly par exemple est en pleine reconstruction, et ses habitants logeront bientôt dans une nouvelle résidence sociale. Chacun vivra dans un studio avec sa kitchenette et ses sanitaires. Un soulagement pour ceux qui ont besoin d’une autonomie, d’une liberté qui manquait dans la promiscuité subie au foyer. Mais une angoisse de voir la solidarité et la cohésion s’effriter dans des logements pensés pour un mode de vie à l’individuel. Et une inquiétude face à la hausse des loyers, qui de 184 euros en moyenne passeront à 384 euros minimum. Source de nombreux conflits, la suppression des espaces de vie collective (cuisine, salle de prière, salle de réunion) est en effet un point très sensible lors des réhabilitations des foyers. Boubou point du doigt une forte contradiction entre cette réduction des possibilités de vie sociale et le discours politique ambiant : « Il faut qu’on arrive à casser cette idée que les gens des foyers sont repliés sur eux-mêmes. Nous faisons des portes ouvertes pour dire aux gens venez découvrir notre mode de vie. Ça devrait intéresser les politiques parce que ce que nous faisons, c’est du social ! Si nous étions dans le communautarisme, nous ne ferions pas toutes ces initiatives. Les résidences sociales sont pensées pour être mixtes, nous ne serons pas qu’entre hommes, pas qu’entre africains ou maghrébins. Des espaces collectifs signifient des réunions, du social. C’est l’État qui nous pousse au communautarisme lorsqu’il n’écoute pas notre demande ».
Un parcours d’engagement
Boubou a une longue et transnationale expérience de l’engagement. Déjà, étudiant en Mauritanie, il faisait partie d’une des dix associations de jeunes de son village. Aujourd’hui, du côté de la diaspora, il est membre de l’association des jeunes ressortissants de ce même village, qui a beaucoup de ramifications en Europe. Comme la plupart de ces associations villageoises, elle permet de financer des projets de développement dans les régions d’origine des migrants. Le jeune Boubou était aussi investi en politique, dans le parti d’opposition Action Pour le Logement, aujourd’hui dissous et devenu APP. Son engagement lui causa même quelques déboires et il dû quitter les études plus tôt que prévu. En 2003, Boubou part pour la France et retrouve son cousin à Conflans Saint-Honorine (78). Il bifurque par la Savoie pour y travailler quelques années puis revient à Paris en 2006. Il vit depuis au foyer du Bailly et assume le rôle de délégué du comité de résidents. Magasinier, technicien de surface à l’aéroport puis ouvrier à PSA Citroën, il tente aussi l’auto-entreprenariat. Il n’y gagne pas grand succès mais n’oublie pas l’idée de retourner au pays pour monter sa petite entreprise, qui sera, une chose est sûre, dans le domaine social. Cet engagement lui colle un peu à la peau c’est vrai, alors qu’il travaille en ce moment au Samu Social comme animateur : « C’est un métier qui m’inspire beaucoup, qui m’ouvre l’esprit. Lorsque je vois une personne dans une situation difficile je pourrais me dire que cela peut m’arriver, mais j’essaye de la sortir de cette situation et je ressens un très grand soulagement ».
Retour au froid dionysien et à la politique. « Il faut battre le fer tant qu’il est encore chaud », affirme avec calme et volonté Boubou, qui veut profiter de la future campagne électorale pour faire pression sur les élus. « On ne demande pas grand-chose, juste qu’on nous considère comme des citoyens à part entière. Le foyer n’est pas un camp, les gens qui y vivent sont légitimes, ils travaillent comme tout le monde, veulent vraiment s’intégrer, avoir un toit et se lever le matin pour travailler. Ils ont des projets en tête. Mais ces projets ne peuvent pas se réaliser en dehors des foyers. Il faut qu’on ait des lieux pour discuter ensemble dans les foyers. On veut que l’État agisse ». Autre acte militant et politique signé Boubou et la coordination : une lettre envoyée à Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Il y dénonce les conditions de recensement imposées par le gouvernement mauritanien à ses ressortissants en Europe en amont des élections présidentielles qui ont eu lieu le 23 novembre en Mauritanie. « Il y a 3 bureaux de recensement en dehors de la Mauritanie, un en Côte d’Ivoire, un autre en Arabie Saoudite et un seul pour toute l’Europe, qui est en France. Seulement pour le bureau français, on exige aux Mauritaniens de présenter leur carte de séjour pour pouvoir prouver leur mauritanité, se faire recenser et donc pouvoir voter. Ça fait plus de deux ans que ce recensement a commencé, tout le monde sait que la population mauritanienne représente 1 300 000 habitants mais actuellement même pas la moitié de la population est recensée ». La réponse du gouvernement laisse Boubou perplexe mais ce militant de tous les fronts n’en est pas à un combat perdu près.

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