Selon Philippe David, « les villages noirs ont participé positivement à la lente et malhabile découverte réciproque des peuples périphériques ». Il cherche par son livre co-écrit avec Jean-Michel Bergougniou et Rémi Clignet, « Villages noirs et autres visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870-1940) » (Editions Khartala nov. 2001) à en « relativiser l’impact pour mieux appréhender la teneur des contacts qui ont pu s’opérer avant le temps des indépendances ».
Nous n’offrons pas sans hésitations le texte de Philippe David à nos lecteurs. Certains n’hésitent en effet pas à qualifier les thèses soutenues ici de « révisionnistes », au sens où elles amoindriraient la réalité historique, n’en sélectionnant que des aspects positifs, afin de dédouaner les acteurs de la période coloniale. Cette querelle d’historiens à coups d’articles dans Le Monde Diplomatique nous semble trop importante pour la passer sous silence et constitue un édifiant exemple de la difficulté à revisiter aujourd’hui la colonie.
Les historiens de l’ACHAC ont publié de nombreux écrits sur ces villages exotiques qualifiés de « zoos humains », et nous avons tenu à leur donner nous aussi une place dans ce dossier. Nous sommes également partenaires pour soutenir la série de conférences organisées avec la Chaire de l’Institut du monde arabe et le CNRS sur « Zoos humains, mémoire coloniale » en octobre-décembre 2001.
Cette approche historique qui cherche à aborder « la genèse et les répercussions dans la longue durée du regard sur l’Autre » nous semble fondamentale et au centre de notre propre travail. Elle ne va pas sans soulever des vagues. Dans Le Monde diplomatique de novembre 2001, l’historien Samuel Tomei interroge un « devoir de mémoire » fondé sur la morale. Suggérant que ce devoir de mémoire a tendance à isoler des faits révélateurs ou à en taire d’autres, il écrit que « l’on condamne les mystifications de la mémoire républicaine moins pour chercher à approcher la vérité que pour affouiller la République dans son principe ».
Est-ce disqualifier la République que de mettre à jour ses contradictions ? Les distorsions des valeurs républicaines pour légitimer l’aventure coloniale ne sont pas que du passé. On en retrouve de solides traces dans la vision actuelle des immigrés. A cet égard, les villages noirs qui ne sont effectivement autres que des zoos humains furent un outil exotique parmi d’autres, mais non des moindres, pour générer un regard sur l’Autre ancré dans la vision raciste. Mettre à jour les clichés, toutes ces représentations imaginaires issues de la théorie des races et du rapport colonial, peut contribuer à les déconstruire. La République en a bien besoin.
Si nous publions le texte de Philippe David, c’est que, soucieux de rendre compte d’un débat, nous considérons nos lecteurs intelligents, capables de déceler les contradictions et de deviner les non-dits.
Mais c’est aussi que nous ne croyons pas au noir et blanc, au vrai et au faux, aux démonstrations implacables. Que les villages noirs, tout zoos humains qu’ils étaient, ont sans doute eux aussi permis des rencontres et des avancées de même que l’infamie innommable de la traite négrière a paradoxalement permis de féconds métissages dont profite aujourd’hui la terre entière. Ce qui ne la justifie bien sûr en rien. Et qu’il nous semble que cela aussi, il faut pouvoir le dire.
Enfin, ces querelles d’historiens franco-françaises nous semblent se dérouler en l’absence de ceux qui en sont pourtant le centre et les plus aptes à valider le qualificatif de « zoo humain » : les Africains. Quid de la recherche africaine sur ces questions ? Quid des souvenirs marquants et transmis à leurs enfants de ces femmes et de ces hommes qui furent ainsi montrés comme des animaux sous prétexte de mieux les connaître ? Cette mémoire encore vive est difficile à rassembler. Nous nous y attacherons dans un proche avenir.
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