Zaïko est une contraction du lingala « Zaïre ya ba Koko » (le fleuve Zaïre de nos ancêtres). C’est un nom inspiré par l’histoire de la découverte du fleuve de ce pays par l’explorateur Diego Caô. Cet orchestre existe depuis le 24 décembre 1969. Nyoka Longo, dit Jossart, en est le président administrateur.
Peut-on dire que la musique congolaise a réussi à sortir du ghetto maintenant qu’on la voit dans les grandes salles mythiques parisiennes, Olympia, Zénith, Bercy… ?
Je crois que nous avons encore un long chemin à faire pour sortir cette musique du ghetto, la promotion étant totalement absente sur le plan international. Les producteurs qui prennent notre musique en charge ne se contentent que des ghettos, les circuits du public africain en général et du public typiquement congolais.
Je pense donc que ces passages à l’Olympia, Zénith etc n’apporte pas grand chose. C’est le même public qui assistait à nos productions dans les différentes salles à Paris que nous emmenons au Zénith, on y retrouve pas d’autres nationalités. Je le dis par rapport à la musique d’Afrique de l’Ouest que font les Youssou Ndour par exemple. Ce n’est pas le même public !
Le lieu de répétition de Zaïko à Kin est considéré comme un lieu de rencontres musicales et de solidarité : on y trouve les affiches des autres groupes, toutes tendances confondues. Comment arrives-tu à offrir une telle image dans une musique congolaise tiraillée par des rivalités de tous genres ?
Dans Zaïko, nous avons une particularité artistique : 80 % des groupes qui se sont créés dans notre pays se sont inspirés de Zaïko ou sont passés par lui. Par exemple Papa Wemba est l’un des premiers musiciens de ce groupe, avec Manuaku Waku et moi même.
Papa Wemba est parti de Zaïko avec les Evoloko pour créer Isifi, de Isifi sont sortis deux ou trois autres groupes. Papa Wemba est parti encore de Isifi avec les Mavuela pour créer Yoka Lokole qui à son tour a donné naissance à d’autres ensembles dont Viva la Musica. Zaïko est donc le patriarche de tout un clan !
Et sur le plan artistique, Zaïko est la troisième école de la musique congolaise après les Docteur Nico et les Franco. Tout ce que les groupes, congolais en particulier et même africains en général, jouent aujourd’hui constitue les apports de Zaïko dans la musique : le tempo de la batterie, la caisse claire, la manière de jouer le « seben », partie dansante d’un morceau, ainsi que l’équipe d’animation avec les « atalaku », nos rappeurs congolais. Tout groupe qui se crée prend Zaïko comme modèle et veut faire comme lui !
A une époque, Zaïko était réellement comme son nom l’indiquait « le tout choc, l’anti-choc », leader de cette troisième génération. Que s’est-il passé depuis, pourquoi cette sorte de relégation ? Est-ce de la mégestion, un problème artistique, matériel ou la génération actuelle a-t-elle réellement un plus qui vous manque ?
Tout est parti des derniers départs. Car après notre album « Avis de recherche« , nous avons perdu au moins le tiers du groupe qui est resté en Europe. Il fallait repartir à zéro, ou plutôt de zéro. Et pour refaire un groupe comme celui-ci, étant donné notre répertoire, notre tempo, notre esprit, il faut compter trois à quatre mois. Ensuite il faut aussi du temps à ceux qui arrivent pour s’intégrer sur le plan artistique… Ce n’était pas du tout facile !
Nous avons quand même pu faire un album, « Nous y sommes« , qui a marché mais j’ai dû essuyer cette fois le départ de ceux qui étaient restés avec moi, ceux avec qui j’avait fait le parcours de trente ans, Méridjo et Bapius. Il fallait à nouveau recruter… Nous avons donc perdu trois à quatre ans à se chercher, ce qui fait que le public nous ait quelque peu oublié.
Vous avez actuellement un album sur le marché et qui marche, « Feelings », quelles sont vos perspectives d’avenir ?
Beaucoup de promotion, c’est ce qui cale en ce qui concerne la musique congolaise. Ce maxi single que nous avons sorti était pour nous un test pour juger la nouvelle équipe, et je peux me dire satisfait de l’accueil réservé par le public.
Nous comptons voyager pour une tournée euro-américaine afin de relancer le groupe et faire sa promotion en nous appuyant d’avantage sur les médias étrangers.
Pensez-vous qu’une tournée extérieure soit plus importante qu’ici sur place au pays ?
Sur le plan intérieur, avec la guerre et l’occupation des deux tiers du pays, on ne peut pas aller plus loin que le Bas Congo et le Bandundu. C’est pourquoi nous pensons aller plutôt vers l’extérieur qui d’ailleurs nous ouvre beaucoup plus d’opportunités tant sur le plan promotionnel que commercial.
Actuellement il existe un grave problème de leadership et une sérieuse vague de départs d’un orchestre à un autre surtout dans la génération montante. C’est d’ailleurs une des causes de rivalités musicales en RDC. Comment Zaïko qui s’est totalement renouvelé et rajeuni pense gérer cela au sein du groupe ?
Il s’agit là d’une question de gestion de personnes. Avec notre expérience, nous pensons que c’est des choses qui ne nous arriverons pas, bien que 40 à 50 % des membres du groupe soient des jeunes de cette génération des Wenge. Et puis dans la musique congolaise c’est toujours notre entourage qui est à la base des dislocations au sein de nos groupes !
A ce propos, ne penses-tu pas que l’introduction de contrats en bonne et due forme changeraient les rapports des musiciens à leur groupe, du moins dans le comportement et dans les déclarations ?
La notion de contrat n’est pas nouvelle dans notre musique. Tous ceux qui sont dans Zaïko sont sous contrat, ceux qui viennent d’arriver sont en période d’essai de trois mois. Donc à mon sens c’est pas le contrat qui résoudra ce problème.
Tu sais la difficulté dans notre métier c’est qu’il n’existe pas a priori des critères intellectuels ou administratifs pour faire partie d’un ensemble. C’est davantage une question de talent. Nous gérons des gens de niveaux intellectuels différents, de niveaux d’éducation différents, et ce n’est pas un contrat qui pourrait changer les déclarations d’artistes ni remédier à leurs comportements, surtout dans les jeunes groupes aujourd’hui. Est-ce que ceux qui signeront ce contrat en comprendront vraiment les clauses dans leur fond beaucoup plus que dans leur forme ? C’est cela la vraie question.
Chez nous, nous avons le contrat de travail et le règlement d’entreprise. Zaïko est une société à part entière avec un n° de registre de commerce, un n° d’identification national et deux avocats conseils. Et pour revenir à cette histoire de contrat, quelqu’un peut le signer aujourd’hui et quitter le groupe demain sans se gêner de raconter n’importe quoi. Je pense qu’une solution en soi est difficile à trouver. Et d’ailleurs c’est pas un phénomène nouveau ni propre à la RDC. L’histoire de la musique a connu des séparations tapageuses telles que celles des Beatles, les Rolling Stones, celle de la famille Jackson et plus récemment celle des Kassav, Zouk Machine…
Comment juges-tu la génération actuelle des musiciens, la génération Wenge ?
Sur le plan artistique, je dirais que ce sont des jeunes qui ont de la volonté mais qui n’ont encore rien fait de concret musicalement, beaucoup étant arrivés dans le milieu par aventure. Je le dis parce qu’ils n’ont pas de modèles. Si jamais c’est le cas, c’est peut être par rapport à la sape, à la beauté, au vedettariat : ce n’est pas sur un plan artistique. Ce qui ne fut pas le cas avec nous à l’époque. Nous avions nos modèles, on voulait chanter comme Grand Kallé, Tabou Ley, on voulait jouer à la guitare comme Docteur Nico… Aujourd’hui beaucoup de jeunes arrivent dans la chanson parce qu’ils ont échoué ailleurs, bayaka ko buaka nzoto na ndulé (ils viennent ‘se jetter’ dans la musique), comme on dit en lingala.
Alors quel sera le conseil d’un vieux routier qui a connu et vécu de nombreuses vagues de départs, qui à chaque fois a le courage de tout reprendre à zéro ?
Cette profession, il faut d’abord et avant tout l’aimer, avoir la volonté et la patience nécessaires pour aller jusqu’au bout, surtout la patience. Il faut aussi connaître le métier, ce qui n’est pas donné à n’importe qui. C’est la trempe de ceux qui sont venus dans Zaïko en même temps que moi ou ceux qui étaient avec Franco dans l’Ok Jazz qui peut résister pendant deux ou trois décennies. Je demanderais donc à ces jeunes qui sont arrivés dans la musique par aventure de chercher d’abord à connaître le métier et avoir beaucoup de patience.
En dehors de la musique, es-tu quelqu’un d’autre ? Penses-tu déjà à la reconversion ?
Jusque là, je ne sais pas si je pourrais abandonner la musique, à moins de devenir indisposé physiquement. Je préfère plutôt combiner la musique à autre chose, ça c’est possible.
Et quel est ton regard d’artiste musicien par rapport à la situation que connaît le pays ? Comment vis-tu ton métier dans un pays en guerre ?
C’est très difficile pour les artistes que nous sommes car on ne peut pas faire des tournées à l’intérieur de notre propre pays… Quand nous débutions dans la musique, très jeunes, nos parents nous disaient que les musiciens étaient des voyous, les Franco Luambo et les autres ! Mais depuis, nous sommes des adultes, ça fait deux décennies que nous travaillons dans l’art dans ce pays. Je me pose toujours la question de savoir qui du politicien et du musicien est voyou… Car tout ce que nous récoltons aujourd’hui est le fruit du mauvais travail des politiciens. Ils sont tellement égoïstes et manquent d’amour du prochain. Résultat : cette histoire de guerre qu’ils nous ont emmenée et qui n’en finit pas !
Et le phénomène « shégués », les musiciens n’en parlent qu’avec des cris dans leurs chansons, mais qu’est-ce que vous faites concrètement pour eux ?
Je pense que quand les shégués sont chantés par certains de mes collègues, ils veulent en tirer quelque chose, de la popularité ou autre chose. Il y a même certaines actions sociales faites pour eux avec beaucoup de publicité mais qui ne représentent dans leur vie de rue que deux à trois heures de temps, deux ou trois repas de midi puis plus rien !
C’est pas ça qui va les aider. Je pense que puisqu’ils nous écoutent, nous les musiciens, nous devons arriver à nous organiser avec l’autorité pour les rassembler quelque part et leur prodiguer quelques conseils. Ce serait en tout cas une meilleure contribution que de leur donner un repas puis attendre encore une année ou deux pour agir de nouveau, ça c’est pour amuser la galerie je crois.
La somme des artistes congolais est un lobby assez puissant en RDC, mais qu’est-ce qu’ils font ou ont déjà fait concrètement pour leur pays ? Youssou a monté un studio chez lui…
Si je dois parler sur le plan général, l’artiste congolais ne peut encore rien faire ici au pays concrètement genre studio parce qu’il est avant tout mal rémunéré. Mal rémunéré par l’autorité, par l’Etat sur le plan intérieur. Et sur le plan extérieur, je crois que notre musique ne se vend pas comme les autres musiques.
Sur le plan interne, l’Etat doit aux auteurs compositeurs, par le canal de la radio et de la télévision, plus de 60 millions de francs belges et ce depuis plus de vingt ans. Les musiciens sont exploités sans pour autant être rémunérés. Car l’artiste doit payer la pub à la télé ou à la radio comme une brasserie ou une société de tabac, alors que c’est par le support des artistes que la télé et la radio de l’Etat fonctionne. Et en plus ces médias ne paient pas l’artiste.
Mais sur un plan individuel, beaucoup de musiciens n’ont pas encore de conscience, professionnelle ou autre. La parade qui intéresse c’est avoir une belle voiture pendant qu’on n’a même pas une guitare, pas de sono, pas d’instruments. Et pour jouer, on va louer le matériel chez celui qui n’a pas de Mercedes ! C’est malheureux. C’est être comme un maçon qui manque de truelles mais qui possède une grosse caisse. Pour construire une maison, il lui faut en emprunter quelque part, alors qu’il roule en Mercedes. C’est donc une question de priorités que les artistes n’ont pas.
Un dernier mot ?
Il faudrait que notre gouvernement fasse quelque chose, un geste, une action pour la promotion de notre musique, de nos arts, afin que les artistes puissent bénéficier de leur travail.
site officiel : http://www.zaikolangalanga.com////Article N° : 2706