Dans toute son uvre tant littéraire que cinématographique, Sarah Bouyain prend son métissage comme sujet. Littéraire à travers le personnage de Rachel dans le roman Métisse façon ou celui de Cassandra dans la nouvelle Dix filles sans papier. Cinématographique dans sa propre relation avec l’histoire de sa grand-mère pour relater le destin méconnu des métis nés au Burkina Faso durant l’époque coloniale dans le documentaire Les Enfants du Blanc. C’est donc du point de vue d’Amy qu’elle se situe ici, qui vient de perdre son père français en région parisienne et se rend à Bobo Dioulasso à la recherche de sa mère, qu’elle n’a pas revue depuis son enfance. C’est justement en région parisienne que l’on suit Mariam, une femme immigrée taciturne qui donne des cours de dioula à Esther, cadre de l’entreprise où elle fait le ménage. A Bobo, Amy s’installe chez sa tante, l’énigmatique Acita qui voit en elle la fille qu’elle n’a pas eue. Voici donc trois femmes liées par un destin qu’elles ne partagent plus, mais qui en sont le jeu chacune dans leur coin.
C’est autour d’Amy que tourne le film car c’est son trouble le sujet. Le métissage est d’abord une incertitude, surtout si un des deux termes est introuvable. Amy cherche sa mère mais réalise combien c’est sa part africaine qu’elle a du mal à cerner. Elle ne peut définir une appartenance face aux multiples pièges que lui tendent son incapacité à communiquer en dioula et sa méconnaissance du milieu. Elle reste une étrangère.
Film de femmes où les hommes sont quasi-absents, Notre étrangère joue sur ces différentes sensibilités à fleur de peau, dépliant sans les expliciter mais en les rendant d’autant plus présentes la panoplie des blessures. Les alternances du montage mettent en écho le blues de Mariam sans nouvelles de son enfant et l’obstination d’Amy à retrouver sa mère, tandis que les silences d’Acita rendent le puzzle inextricable.
La douceur très physique du rythme et de la mise en scène ne manque pas de beauté mais le film a du mal à tenir ce programme sur la durée. Sans doute cela tient-il au traitement des troubles de ces femmes. Plutôt que de bâtir comme la romancière Marie Ndiaye sur le fantastique et le fantasmatique pour en extirper les contours, Sarah Bouyain en étale l’interminable spleen. Elle décrit plutôt qu’elle ne se heurte à la tension du trouble, et en démonte dès lors l’énergie.
Cela se retrouve dans la direction d’acteurs. Dorylia Calmel, qui maniait souverainement le sexe et la mort dans Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo, ne peut bâtir ici qu’une Amy nerveuse voire hystérique. Assita Ouedraogo, femme déterminée dans La Promesse des frères Dardenne, semble éteinte à jamais. Quant à Blandine Yaméogo, qui incarnait dans Delwende de Pierre Yaméogo la dignité d’une femme diabolisée, elle perd ici sa belle présence dans un personnage peu développé.
Cette perte d’énergie tient aussi aux faiblesses d’un scénario trop cousu de fil blanc dont le spectateur suppute les tenants à la faveur des parallélismes insistants avant que les personnages ne les révèlent. Le rapport à la langue, omniprésent dans le film puisqu’Esther apprend le dioula, qu’Amy ne le comprend pas et qu’Acita ne s’exprime que dans cette langue, aurait pu être un moteur du récit mais il devient lui aussi démonstratif, illustration de la difficulté de définir son appartenance. On peut se couler dans cette attachante évocation du sentiment d’être étranger et y trouver des éléments d’identification, mais Notre étrangère peine quand même à en élargir la portée pour nous aider à repenser notre rapport au monde.
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