A force d’abuser des raccourcis réducteurs (ici « la blues woman mauritanienne ») les producteurs, même les meilleurs et les mieux intentionnés, finiront par tomber tête baissée dans le piège que leur tendent les adeptes à tout prix du marketing menteur. On cherche en vain dans cet album, bien sûr, la moindre trace de blues, même dans l’excellent « Yarab « , qualifié qui plus est à contre-sens de » blues rugueux » alors que ce chant religieux, comme tout le reste de ce disque d’ailleurs, n’est vraiment que douceur et délicatesse.
S’il y a quelque chose de rugueux ici, ce n’est (parfois, pas toujours) que gaucherie et maladresse d’une production envahissante au point d’en être quelque peu agaçante. On se demande d’ailleurs pourquoi convoquer des improvisateurs aussi flamboyants que Bojan Z ou Éric Legnini si c’est pour les aplatir dans un son d’ensemble si anonyme.
Après cette volée de bois vert il faut préciser que ce disque est très séduisant, à défaut d’être aussi émouvant que le précédent » Dunya « .
Malouma se distingue de la plupart des grandes griottes maures (plutôt » rugueuses « ) par une voix d’une justesse et d’une souplesse presque lascives. C’est aussi une formidable improvisatrice, digne de son père le génial Cheikh Moktar Ould Meïddah, qu’Allah ait son âme !(*)
Elle possède comme papa une maîtrise parfaite des modes traditionnels en même temps qu’un profond désir d’innover, et elle saura sûrement toujours les imposer dans n’importe quel contexte. C’est ce qu’elle fait ici avec bien du mérite – impérieusement dans les quatre morceaux (sur douze) où on la laisse un peu jouer de son merveilleux instrument, la harpe ardin, plus timidement sur les autres.
On peut s’interroger aussi sur l’abus des effets de mixage intempestifs qui en arrivent par instants à rendre méconnaissable un si belle voix. On sait que Malouma est devenue en Mauritanie l’icône d’un début d’émancipation féminine. Faudrait-il donc, pour en faire une star ailleurs, se résoudre à » voiler sa voix » ?
Ne boudons pas notre plaisir : « Nour » est bien beau malgré tout, mais en l’écoutant d’une oreille un peu ironique, on ne manquera pas de se demander si son « réalisateur » (Philippe Teissier du Cros) ne ferait pas mieux, à l’instar d’un Bill Laswell ou un Kip Hanrahan (comparaison n’est pas raison) de signer ses disques de son propre nom !
(*) On peut entendre un prodigieux solo (chant et luth tidinit) de Moktar Ould Meïddah, le père de Malouma, dans l’album » Musique Maure » (Prophet / Universal).Nour , de Malouma (Marabi / harmonia mundi)///Article N° : 5888