Treize nouvelles et autant de caravanes. Dans le deuxième volet de sa trilogie djiboutienne, Abdourahman Waberi sillonne à son habitude la Corne de l’Afrique, si chère à ce nomade littéraire. N’écrit-il pas dans une de ses nouvelles : « Où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu emporteras ton pays sur ton dos et n’en déplaise à ceux qui veulent te persuader du contraire, on ne peut s’exiler de soi-même. » La réédition en format poche de Cahier nomade est l’occasion de relire les balades dans un Djibouti rêvé-réel. Entre les souvenirs des séances de cinéma, les folies du pouvoir et les femmes-fleurs aux yeux d’amande, Waberi nous dresse un portrait plein de poésie de son »pays inabouti ». Jongleur de mots, Waberi s’aventure par moments dans des expressions teintées d’affectation qui dérangeront certains. Mais que ne pardonnerait-on pas en lisant une nouvelle telle »Feu mon père, reviens », hommage à cet »exorciseur de la nuit », »panseur d’âmes », »dénicheur de songes » et »mémoire d’outre-mère » ? A savourer en attendant la prochaine caravane de légendes. T.T.
Orpheline à dix ans, Soukey doit quitter son village et son frère pour rejoindre la famille de tante Kiné à la grande ville, Rufisque. A ce début quelque peu pathétique du dernier roman de la Sénégalaise Mariama Ndoye succède une histoire plutôt enjouée. Soukey est avant tout un récit de vie. Le quotidien et les amours de la petite »broussarde » et de ses soeurs adoptives espiègles y sont décrites avec beaucoup de tendresse et d’humour. Quelques dialogues particulièrement savoureux donnent l’exemple de cet »art de la réplique » que tante Kiné enseigne à sa fille adoptive – en plus des méthodes de séduction des femmes sénégalaises, allant des ceintures de perles au petit pagne et aux encens. Mariama Ndoye fait la part belle aux femmes mais aussi à la famille. Unie et clémente jusqu’au bout, celle-ci pardonnera même la grossesse non désirée de Soukey. On regrettera seulement la fin un peu brusque du roman, ainsi que le découpage inégal des chapitres. Mais Soukey n’en reste pas moins une lecture agréable, empreint du regard malicieux de l’auteur.
Depuis que A. H. Bâ a prononcé à l’Unesco sa célèbre phrase selon laquelle en Afrique chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle, il est unanimement considéré comme la voix de la sagesse ancestrale. Ce qui a conduit la critique à lire son uvre sous le prisme de la tradition. C’est d’ailleurs ce que propose Muriel Devey dans la biographie qu’elle consacre au » sage de Bandiagara » (Hampaté Bâ , l’homme da la tradition, NEA Sénégal-Togo, 1993).
Kusum Aggarwal, elle, refuse d’adhérer à cette approche, devenue un lieu commun. S’appuyant sur les travaux de Bourdieu concernant le champ littéraire en France, elle analyse les stratégies déployées par A. H. Bâ pour s’affirmer dans le champ de l’africanisme français comme un auteur incontournable. Pour ce faire, elle opère un long détour à travers la production scientifique de l’auteur. Elle montre comment, d’abord réduit au simple rôle d’auxiliaire de recherche » informateur » au sein de l’I.F.A.N. (Institut Français d’Afrique Noire), il a progressivement réussi à exercer pleinement son statut d’auteur majeur des discours sur l’Afrique. Résolument érudit, écrit dans une langue cristalline, cet ouvrage à cheval entre anthropologie et littérature est une contribution importante aux études portant sur l’uvre d’Amadou Hampâté Bâ. Il permet au lecteur, du fait de la double culture de son auteur (anglophone et francophone), de se familiariser avec l’abondante recherche consacrée à l’Afrique dans le champ anglophone. Un seul regret : l’absence d’index.
Ce recueil comporte l’ensemble des communications faites au cours du colloque bilingue de New York University des 4 et 5 avril 1997. Travail Interdisciplinaire rassemblant plusieurs chercheurs (Jean-Loup Amselle, Maryse Condé, Edouard Glissant, Michel Laronde, Claude Liauzu, Louis-Sala Molins, etc), l’ouvrage de Sylvie Kandé est une sorte de manifeste du métissage. A l’en croire, le métissage est à l’heure actuelle (celle de la mondialisation) un concept clé qui permet à la fois de comprendre la gestion de l’immigration en provenance de l’Afrique et de la Caraïbe vers la France et les manifestations des nouvelles écritures postcoloniales. Si, dans l’ensemble, les auteurs du colloque sont quasi unanimes avec Sylvie Kandé, Jean-Loup Amselle, lui, semble sceptique sur l’utilisation abusive de ce concept en France par les médias. Dans une communication intitulée Black, Blanc, Beur ou le fantasme du métissage inspirée du battage médiatique consécutif à la victoire de l’équipe de France lors de la dernière Coupe du Monde de football, Jean Loup Amselle estime qu’en mettant en exergue le caractère composite de la population française (ce qui à ses yeux est un recours aux idées polygénistes), les journalistes n’ont fait que réitérer de façon inverse et symétrique le modèle propagé par le Front National. Toute mise en avant de l’origine (multiple ou une) renforce en effet la croyance en la ou en les races.
Après le temps de l’apologie et de la dénonciation coloniale, l’heure de l’inventaire du fait colonial a sonné. Plusieurs auteurs se sont déjà attelés à le dresser ; comme Raoul Girardet dans L’idée coloniale en France (Ed La Table ronde, 1972) ou Marc Ferro avec L’histoire des colonisations (Seuil, 1994) qui, dans une démarche originale, présente et analyse l’ensemble des phénomènes de la colonisation depuis leur origine jusqu’à leur fin. Comme l’indique son titre, le livre de Georges Mazenot, ancien administrateur de la France d’Outre-mer au Congo, s’inscrit dans cette tradition d’inventaire de la colonisation. Refusant de porter un jugement sur la période de conquête et d’administration des » territoires français » d’Afrique, comme l’ont jusqu’à présent fait une certaine histoire d’obédience marxiste, Georges Mazenot choisit une approche » de longue durée » qui débouche sur l’établissement des rapports multilatéraux de coopération. Sur ce plan, l’auteur est convaincant, car s’il est vrai que la colonisation a été souvent vécue par la mémoire collective africaine comme le temps des impôts de capitation et des travaux forcés, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle a été également pour l’Afrique une ouverture sur la modernité. On peut cependant se demander pourquoi son livre est illustré d’une photo représentant quatre nègres quasiment nus, sans doute des pygmées, qui ne peut que froisser la susceptibilité d’un lecteur africain ? Puisque l’on parle de coopération, pourquoi n’avoir pas choisi une photo moins connotée ? A l’heure de la communication où l’image tente de supplanter l’écrit, donner de l’Autre une image qui renvoie à un passé plus ou moins révolu, souvent douloureux, alors que l’on parle de rapports multilatéraux, n’est-il pas une forme insidieuse de mépris ?
Plus qu’un livre analysant » la poétique » d’Abeti Massikini, le livre de Nguyen Matoko est un témoignage chaleureux sur la Tantine de la musique zaïro-congolaise. Ce faisant, il fait date puisqu’il est l’un des rares textes consacrés exclusivement à la » reine du Soukous « . Ayant assumé du vivant d’Abeti Massikini les fonctions de chorégraphe et de président de fan club Abéti, l’auteur sait de quoi il parle. L’auteur défile page après page les multiples facettes d’Abéti, alternant la vie publique de la star et sa vie » familiale « . Et l’on découvre tour a tour une femme énergique, battante, généreuse, fidèle en amitié et surtout – et c’est sans doute le plus important – une véritable bête de scène, une voix originale de la chanson zaïroise, l’une des premières à avoir introduit le synthétiseur et les boites à rythmes dans la musique au Zaïre.
Le Congo fait depuis une décade l’objet de nombreux travaux consacrés essentiellement à la vie politique. Citons les ouvrages de Florence Bernault (Démocraties ambiguës en Afrique Centrale, Congo-Brazzaville, Gabon, Khartala, 1996), Remy Bazenguiza (Les voies du politique au Congo, Khartala, 1997), Théophile Obenga (L’histoire sanglante du Congo-Brazzaville, Présence Africaine 1998), Sony Benga (Les dessous de la guerre du Congo-Brazaville, L’Harmattan 1998). A signaler également l’émergence de la revue Ruptures, sorte de laboratoire de l’histoire immédiate au Congo. Dans l’ensemble, ces travaux ont bénéficié d’une réception excellente, parfois passionnée. Mais un livre est passé inaperçu des lecteurs et des Congolais en particulier : le témoignage de Sébastien Kamba sur le cinéma, ou plutôt sur l’absence du cinéma au Congo. Certes, physiquement, ce livre laisse à désirer : une centaine de pages et un titre faisant penser à celui d’un mémoire de D.E.A… Son style (surtout le début) est proche de celui des documents administratifs. Et pourtant ! Ce livre est une contribution importante sur des mentalités au Congo. N’ayant aucune ambition scientifique, écrit à la manière de l’Afrique fantôme de Michel Leiris, il réussit par un entassement de détails sur les pesanteurs bureaucratiques, le tribalisme, la corruption, le favoritisme, l’incompétence, à cerner les raisons qui font du Congo le parent pauvre du cinéma africain. Contrairement à ce que donne à lire son titre, ce livre n’explore pas seulement la période historique du parti unique, mais s’étend jusqu’à la conférence nationale, où l’on a assisté à la résurgence des maux dénoncés par Sébastien Kamba. Ouvrage sans concession, tantôt grave, tantôt léger, il s’agit d’un document culturel et historique que tout Congolais devrait lire et méditer. On saluera au passage le courage intellectuel de son auteur. Un seul regret : son immodestie…
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