Sami, Le Comte de Bouderbala : un aristo de banlieue formé à l’école du slam.

Entretien avec un roi de la tchatche à l'humour gouailleur par Julien Le Gros

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« Je n’aime pas les artistes qui disent aux gens quoi voter »

Sami, l’aristo-crasseux – portrait
Nom : Ameziane
Prénom : Sami – « Samiii, it’s amazing ! » –
Âge : 32 ans
Signes particuliers : Comte de Bouderbala. (Bouderbala signifie « guenille » en arabe)
Devise : also known as « l’aristo – crasseux »

Sami Ameziane vient de Saint-Denis, le mentionne dans son spectacle mais ne le revendique pas. C’est un autre Dyonisien, Fabien Marsaud, plus connu sous le nom de Grand Corps Malade, qui lui met le pied à l’étrier. Comme Fabien, Sami est un disciple du slam, membre du collectif d’artistes urbains « Ça peut chémar ».
Changement de trajectoire
Avec son style gouailleur, gavroche de banlieue, le Comte de Bouderbala se moque allègrement de tout le monde : des rappeurs (« ils sont quatre-vingt-dix mille sur les cent mille habitants de Saint-Denis »), des supporters de foot avec son célèbre personnage marseillais « Kiki le fada », des différences culturelles entre la France et les États-Unis. En 2004, grâce à une bourse d’échange, Sami part Outre-Atlantique.
De Saint-Denis à New York
Pour lui, l’American Dream passe par le basket. Logique : il a joué en international en Algérie. Aux États-Unis, le rêve prend forme… dans un salon de coiffure. Car la coiffeuse se trouve avoir comme client l’entraîneur d’une équipe de basket prestigieuse de NCA (la réserve de la NBA) : les Huskys du Connecticut. Un test plus tard, Sami se retrouve propulsé meneur au sein de l’équipe. Blessé à l’épaule, il doit arrêter le dribble un an plus tard. Mais ce polyglotte averti (qui maîtrise cinq langues : français, anglais, italien, espagnol, arabe et berbère) polit ses vannes.
Notre frenchie retourne à New York et entame alors la tournée des « comedy clubs » de la Grosse Pomme, écrit un poème sur Oprah Winfrey, conquiert les spectateurs de Harlem en leur racontant qu’il s’est tâté pour acheter des cheveux à sa copine afro-américaine…
Si Sami a réussi à exporter son humour de « tchatcheur » aux États-Unis, il cartonne aussi en France. Il a écumé les scènes de France et de Navarre et a prêté sa plume, sous forme de journal intime, à l’émission de Pascale Clarke sur France Inter. Restait le cinéma. C’est chose faite avec le film Les seigneurs d’Olivier Dahan, dont la sortie est prévue en avril prochain. Sami, aux côtés, entre autres de Jean-Pierre Marielle, Franck Dubosc, José Garcia, Joey Starr et Omar Sy… jouera le rôle d’un pêcheur breton. Pas mal pour un Kabyle « à la tête de portugais et au corps de turc ».

Le Comte de Bouderbala – entretien
Comment introduirais-tu ton spectacle ?
Une heure et demie de blagues, de la blagouze, de la vanne, du rictus.
Tu es originaire de Saint-Denis. Est-ce un terrain propice pour un humoriste ?
Forcément il y a plein de conneries à raconter là dessus. C’est une ville riche en événements. Je n’en parle pas tant que ça. Je survole un peu. J’en parle parce que j’habite là-bas. Mais je ne fais pas un spectacle sur la ville. C’est surtout le fait de vivre en dehors de Paris et d’avoir bougé à droite à gauche qui fait que je voulais parler de choses et d’autres dans ce spectacle. Je ne crois pas à tous ces trucs de territoire : parce que tu viens de là tu es obligé de faire ci ou ça. J’ai bougé vraiment très tôt. Je ne me suis jamais attaché à la revendication de la ville :« Je viens de Saint-Denis ». Je ne suis pas là-dedans. C’est juste qu’on vit tous des expériences. De mes expériences personnelles j’ai voulu en tirer le côté social, le rapport culturel, les différences culturelles entre riches et pauvres et aussi entre Français et Américains. C’est un peu la trame.
Comment as-tu été amené à aller aux États-Unis faire du basket à haut niveau ?
Je voyais que ça tournait en rond. Il y avait une espèce de déterminisme social. Quand tu fais tes études dans une université dans une certaine ville c’est beaucoup plus difficile de percer le plafond de verre qu’il y a, mine de rien, en France. Je me suis dit : « Il va falloir essayer de changer la trajectoire en bougeant, en essayant de faire une école de commerce aux États-Unis, en côtoyant d’autres personnes » C’était un pari. Ça s’est fait via un programme d’échange universitaire magnifique, qui s’appelle la MICEFA. Une fois là-bas, j’ai eu la chance de jouer dans une équipe de basket, par hasard. Ça, c’est la chance des rencontres. Un jour j’étais dans un salon de coiffure. Je discute avec la coiffeuse. Elle me pose des questions. Je raconte un peu ce que je faisais en France. Je lui dis que je jouais au basket à un niveau semi-professionnel. Comme elle coiffait les entraîneurs des Huskys de Uconn, une équipe qui était championne en titre NCA (réserve de la NBA) des États-Unis, elle m’a connecté avec un des coachs. De fil en aiguille, il m’a proposé de faire un test avec leur équipe. Ça s’est bien passé et j’ai été recruté pour toute l’année.
Du coup, ça t’a inspiré pour pointer les différences culturelles entre France et États-Unis dans tes sketches ?
L’idée c’était de sortir de l’hexagone pour montrer qu’on nous bassine avec des problèmes franco-français. Quand on les sort du contexte, ça n’a plus rien à voir. C’était pour montrer le fait que la société française est super-américanisée dans plein d’aspects, dans la culture, le mode de vie, la télé, l’éducation. Je parle des différences au niveau du caractère, les différences d’approche, la façon de se saluer, la différence de confiance envers les gens, l’enthousiasme, les débouchés…
L’écriture est venue comment ?
J’ai commencé à écrire dès douze-treize ans sous différentes formes : des courts-métrages, des nouvelles, des scénarios… ça c’est fait progressivement par le biais du slam. En découvrant le stand-up, j’ai vu qu’il y avait une possibilité de parler directement aux gens, sans nécessairement faire du sketch. C’est parti comme ça. En allant aux États-Unis j’ai commencé à faire un peu de scène. En rentrant j’étais censé rejouer au basket. Je me suis fait une blessure. J’ai mis le basket de côté. J’ai commencé à progresser un peu sur scène, dans mes spectacles. Après je suis retourné aux États-Unis. J’ai fait mon show en anglais. Je suis rentré en France faire mon spectacle. Ça fait quatre ou cinq ans que je fais des allers et retours.
Il n’y en a pas tant que ça des humoristes français qui s’exportent aux États-Unis
Je pense qu’il y en aura de plus en plus. La culture française s’exporte de mieux en mieux. C’est vrai qu’il n’y en a pas tant que ça. C’était le challenge. C’était intéressant pour moi d’aller aux États-Unis avec mon histoire, de leur raconter un peu l’histoire d’un français qui se retrouve à l’université là-bas, qui affronte la culture américaine comme une nouveauté. Je voulais aussi montrer que en tant que Français on est capables d’aller aux États-Unis et de faire rire les Américains. J’entendais souvent des gens en France dire : le stand-up ça vient des États-Unis. C’est faux. Ça a commencé par le biais du vaudeville en France avec des gens comme Fernand Raynaud, Guy Bedos… Ce n’est pas du tout quelque chose d’américain. C’est très français aussi le stand-up.
Dans quelle mesure as-tu adapté ton registre ?
Les Américains connaissent très peu de chose de la France, à part les gros clichés. Forcément tu dois t’adapter. Je racontais mon histoire propre : un mec de la banlieue parisienne qui débarque aux États-Unis dans une grosse université américaine, qui se retrouve dans une grosse équipe de basket. Je raconte mon rapport avec les joueurs, les entraîneurs, avec les Américains en général. C’est un peu de tout ça dont je parle dans ce spectacle en anglais.
As-tu ressenti que c’est plus facile d’être immigré à New York qu’à Paris ?
C’est le truc typique des pays anglo-saxons de donner l’opportunité aux qualités des gens et pas s’arrêter sur les apparences. Ce ne sont pas des conservateurs. Les États-Unis ont toujours été une terre d’immigration. Il n’y a pas ce problème. On va plus te juger sur ce que tu es capable d’apporter que ce que tu es. On ne va pas se prendre la tête sur ta couleur de peau. Ça, c’est spécifique à New York. On va plus se focaliser sur tes capacités que sur ton nom ou ton apparence. C’est ce que j’ai constaté. Les Américains vont plus te donner une opportunité tout de suite et ils te jugeront plus tard. Alors qu’en France il faut vraiment faire ses preuves pendant des années avant qu’on te donne l’opportunité. Ça met plus de temps. Là-bas ça va très rapidement.
On ne t’a pas mis dans une case, au moins à tes débuts ?
Je ne réfléchis pas comme ça. Je me dis que ça dépend de quoi on parle. Si tu t’attaques à des sujets arabes il ne faut pas t’étonner d’être pris pour l’arabe de service. J’aborde des sujets larges. J’ai énormément de sujets dans le spectacle. Je parle de tout. Je ne suis ni catégorisé ni sectorisé. Jusqu’ici je n’ai pas vraiment eu ce problème.
Tu joues sur la langue à travers ton sketch sur les rappeurs.
J’ai été animé par l’envie de parler normalement. Ce qui nous relie, c’est la langue. Si on s’exprime dans une langue dégueulasse, il y a un problème. Le sketch des rappeurs c’est juste un clin d’œil. Je n’ai pas envie de passer pour un mec à cheval sur la langue. Je dis juste que quand tu es un leader d’opinion comme eux, tu ne peux pas te permettre de t’exprimer d’une certaine manière. Il y a aussi une certaine portée pédagogique. Pour moi les bons rappeurs sont ceux qui s’attachent déjà aux textes. Le style vient après. La portée du texte doit primer. C’est pour ça que c’est peut-être l’école du slam qui m’a inspiré là dessus. Quand tu slammes tu es a capella. Si ton texte est fort alors là tu es bon. Si ton texte est fort et que derrière tu rajoutes une bonne instru, tu peux faire un hit. À la base, c’est ce que tu racontes qui est important.

Peux-tu dire un mot sur ta chronique dans l’émission de Pascale Clarke sur France Inter ?
J’étais en freelance. Je n’avais pas de sujets imposés. Je pouvais parler un peu de ce que je voulais. Je ne suis pas spécialisé dans un créneau politique ou social. C’est vraiment au feeling. Quand un fait divers me fait rigoler, je vais en parler. Quand il y a une attitude d’un homme politique qui me fait réfléchir ou rigoler, je vais en parler. Après, je n’ai pas de ligne de conduite. L’écriture c’est comme une gymnastique, une espèce de discipline. Si tu as envie de progresser, plus tu écris et mieux tu écris.
Sur la politique, penses-tu que les artistes doivent prendre position ?
Je n’aime pas les artistes qui disent aux gens quoi voter. Inconsciemment c’est les prendre pour des cons. C’est vrai qu’il y a certaines personnes qui ont besoin d’être aiguillées. Mais je préfère la pédagogie à : « Il faut voter pour untel ou untel » À chaque fois que des artistes ont demandé de voter pour certaines personnes, ces artistes-là m’ont déçu. Je ne suis pas dans le délire de dire « voter pour ci pour ça«  C’est super-condescendant. C’est prendre les gens pour des imbéciles. On n’a pas tous les mêmes intérêts. Moi en tant qu’artiste j’ai un certain niveau de vie. Est-ce que j’aurai les mêmes intérêts que les gens qui viennent voir mon spectacle ? Il y a un côté irrespectueux qui m’énerve un peu. Je ne me permettrai pas de dire aux gens quoi voter. J’essaie de pointer du doigt certaines choses, d’en rigoler. Les spectacles à message ça me fatigue, tout comme les artistes qui font la morale. On est là pour faire rigoler les gens. Tu peux faire de l’humour politique et faire rigoler les gens. Mais je ne suis pas sur le mode « Attention messieurs dames j’ai un message là ! » Plus tu dis aux gens de faire quelque chose moins ils vont le faire.
Et pour la suite ?
J’ai mon spectacle jusqu’en avril 2012 à l’Alhambra. Je suis aussi dans le film Les Seigneurs qui va sortir en avril 2012 avec un casting intéressant. Il y a Jean-Pierre Marielle, José Garcia, Franck Dubosc, Gad Elmaleh, Omar Sy, Ramzy Bedia, Joey Starr… C’est une grosse équipe. Le film va être sympa. C’est Olivier Dahan qui le réalise. J’ai un rôle de pêcheur breton qui s’appelle Le Pen !

En savoir plus :
Le Comte de Bouderbala, en spectacle à l’Alhambra à Paris, jusqu’au 28 avril 2012.
Site de Sami, Le Comte de Bouderbala [ici]
Extraits de cet entretien publiés dans Afriscope n° 23, novembre-décembre 2011///Article N° : 10525

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