L’Europe est responsable de la mort de plus de 3 000 migrant.e.s décédé.e.s dans la Méditerranée, et cela seulement en 2023. Elle est aussi responsable des dizaines de suicides dans les Centres de Rétention Administrative (CRA) en France, dans les Centres de Permanence pour le Rapatriement (CPR) en Italie ainsi que dans de nombreuses autres structures de rétention pour migrant.e.s présentes sur tout le territoire européen depuis des décennies. À travers leurs accords et négociations avec de nombreux pays d’Afrique du Nord, les gouvernements européens sont coupables des tortures, des viols, du travail forcé et des détentions arbitraires dans des structures de rétention, notamment en Libye. Tout cela se produit dans un climat d’impunité presque totale.
Face à cette situation, le spectacle Dispak Dispac’h de Patricia Allio crée un espace de réflexion citoyenne et fait du théâtre une puissante arme de dénonciation. Patricia Allio, auteure, metteuse en scène, performeuse et réalisatrice bretonne, donne vie à un spectacle d’une forte puissance politique: on en sort émue.s, mais aussi plus conscient.e.s. Le public encercle la scène: assis.e.s à côté d’inconnu.e.s, on réalise qu’on forme une communauté politique qui peut et doit dénoncer les violations de droits fondamentaux perpétrées par l’Europe et se révolter contre ses politiques de répression.
En breton, dispak signifie “ouvert, déplié” et dispac’h “agitation, révolte, révolution”: avec ce spectacle, Patricia Allio exprime la nécessité d’un nouveau type d’accueil, horizontal et plus juste. Avec son équipe, dans laquelle on retrouve plusieurs acteur.e.s et activistes (Elise Marie, Gael Manzi, Stéphane Ravacley, Bernardo Montet), elle met en scène une session du Tribunal Permanent des Peuples, un tribunal d’opinion fondé en 1979 qui agit indépendamment des Etats et répond aux demandes des peuples dont les droits ont été violés. Le public est appelé à écouter les différentes violations des droits fondamentaux des migrants perpétrées avec les politiques migratoires européennes et nationales. On parle de violation de droits humains, de restriction de la liberté de circulation, de répression, d’externalisation des frontières ou encore des violences au sein des centres de rétention administrative.
Les acteur.e.s et les activistes jouent et dansent sur un tapis bleu, qui représente la Méditerranée, mer qui sépare nos deux continents et qui est lieu de mort pour celles et ceux qui cherchent à vivre. La session du Tribunal Permanent des Peuples est parfois interrompue par des scènes qui veulent montrer toute la violence et les paradoxes des politiques d’accueil et de “protection des réfugiés” dans lesquelles les Etats européens s’engagent: des dizaines de personnes qui meurent sur un bateau qui, après avoir quitté la côte libyenne, n’est secouru par personne; un policier de la BRAV-M qui tremble et tombe, affaibli par sa propre violence; un enregistrement de voix de migrant.e.s enfermé.e.s dans un centre de rétention en France.
Après le spectacle, se crée un moment de partage et de témoignages, où plusieurs activistes prennent la parole pour témoigner de la situation des migrant.e.s, notamment à Calais, et de leur engagement. Dispak Dispac’h est une pièce puissante, mais qui pourrait mettre encore plus en lumière les récits et la capacité d’action des réfugié.e.s eux et elles-mêmes pour ne pas tomber dans l’essentialisation de leurs situations et revendications.
Marta Perotti