Editorial

Sur la grande scène du monde

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« L’Histoire est la rencontre de toutes les histoires des peuples de la face cachée de la terre, apparues sur la grande scène du monde. »
Edouard Glissant, en conversation avec Laure Adler (émission Les grands entretiens du Cercle)

Glissant a emprunté l’expression à Aimé Césaire. Ce n’est pas un hasard. Le grand métissage forcé des Antilles préfigure ce qui se passe et se passera « sur la grande scène du monde ». Et ce n’est pas un hasard si la musique antillaise fait danser le monde entier.
Mais lorsqu’on interroge la relation ô combien problématique entre musique et business, une évidence saute aux yeux : face aux logiques commerciales qui guident la planète mondialisée, on ne donnerait pas cher des musiques africaines originales. Laissons l’authenticité de côté – notion qui nous amène tout de suite sur la pente savonneuse des fixations identitaires – et préférons l’originalité : cette possibilité de préserver la trace de son origine dans le grand melting pot musical, dans l’united colors des tendances et des concepts fabriqués de toutes pièces par des producteurs en mal de succès.
C’est cette trace que nous revendiquons (nous avions intitulé notre dossier Musiques Caraïbes du numéro 8 « la trace noire »). C’est dans ces traces que se manifeste l’imaginaire que nous appelons : plutôt que la certitude assise de sa propre identité, plutôt qu’une idéologie qui ne fait que perpétuer le vieil ordre des choses dans l’exclusion de l’autre, l’intuition ouverte, éventuellement ambiguë, en tout cas sans systématisme ni sectarisme, d’un monde pluriel dont les musiques ouvrent à l’ailleurs pour nous permettre de mieux revenir chez soi.
Nous dansons volontiers sur la world music mais pas sur des soupes où tout se mêle et s’entremêle sans plus rien pouvoir discerner. On peut mélanger sans faire un magma, échanger sans se perdre ou se dénaturer. « Une identité plurielle n’est pas une absence d’identité », dit encore Glissant.
C’est alors que les musiques charrient les langues et les savoirs, les mémoires et les questions de ces peuples de l’ombre qui ont tant à partager. C’est alors qu’elles peuvent épeler le monde.

///Article N° : 1408

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