La pièce de thêatre de Penda Diouf est une œuvre puissante et importante, un seul en scène percutant.“Pistes…” est une autofiction dans laquelle Penda Diouf utilise son vécu pour aborder le génocide des Herero et des Namas par les allemands. Entre 1904 et 1908, ces deux ethnies ont été machinalement exterminées par les colons du deuxième Reich. Ce n’est qu’en 2021, que l’Allemagne reconnaît cette tragédie comme faisant partie de son histoire. Une histoire de corps noirs torturés, de corps noirs sacrifiés, de corps noirs traités comme s’ils étaient dénués d’humanité. La pièce vient honorer ces défunts et réalise un travail essentiel de mémoire sur la résistance. Entre racisme, misogynoir et passé colonial, il y a des liens à faire, des histoires à raconter, des pistes à explorer.
On suit l’actrice depuis son enfance à travers des anecdotes sur le racisme qu’elle subit. Un racisme teinté de misogynie auquel les femmes noires font face au quotidien dans toutes les sphères de leurs vies. On voit le racisme systémique s’abattre sur la jeune fille au point de l’exclure, de la faire vivre en périphérie où il ne lui reste que son étrangeté et sa solitude.
L’actrice Nanyadji Ka-Gara est captivante, elle porte le spectacle avec brio, elle interprète le texte avec justesse et fluidité et transmet sans peine toute la force du propos. Adolescente, elle commence l’athlétisme et voue une profonde admiration au sprinter namibien Frankie. Cette icône de son adolescence la fascine au point de voyager seule en Namibie, dans ce vaste désert dont les grains de sable sont les seuls à se rappeler de la tragédie des Herero et des Namas. C’est une enquête à travers des anecdotes personnelles et des faits historiques, un parcours marqué par un questionnement sur ce que signifie habiter le monde dans un corps noir. Cette emphase sur le corps, elle s’illustre aussi par la forme, des moments de chant et de danse jalonnent son épopée ce qui ajoute à la poésie de la pièce et rappelle le choreopoem de l’Afro-Américaine Ntozake Shange.
Lles mots de Penda Diouf sont marquants, elle a mis en scène un texte coup de poing au lyricisme aiguisé, un monologue saisissant. Les sauts dans le temps donnent du rythme à la pièce et permettent de connecter la petite histoire à la grande de manière organique. Les différents registres se mêlent à la perfection, des moments de rire ponctuent l’histoire sans alléger la gravité des thèmes abordés. La mise en scène est intelligente, à la fois symbolique et figurative apparaît comme un personnage à part entière, elle accompagne les spectateurs tout au long de la pièce, elle a une fonction didactique qui nous donne à voir le cheminement de l’actrice dans sa quête.
Pistes vient répondre à cette nécessité de dire, de tisser du lien entre l’histoire personnelle et l’histoire collective. Elle permet de se rappeler, se raconter et faire résonner le “cri muet de l’abandon, de la tristesse et de l’oubli”. C’est une pièce résolument universaliste qui aide à entrevoir les morceaux de soi cousus sur le tissu de l’Histoire.
Lucie Messy