Pour survivre, les supports panafricains à Paris sont soumis à des rituels « d’auto-promotion » d’un genre complaisant : publi-reportage par pays ou dossier de promotion déguisé d’un chef d’Etat, manipulation de contenus pour coller aux positions prises par le partenaire qui passe à la caisse. Ceux qui évitent les marchandages de l’info, pratique très courue dans le milieu, se condamnent très souvent à déposer le bilan. Aucune place pour une presse critique, à moins d’être son propre fossoyeur.
La mort de L’Autre Afrique, qui vient de ressusciter de ses plus belles cendres, fut emblématique de ces batailles à l’aspect larvé. Lancé en 1997 par Jean-Baptiste Placca, cet hebdomadaire se voulait dès le départ affranchi de toute pression extérieure, avec sa vingtaine d’actionnaires soucieux de voir l’Afrique se mouvoir autrement. Les annonceurs s’en sont méfiés. Qui dit annonceurs méfiants, dit perte d’argent. La sentence n’a pas tardé à pointer le bout du nez. Trois ans plus tard, le 4 janvier 2000 exactement, le tribunal de commerce de Paris prononçait la liquidation judiciaire, avec plus de 10 millions de FF de pertes (1). Une disparition qui a suscité plus d’une indignation. Car L’Autre Afrique, en voulant défendre son indépendance, tout en fabriquant un journal de qualité à tous points de vue, montrait la marche à suivre en matière d’information sur le Continent. A l’un de nos confrères du journal Le Monde, Placca résumait ainsi sa déception à l’époque : « il y a une logique terrible sur ce continent : si vous n’êtes pas courtisan, vous êtes considéré comme un adversaire, et le monde des affaires ne parvient pas à se libérer des pouvoirs politiques ».
Comment l’Afrique pourrait-elle éviter les compromissions de toutes sortes ? Avec l’apparition d’une nouvelle croisade démocratique (multipartisme, élections libres, sociétés civiles.) dans les années 90, on crut la chose possible. On pariait même sur l’émanation d’une presse locale à l’offensive éditoriale inattendue et diversifiée. Aujourd’hui, on le sait, défendre un contenu libre et honnête face aux pouvoirs en place est un véritable défi. Certains se retrouvent parfois en geôle pour une simple phrase mal comprise par les gens de pouvoir. Placca d’ailleurs a connu l’ambiance sordide des prisons du togolais Eyadema (dans les années 80) pour avoir non pas publié un journal impertinent mais simplement pour avoir été soupçonné de lire un journal d’opposition (2). Quelques titres locaux arrivent cependant à défendre une information libre et indépendante mais dans de bien rudes conditions. La donne n’a pas beaucoup changé, malgré ce qu’on en dit ici ou là.
Comment redessiner dans un tel contexte une vision globale de l’Afrique, en étant « ni griot servile, ni détracteur stérile », un bon mot d’Hervé Bourges (3) ? A défaut d’une autre réponse, les plus inspirés s’installent bien souvent en Europe et fabriquent des supports panafricains à Londres, Rome ou Paris. Ils rejoignent alors une Afrique qui ne semble pouvoir se reconstruire qu’à travers sa diaspora. D’autant plus que les capitales étrangères sont des carrefours où tout ce que l’Afrique compte de décideurs se rencontre plus aisément. Mais là aussi, l’argent oblige à composer pour garder la tête hors des bacs de presse. Car le lectorat ne suit pas toujours, faute de moyens adéquats pour l’interpeller.
La presse culturelle, elle, prend moins de risques, en s’appuyant sur le mécénat et les subventions. La Revue Noire, revue consacrée à l’art contemporain africain, a vécu grâce au soutien d’institutions diverses, privées et publiques. La Coopération française et l’ACCT (4) l’ont aidé, des sponsors ont suivi tels que la Fondation Elf-Gabon ou Total-Sénégal. (5) Elle a quand même cessé de paraître quand les partenaires, la Coopération surtout, ont suspendu leurs prises d’abonnements en nombre. La revue Africultures, qui fonctionne en association et paraît depuis 1997, profite du seul soutien du Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés et a réussi à développer ses activités internet grâce au programme français des « emplois-jeunes ». Le temps d’atteindre le seuil de rentabilité nécessaire.
Du côté de la presse jeunesse, l’exemple de Bayard Presse, qui a réussi à imposer ses Planètes Jeunes et Enfants, en négociant des accords avec la même Coopération française, le Comité catholique contre la faim et pour le développement ou encore l’Unicef, fait également figure de référence. Les subventions annuelles transitent par une structure associative à but non-lucratif supportant le projet.
Outre ces recettes qui en valent bien d’autres, il y a les supports qui font de l’information une « activité secondaire », située loin derrière la manne représentée par les publi-reportages et les activités dérivées. La presse panafricaine de Paris connaît la chanson par coeur. Jeune Afrique Economie était cité il y a quelques années par La Lettre du Continent (6) comme étant le « champion toute catégorie des « publi-pays ». Le journal Afrique Asie, avant de renaître sous son nouveau nom Le Nouvel Afrique Asie, déposait le bilan en 1987 à cause des impayés en publicité que lui devaient certains régimes progressistes qu’il soutenait. L’Algérie, premier partenaire à être cité à l’heure de la liquidation, s’était largement appuyée sur le magazine de Simon Malley pour promouvoir sa politique étrangère, ses positions tiers-mondistes et ses positions sur le conflit sahraoui en échange d’un budget publicitaire dépassant le million de francs français (7). Le mensuel affiche publie encore régulièrement des dossiers fort positifs sur la gestion des différents pays du Maghreb. Quant à Jeune Afrique, aujourd’hui rebaptisée L’Intelligent, ses dirigeants étaient allés jusqu’à créer une filiale chargée de la promotion du président Sassou Nguesso (8).
En fait, il s’agit d’une logique arithmétique implacable. Les seules ventes ne suffisent pas à assurer la survie des journaux. « Et quand on a pas assez de lecteurs, seule la publicité permet de tenir debout ». Or le marché publicitaire international est frileux sur l’Afrique, soit parce qu’il s’interroge sur le paysage politique en place, soit parce qu’il considère le consommateur africain comme une entité inexistante. Ainsi, L’Autre Afrique a eu beau tenir ses promesses sur un plan rédactionnel, le couperet publicitaire lui est tombé dessus. Sur le Continent, le niveau de vie limite le marché des consommateurs de presse. Mais le lectorat, comme l’affirme le directeur de publication du magazine Afrobiz, Amobe Mevegue, existe dans la diaspora. D’où ces interrogations multiples : pourquoi ce lectorat boude-t-il cette presse ? Pourquoi ne lui évite-t-il pas de vivre à crédit ? Pourquoi les titres paraissent et disparaissent, sans qu’il ne se manifeste activement ?
1. Source La lettre du Continent (N°344/ 13 janvier 2000).
2. Le Monde du 22 mai 1997, article de E. Fottorino.
3. Placca fut son élève à l’Ecole Internationale de Journalisme de Yaoundé au Cameroun.
4. Cf. un article de Jacob Zilpa dans Africa International (juillet-Août 93) : « Comme le prix de vente est très élevé (120 FF), les deux tiers des exemplaires vendus en Afrique, le sont par l’intermédiaire de l’ACCT ou par les missions française de coopération… »
5. Cf. un article de MFI, signé Michel Lobe Ewane (MFI N° 955/ 09/12/93) : « le programme éditorial est organisé en fonction des opportunités financières offertes par le mécénat, qui tient lieu de publicité. Ainsi, un numéro consacré au Gabon, est parrainé par la Fondation Elf-Gabon, sur le Sénégal par Total-Sénégal ».
6. La Lettre du Continent du 12 septembre 1991.
7. Dans MFI N°182 (du 16/07/87) Michel Lobé Ewané parle de « 1,5 million de FF par an » sous Boumedienne. Durant la même période, un article du journal Libération (01/07/87) cite un nombre d’exemplaires pris en charge par le pouvoir à Alger pour soutenir Afrique Asie: « Lancé à Paris en 1969 grâce, d’une part, à la fortune personnelle de la femme -américaine- de Simon Malley, mais aussi du soutien du président Algérien Houari Boumedienne, qui lui assure 30000 exemplaires de diffusion ».
8. Le même numéro de Libération (01/07/87) notait ceci : « Ce système n’est pas, il est vrai, le monopole d’Afrique Asie : son principal rival, Jeune Afrique, a créé une filiale chargée de la promotion du président congolais Sassou Nguesso, et sort de fréquents « publi-reportages » sur des Etats africains en mal d’image de marque ».///Article N° : 25