A Paris, face à un besoin croissant de demandeurs d’asile d’espaces pour apprendre le français Judith Aquien, Héloise Nio et Jennifer Leblond fondent l’école Thot en mai 2016. Elle dispense une formation diplômante. Reportage, à un mois de l’examen final. L’heure est aux révisions intensives.
Dans une salle de classe, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, les cours commencent à 16h. Certains élèves arrivent trente minutes à l’avance. Qu’ils viennent de Paris ou de sa banlieue, Matthieu, Aaron et Amir(1) font leur maximum pour assister aux cours de français dispensés, par la toute nouvelle formation de l’école Thot, dans une petite salle meublée de quatre tables et d’une dizaine de chaises.
16H05 : le cours commence dans la bonne humeur. C’est une séance spéciale. En ce mercredi 7 septembre, Judith Aquien, présidente de l’école participe au cours. Chacun à leur tour Aaron, Matthieu, Amir, Yanis et Matis se présentent, en français, et montrent ainsi les progrès réalisés depuis la rentrée le 13 juin dernier.
L’objectif de l’école Thot est l’apprentissage du français en vue de passer le DELF(2), ce qui en fait donc la première école diplômante à destination des demandeurs d’asile et des réfugiés. Contrairement aux cours de français dispensés dans les différents lieux d’installation plus ou moins précaires des migrants, cette formation prépare, gratuitement, les élèves au diplôme d’Etat et leur permet de prouver officiellement qu’ils ont le niveau débutant en français et qu’ils maîtrisent à l’oral et à l’écrit les fondamentaux.
Mais le cours auquel nous assistons est particulier, car la majorité des apprenants était analphabète il y a encore trois mois. Accompagnée de Juliette, une bénévole présente tous les mercredis, Kamila S, la professeure, instigue plusieurs exercices dont des scénettes visant à travailler la compréhension mais aussi l’écriture et surtout l’expression orale aux apprenants qui ont entre 18 et 37 ans.
17H30 : l’heure de la pause. Avec un verre d’eau dans les mains, tout le monde se retrouve dehors pour un petit moment de détente. La bénévole, la professeure et la présidente parlent avec les élèves, exclusivement des hommes, sur l’avancement de leurs démarches administratives. L’un d’entre eux, Maden, absent ce jour-là, vient d’être envoyé à Bordeaux par le Cada (Centre d’accueil pour demandeur d’asile) qui lui a trouvé une place. Ainsi, lorsqu’une proposition de ce type est faite aux demandeurs d’asile, ils sont tenus de l’accepter sous peine de voir leur demande de logement abandonnée. Maden a quitté Thot malgré les attestations de scolarité délivrées par l’école, « un déchirement pour nous« , lance Kamila « parce qu’on créée une relation et c’est tout un processus pour y arriver. Bien sûr, s’ils sont envoyés dans une autre ville, ils ont déjà gagné en autonomie, mais on souhaiterait aller plus loin…travailler sur du long terme« .
De retour dans la classe, Yanis fait part de ses inquiétudes à Judith sur sa capacité à parler français. Kamila, Judith et Juliette tentent de lui redonner confiance. Car il est un exemple dans la classe. Commerçant tchadien avant son arrivée en France, il n’a pas eu la chance de fréquenter une école dans son pays. Totalement analphabète il y a quelques mois, il est capable aujourd’hui de lire et écrire un texte en français.
Après ce petit moment de doute, il retrouve son sourire, et Kamila commence un exercice de phonétique que les élèves connaissent par cur. Dessiné sur un tableau : le trapèze des phonèmes, un par un, ils répètent les voyelles : [a], [e], [o], [ou]… Réussite ! Avec de grands éclats de rires, chacun d’entre eux se prêtent à l’exercice et n’hésitent pas à répéter dès qu’ils prononcent mal.
Puis vient l’épreuve de la lecture, ça tombe bien, l’école vient tout juste de recevoir une belle donation de manuels de lectures. Matthieu lit en chuchotant avant de passer à l’oral ; pour être sûr de bien prononcer quand viendra son tour.
Et puis, il est déjà 18h30, c’est la fin de la classe, ils traînent tous un peu avant de rentrer chez eux, certains vivent chez des amis, d’autres dans des foyers, il y en a même qui ont réussi à louer un studio à deux pas du local pour être sûr de ne pas arriver en retard en cours.
La séance s’arrête là, mais pas l’enseignement THOT. En dehors des huit heures de cours par semaine dispensés par une équipe de professionnels de l’enseignement, des professeurs de FLE(3), deux heures sont consacrées aux révisions. « Par ailleurs, notre spécificité, en plus de ce socle d’enseignement THOT, nous avons des groupes de soutiens psychothérapeutiques animés par une professionnelle formée aux problématiques de post-trauma et d’exil, et nous avons également des groupes d’insertion professionnelle. » Puis, pour permettre aux élèves de réellement s’intégrer dans le monde du travail français et dans la vie sociale, Thot organise des « sorties conviviales et culturelles pour aborder le langage dans sa forme la plus déliée et la plus quotidienne, donc par l’échange informel et sociable. »
Alors que débutera le 1er octobre un mois de révisions intensives animé par des bénévoles mais aussi certains professeurs. Judith est confiante face à l’avenir, ayant reçu quelques maigres subventions, elle souhaite ouvrir une cinquième classe dès la mi-novembre « même si nous n’avons pas encore tout l’argent nécessaire. » Pour cela, Thot compte une nouvelle fois sur la générosité des particuliers – qui avaient donné un peu plus de 66 000 euros lors de la levée de fonds pour la première session. Pour renouveler l’aventure et ainsi proposer à cinquante autres demandeurs d’asiles et réfugiés de recevoir une formation diplômante gratuite qui valorisera leurs compétences notamment pour le monde du travail et leur permettra sur le long terme de s’intégrer à la société française dans laquelle ils espèrent trouver refuge.
<small »>(1) Les noms ont été modifiés.
(2) Diplôme d’Études en Langue Française, c’est un diplôme reconnu par l’État français et qui évalue le niveau A1 à B2.
(3) Français Langue Étrangère///Article N° : 13780

