Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci, les directeurs de la compagnie Ks & Co qui animent avec une énergie artistique sans relâche un projet ancré au cur des cultures plurielles de l’ouest guyanais, et grâce auquel sont nés Kokolampoe, la Scène conventionnée de Guyane, installée à Saint-Laurent du Maroni dans un ancien centre de transportation du bagne de Cayenne ainsi que Les Tréteaux du Maroni, un festival international de rencontres des arts de la scène, présentaient cet été en Avignon une nouvelle création. Ils avaient présenté Koud’ip au printemps au Musée Dapper à Paris, un spectacle étonnant, mené avec des Saramakas et surtout une expérience humaine rare. Et on se souvient de La Route de Zakes Mda, ce très beau spectacle adapté d’un texte sud-africain présenté en Avignon en 2007, où Serge Abatucci avait Ahmadou Tidiane Sall pour complice. Cette fois, les directeurs de Ks & Co, qui ont choisi de monter tous deux sur les planches, se sont tournés vers la Martinique et se sont associés au jeune comédien Hervé Deluge et sa compagnie L’île Aimée pour constituer un trio surprenant et défendre un spectacle présenté dans la nuit avignonnaise au théâtre de la Chapelle du Verbe Incarné.
Curieux objet que cette création vidéo, acoustique et plastique qui s’appuie aussi sur le jeu de trois acteurs et sur un texte de Janusz Glowacki. La présence scénique des comédiens qui jouent trois S.D.F., trois laissés pour compte dans un parc new-yorkais semblent s’insérer comme du vivant dans une installation plastique faite d’illusions vidéo et de matériaux recyclés amoncelés en un drôle de dépotoir où explosent les couleurs : un caddy, un banc, des sacs de couchage des fleurs en plastique, de vieilles pantoufles, des sacs poubelles
Les trois palpitations humaines disparues dans cet amoncellement hétéroclite sont trois cloches dont l’horizon n’est plus que ce corps qu’ils maltraitent, n’est plus que la bouteille de gnaule qu’ils convoitent, tandis que le dialogue qui les relie encore est fait de cris et de silence, percés de mensonges et de tractations, d’insultes aussi.
Ces bouteilles qui rythment leurs désirs, leur vie, leur raison, roulent sur le bitume comme des quilles, les quilles creuses et sonores qu’ils sont eux-mêmes devenus. Quilles qui tintinnabulent à l’écran et scandent le spectacle. La mise en scène d’Ewlyne Guillaume travaille avec une projection plastique du plateau sur un vaste drap de fond de scène transformé en écran où sont projetées des images sonores de la rue, du goudron mouillé, glacé et luisant solitaire dans la nuit. Les images ne se dressent pas comme un décor, une toile de fond en illusion, mais respirent avec la scène et les acteurs la traversent s’y retrouvent en images ou en ombres chinoises.
Désocialisés, privés de leurs âmes, comme évidés de toute volonté, ombres d’eux-mêmes, ces trois quilles vides vont pourtant trouver en eux suffisamment d’humanité pour tenter de retrouver le corps de Paulie, le compagnon de rue d’Anita, le mort que les services sociaux ont emporté au Champ du potier pour le jeter dans la fosse commune. Pieds nickelés improbables, Léa et Sacha font le voyage jusqu’au Champ du potier pour y voler un corps et ramener à Anita une dépouille à enterrer dans le parc, car il ne sera pas dit que Paulie l’Américain, tout S.D.F. qu’il était, n’ait pas une sépulture, un petit bout de terre bien à lui pour reposer en paix !
Théâtre de la Chapelle du Verbe Incarné
Texte de Janusz Glowacki
Mise en scène : Ewlyne Guillaume
Design sonore, création vidéo et photo Joël Henry
Décor : Dominique guesdon et Frédéric Belleney
Création lumière : Dominique Guesdon
Avec Ewlyne Guillaume, Serge Abatucci, Hervé Deluge///Article N° : 9701