Séries TV #2 : Qu’est ce qu’on regarde à Luanda ?

Entretien de Claire Diao avec Luisa Fresta

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En Afrique, la télévision a depuis longtemps supplanté le cinéma. Clips musicaux, journaux d’infos et séries TV sont autant d’événements qui réunissent les familles autour du petit écran. Qu’en est-il actuellement en Angola ? Quelle série est à la mode ? Quelle influence joue-t-elle sur la population ? Valorise-t-on les productions locales ou se nourrit-on essentiellement de programmes étrangers ? Cette semaine, l’écrivaine et critique de cinéma Luisa Fresta, contributrice à la revue angolaise Jornal Cultura, au site brésilien O Gazzeta et membre de la Fédération Africaine des Critiques de Cinéma (FACC), décrypte pour nous son petit écran.

Quelle est, à ce jour, la série TV locale qui a rencontré le plus grand succès en Angola ?
Windeck – O Preço da Ambição (1), diffusée en 2012, parce que cela présente un glamour inhabituel et que même si les spectateurs ne s’y retrouvent pas à 100% (certains critiquent un éloignement par rapport à la réalité angolaise), cela permet aux gens de rêver, et de croire que tout est à leur portée.
Le scénario aborde certains et des sujets socialement importants comme l’homosexualité, la violence sexiste et les MST. La série montre une ville cosmopolite, ancrée dans son pays mais aussi ouverte au reste du monde. En plus du message et du contenu – le spectateur est invité à réfléchir sur l’ambition démesurée de ceux qui n’ont pas de limites éthiques et sont capables de tout pour réussir – on y retrouve une nette orientation au niveau du casting : certains acteurs, sophistiqués et séduisants, paraissent plus mannequins qu’acteurs. C’est un choix.

La série est produite par une société angolaise, Semba Comunicação, et écrite par la scénariste portugaise Joana Jorge. Windeck a été réalisée pour la chaîne publique nationale angolaise TPA et a bénéficié de la participation d’une équipe technique et artistique portugaise.
Il y a quelques années une autre série TV a également rencontré un succès mémorable : Caminhos Cruzados (2). C’était une série de fiction pédagogique qui abordait la question du SIDA. Beaucoup de journalistes angolais et de personnalités publiques se sont d’ailleurs associés à ce projet. Les gens apprécient souvent les fictions ayant un rapport direct avec la réalité et les drames que nous connaissons tous car c’est une façon ludique et pédagogique d’aborder des sujets sensibles et des blocages sociaux. Personnellement, je pense que les téléspectateurs sont également fiers de constater que l’on peu produire localement des fictions à la fonction sociale importante et joignant l’utile à l’agréable.

Quelle est, à ce jour, la série étrangère qui mobilise le plus de spectateurs ?
Roque Santeiro, un classique des telenovelas (feuilleton télévisé, NDLR) brésiliennes, a complètement galvanisé l’attention du public dans les années 1986-87. D’ailleurs, un des plus grands marchés à ciel ouvert en Afrique, Roque Santeiro à Luanda, lui doit son nom !

À cette époque-là je venais juste de rentrer en Angola et les gens m’appelaient par le prénom d’un des personnages, ils utilisaient des expressions comiques tirées des dialogues, je ne comprenais rien, c’était tout un langage codé, un univers à part…
Actuellement, la série qui connaît le plus de succès, c’est Salve Jorge (3), une telenovela brésilienne qui passe à la télévision depuis juillet dernier. Les thématiques abordées sont la passion, les préjugés, la carrière versus l’amour et des sujets très actuels et délicats, comme le trafic d’êtres humains…

De quels pays viennent la majorité des séries TV et pourquoi ?
Ah, ça, c’est le Brésil, évidemment ! Ils sont très forts – je parle notamment de la chaîne Rede Globo (4) – et ont développé une puissante industrie autour des feuilletons télévisés, novelas comme on les appelle là-bas. Ils produisent sans arrêt des séries destinées à toutes sortes de publics et de qualité très variée.
En Angola on suit leurs telenovelas depuis l’indépendance, en 1975, les toutes premières étant O Bem Amado (5) et Gabriela Cravo e Canela, un classique basé sur le roman homonyme de l’écrivain brésilien Jorge Amado, qui a récemment fait l’objet d’un remake.

Le pays s’arrêtait littéralement lors des émissions, on vivait une période difficile et les moments de détente étaient rares et précieux. Avec les Brésiliens nous partageons, une langue commune et leur variante du portugais est très bien comprise en Angola ; ils ont d’ailleurs plus de mal à comprendre notre accent que le contraire. Entre nos deux pays, il y a des influences culturelles et historiques importantes et un passé commun d’anciens colonisés. Nous apprécions leur musique depuis toujours – la samba, la bossa nova, le axé et des rythmes plus récents – et les personnages des telenovelas exercent une énorme influence sur la mode en Angola, surtout la mode féminine. C’est un vecteur publicitaire non négligeable car nous sommes très perméables à ce sujet.
Aujourd’hui, l’apport se manifeste aussi dans l’autre sens car les brésiliens commencent à mieux connaître nos écrivains (Ondjaki, Agualusa, Ana Paula Tavares) et nos cinéastes tournent des films avec leurs acteurs. Zézé Gamboa, par exemple, a intégré plusieurs comédiens brésiliens dans au moins deux de ses longs métrages : O Herói et O Grande Kilapy.
Nous importons aussi des feuilletons télévisés d’autres pays sud-américains : Mexique, Venezuela, qui en exportent beaucoup. Il y a un langage codé et des formules connues qui fonctionnent, tout du moins commercialement. L’espagnol est une langue que la plupart des lusophones comprennent passablement bien sans avoir besoin d’une traduction formelle. Ce sont aussi des pays qui ont souvent une manière de vivre et une convivialité semblable à ce que nous connaissons en Angola.
Quelles thématiques plaisent particulièrement aux téléspectateurs ?
Les passions, que ce soit les amours contrariés ou les histoires pacifiques, le mystère, l’intrigue, l’ascension sociale, l’infidélité, la haine, la polémique, les drames (maladie, tragédies familiales), le glamour des classes privilégiées et les contes de fées sont toujours à l’ordre du jour, version afro ou inspirée par l’Occident.
La force des dialogues est aussi essentielle, les expressions comiques et caricaturales sont rapidement adoptées par le public et entrent dans son quotidien. Les émotions, en général, sont avidement consommées par les spectateurs.
Justement, qui consomme essentiellement ces séries TV ?
Davantage les femmes, mais en général, tout le monde regarde ces séries en Angola. Je ne suis pas sûre qu’il existe un groupe précis qui se distingue, c’est plutôt une forme de détente familiale.
Les chaînes TV favorisent-elles la production locale de séries TV ?
La plupart des séries viennent encore de l’étranger. Cependant, beaucoup de partenariats se sont établis avec des portugais et des brésiliens et il semblerait que les spectateurs soient plus réceptifs maintenant aux productions locales. Les chaînes de télévision s’apprêtent à investir d’une façon plus cohérente et permanente : elles suivent la tendance et la demande du marché, comme avec Windeck, produit par Semba Comunicação pour la chaîne publique TPA. Ou alors Minha Terra Minha Mãe, une telenovela créée par deux auteurs brésiliens pour la chaîne publique angolaise, qui l’a diffusée en 2009.

Aujourd’hui, les spectateurs angolais s’intéressent davantage à ce qui se fait dans le pays, culturellement parlant, surtout au niveau des arts plastiques, de la musique et des contenus audiovisuels. Les angolais sont fiers de leur identité collective, de leurs exploits, et la notion de citoyenneté devient de plus en plus importante et réelle. Il y a un concept qui en dit long à ce sujet et qui résume un peu cet état d’esprit, c’est « l’angolanisation » dans tous les domaines.
Avec l’arrivée du câble et du satellite, observez-vous un changement de comportement de la part des téléspectateurs ?
Sans doute. C’est inévitable. Nul n’est à l’abri de la globalisation. Une partie des chaînes du câble rediffusent surtout des productions étrangères. Nous consommons également les séries cultes que l’on voit ailleurs, comme les séries américaines qui sont les plus diffusées et les plus visibles. Ce sont des modèles de comportement et de société que l’on rajoute aux nôtres et qui parfois les remplacent.
Encore faut-il être conscient que l’on regarde souvent vers l’Occident et rarement vers les autres pays du Sud. L’absence de dialogue quasi permanente est un vécu et un symptôme bien regrettable.
Qu’en est-il d’Internet ? Assistez-vous à l’émergence de séries TV diffusées sur YouTube ou d’autres plateformes vidéo ?
Pas à ma connaissance. J’observe ce phénomène, par exemple, au Brésil, où le groupe de comédiens Porta dos Fundos (6) connaît un succès surprenant. Je suppose qu’en général cela passe par des séries – voire des sketches d’un humour extraordinaire – qui n’ont pas de place sur les chaînes TV standards où les règles sont plus strictes du point de vue du langage. Il y a une notion très claire de ce qui peut être considéré comme offensant. Je ne connais pas de cas similaire en Angola, mais je suis persuadée que c’est une tendance universelle.
Quels seraient, selon vous, les ingrédients essentiels pour qu’une série ait du succès en Angola ?
Nous avons déjà un précédent : Windeck. Si l’on vise un succès commercial, tous les ingrédients y sont : l’amour, la trahison, les tabous, la richesse, le glamour, l’ambition, la séduction, l’humour, les grands décors et, bien sûr, les méchants. Les possibilités sont infinies : des périodes-clés de notre histoire, les traditions ancestrales confrontées à la vie moderne – même si la formule peut paraître un peu clichée – les relations interculturelles qui découlent de la présence massive d’asiatiques en Angola, l »intégration des ressortissants Européens fuyant le chômage… En somme, tous les thèmes permettant de voir la réalité locale en face, que ce soit celle des villes ou des milieux ruraux, avec un décor africain et un regard angolais, seraient les bienvenus.
Pensez-vous que les séries angolaises actuelles reflètent bien la société?
Peut-être pourrions-nous démontrer un peu plus de respect à l’égard de certains de nos compatriotes dont le portugais n’est pas la langue maternelle. Nous avons plusieurs groupes ethnolinguistiques en Angola et je suis persuadée que ceux-ci aimeraient volontiers se voir représentés par des personnages parlant ces langues-là, ce serait une opportunité pour y introduire un élément d’éducation sociale.
Je suppose que le casting pourrait être plus varié : la présence d’acteurs étrangers n’est pas à proscrire, au contraire, elle est la bienvenue, par contre il serait peut-être enrichissant de créer des personnages issus de la banlieue, du monde rural, d’écrire des scénarios qui puissent attirer les gens de tous les coins de cet immense pays, d’inclure des acteurs provenant de la périphérie, avec leurs accents et leur bagage culturel, religieux, etc.
Bien sûr il faut investir dans la formation d’acteurs, penser à une production conséquente et à un investissement plus régulier. Car au final, un acteur angolais peut-il vraiment vivre de son métier et s’y consacrer pleinement ?

Propos recueillis par Claire Diao

(1) Windeck (Le Prix de l’ambition en français), diffusée sur TPA2 et TPA Internacional en Angola et RTP1 au Portugal, a été nominée dans la catégorie meilleure telenovela des récompenses audiovisuelles américaines Emmy Awards en 2013.
(2) En français, Chemins Croisés
(3) Site officiel de la série Salve Jorge
(4) Rede Globo est le principal réseau de télévision au Brésil, NDLR.
(5) Le Bien-Aimé (en français), satyre d’un homme politique rusé et démagogique dans un petit village fictif de Bahia.
(6) Site officiel de Porta Dos Fundos
///Article N° : 12431

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Les images de l'article
O Bem Amado © DR
Luisa Fresta © DR
Porta dos Fundos © DR
Roque Santeiro : Regina Duarte et Lima Duarte © TV Globo





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