Sortilèges en pays mandingue

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La Rencontre internationale des chasseurs d’Afrique de l’Ouest a rassemblé à Bamako du 27 au 29 mai 2005 plus de 500 chasseurs venus des différentes régions du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Des chercheurs de Côte d’Ivoire, de Gambie, de Russie ou de France ont aussi échangé sur le savoir et le savoir-faire de cette confrérie très ancienne dont l’évolution fascine tout autant qu’elle inquiète. Reportage.

Nuage de sable bistre sur Bamako. Passé le pont sur le Niger, les flamboyants se détachent du ciel bleu pâle. Dans la grande salle du Palais de la Culture, manches de koras et de fusils dépassent des fauteuils et côtoient des chapeaux aux formes hétéroclites. Un parterre de donso (chasseurs) écoute ce matin-là Fodé Moussa Sidibé, l’organisateur de la rencontre, remercier de leur présence les enfants de Sanènè et Kontron. Maîtres de la brousse, ces divinités ont transmis l’art de la chasse aux humains. La capitale malienne leur a offert une place dans le quartier de Niaréla à l’issue des premières rencontres en 1991. Elle abrite une statue symbolisant ces personnages mythiques et inséparables, assimilés tantôt à un couple tantôt à une mère et à son fils. « Dansoko ! Aniko ! » lancent les donso. Bienvenue de la brousse ! Des coups de feu claquent au dehors puis des sifflets sur le chemin de la Galerie du Palais, cadre de « Portraits de chasseurs » où sont exposées des photos de Django Cissé ou Malick Sidibé.
« Prenez le départ ». Une poignée de minibus se jette dans la circulation. La route en lacet longe bientôt les hauts murs du palais présidentiel sur les hauteurs de Koulouba, où des fresques sont peintes à la mémoire des grands hommes qui ont fait l’histoire du pays. En premier lieu, les Simbons éternels, grands maîtres chasseurs, Soundiata Keita, fondateur de l’Empire du Mali, qui abolit l’esclavage, et Da Monzon Diarra, le roi qui structura le royaume bambara de Ségou dans le même esprit… Pour Youssouf Tata Cissé,, ethnologue du CNRS et parrain des rencontres, l’œuvre majeure de Soundiata fut l’adoption de la Charte du Mandé, un serment qu’il rédigea en 1222 avec les chasseurs, basant l’empire sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité, sans discrimination d’ethnie ou de race. Guerriers et protecteurs, ils sont à l’origine de chaque village et les récits initiatiques font remonter la création de leur confrérie au 7ème siècle dans l’Empire du Wagadu. Ils prêtent aussi aux chasseurs la réalisation des peintures et gravures rupestres entre Sahara et Sahel au temps préhistorique.
Des chèvres blanches collées au mur ocre dorment sur pied, écrasées par la chaleur. Sur l’autre versant de la colline, la route descend à pic sur le village de Sogonafing. La poignée de journalistes assignée sur l’esplanade jette à peine un regard aux femmes qui exécutent une danse de bienvenue. Les caméras, en état d’alerte maximum, sont braquées sur les chasseurs qui parcourent seuls les quelques deux cents mètres qui les séparent du bois sacré où se trouve le Dankun. Les initiés disparaissent derrière un bosquet pour accomplir un rituel sur le grand fétiche des chasseurs. Un sacrifice ? « Poulet noir, cola noire, chien noir, cola noire, affirme un villageois. Il y a très longtemps, le chasseur le plus fort de Bamako habitait là. Mais le Dankun appartient à tous les chasseurs du Mali. » Dans la concession de Ténéma Konaté, chef chasseur de Sogonafing et chef du Dankun, la sérénade commence. « Celui qui n’est pas fort ne doit pas se comparer à Ténéma. Qui est le plus fort entre le maître et l’apprenti ?Entre le chat et la souris ? » La cour est bondée. « Si tu veux connaître sa puissance. Si tu approches des puissants comme lui… »
Des bâchés de l’armée malienne et des camions frappés du sigle UN encadrant les minibus du Palais de la Culture traversent lentement les artères engorgées. Les fusils de traite dépassent de chaque vitre ouverte. Le cortège se dirige vers le Stade Modibo Keita où les chasseurs disciplinés ont déjà formé un immense cercle en bordure de pelouse. Souvent sollicités pour le service d’ordre des manifestations, ils sont aujourd’hui à l’honneur. Tout au fond, le groupe de Bankoni présente son fétiche, un crocodile vivant de près d’un mètre cinquante de long, bien dodu, fraîchement capturé dans la forêt de Sibi. « Ils sortent avec les premières pluies, expliquent-ils. Il y avait un couloir au milieu du marigot dans la grande brousse… » Le plus vieux, « un 68-ard », raconte qu’à l’âge de quinze ans, il chassait des panthères, des phacochères, des porcs-épics et des lapins. A quelques pas, Salimata Ouattara, bardée de grigris, bandana autour de la tête et lunettes noires, défie les passants du regard. La soufi donso, attrape la main d’un badaud : « Toi, tu gagnes beaucoup d’argent mais tu as le cœur dur. Quand tu fais le bien, tu as peur que les gens te trahissent après… » Les délégations de Sikasso, Gao, Ségou, Mopti, Koulikoro et Kayes, celles de Zinder, au Niger, en caraco rouge, et du Burkina, en faso danfani bleu et blanc, dont les archers arborent flèches rouges et casques à deux cornes ornés de cauris, tous patientent dans une ambiance de salle de garde.
Soudain, une sirène retentit. Des limousines pénètrent dans l’enceinte du stade. Le président du Mali, Amadou Toumani Touré, entame à pied un tour de piste en serrant une à une les mains des chasseurs. Le service d’ordre est sur les dents. « ATT, Sama ! », (l’éléphant) lui crie quelqu’un. Un chasseur le prend en photo. A deux pas, des fusils ronflants crachent leur poudre. Il salue la délégation du Burkina Faso puis gagne les gradins. En attendant, les chasseurs, l’air fatigué mais fier, s’exposent au grand jour, cherchant leur meilleur profil pour les photographes. L’un d’eux porte une hyène morte jetée sur l’épaule. Un autre a un serpent autour du cou, téléphone portable à la main. Du haut de la tribune, le Président exhorte « les premiers gardiens des traditions de la brousse et de la forêt, de la faune et de la flore, leur univers qu’ils parcourent pour trouver les meilleures racines et les fleurs pour guérir et soigner », à préserver l’environnement. A ses côtés, le ministre de la Culture, Cheikh Oumar Sissoko, engage les pays limitrophes à « défendre avec acharnement la paix civile dont les chasseurs, gardiens de l’identité supranationale, sont dépositaires pour relever le défi de la crise identitaire. »
Sur le podium, galipettes et contorsions s’enchaînent. Un vieux chasseur de Sikasso s’enfonce un clou dans le haut du crâne avec un marteau. Seydou Coulibaly, secrétaire adjoint de la Fédération nationale des chasseurs du Mali cite parmi les plus grands chefs chasseurs « Seydou Diakité, dit Waraba Tchatcho, le lion multicolore. Il a tué hippopotames, éléphants, tigres ». Le correspondant du journal L’Essor renchérit : « Tchatcho, c’est un ancien militaire mais pas un guerrier. C’est le plus grand marabout, un soma, un guérisseur et un voyant qui, dans des circonstances pareilles, reste cloîtré dans sa base ». Seydou Coulibaly ajoute : « Il y a aussi le président des chasseurs, Gossé Niakaté qui, sorti seul en brousse, est parvenu à nourrir une dizaine de villages avec le fruit de sa chasse pendant la grande sécheresse ». Tout à côté, un jeune, la coiffe sale et délavée rabattue sur les oreilles, se jette sur un petit décharné à longues tresses. Bagarre vite jugulée par les aînés.
Dans le bus rempli de chasseurs, un vieux sagement assis tient son fusil serré, pointe braquée vers le ciel. « Etre chasseur, c’est l’engagement de toute une vie », dit-il pensif. Un jeune prend le frais, caméscope en main, au bar en plein air du Palais de la Culture. Venu d’Aubervilliers (France), Issa Diarra revient de sa région natale de Kayes où il est allé voir son maître (karamoko). « Pour avoir la connaissance, il faut savoir se soumettre », explique-t-il. Les rencontres sont pour lui l’occasion d’échanger des idées et des connaissances. « Sur les arbres, par exemple. » La session cette année comprend moins de délégations étrangères. Et si les régions sont toutes venues, à part Kidal et Tombouctou, elles ont été limitées en nombre. « Cela ne doit pas vous surprendre. Il y a la famine, reprend Issa. Criquets au nord, sécheresse au sud. Un chef de famille ne peut pas quitter les siens. Il préfère trouver de quoi les nourrir ».
Sur l’esplanade, chaque tir provoque une poussière d’étoiles. La veillée a commencé. Yanfolila entre en scène, chef en tête, coiffé d’un bonnet orné de deux cornes de gazelle. Il est suivi des chœurs et du donso ngoni, l’homme aux mille grigri, cora en main, qui caresse l’épaule du chef avec le chasse mouche, lève sa main qui tient le fusil, agite le front sur lequel il a fixé une torche. Il énumère les animaux qu’il a tué, lions, hyènes, dansant sur place, puis s’envole en tournant sur lui-même avec sa cora. « C’est le chasseur et son double. L’époux et l’amant », commente Modibo Keita, enseignant à Kita. Les plus célèbres s’appellent Yoro Sidibé ou encore Sibiri Samaké. Les chasseurs étendent leur renommée en offrant les meilleurs talismans ou fétiches à leurs chantres. D’où leurs tenues, de loin les plus garnies. Ils sont la mémoire de la confrérie. Un novice, le répondant, ponctue le récit avec des « Namou » (oui). « Une parole sans répondant est une parole futile, explique Fodé Moussa. Si le novice est assez fort pour se protéger des autres chasseurs, le maître le libère. Les chantres poussent les chasseurs à l’exploit, s’exposant au courroux de ceux qui n’ont pu relever les défis. »
Un woyuma (prestidigitateur) monte sur le podium. Il sort un œuf de sa fesse, l’enferme dans une boîte de conserve, souffle, ouvre la boîte, commence à boire, crache le lait, jette la boîte vide, met l’œuf dans sa bouche et en retire un fil de quinze mètres et plus encore… La foule applaudit. Le chasseur qui lui succède coupe son bras jusqu’à moitié avec un couteau, qu’il retire et lèche. Son bras est lisse. Un autre, moins chanceux, se plante un couteau dans le ventre. Blessé, il est opéré sur le champ en coulisses.
Dans une salle de conférence à l’étage, chasseurs, traditionalistes et universitaires font silence en mémoire d’Ahmadou Kourouma, disparu cette année. Le changement de rôle et les persécutions subies par les chasseurs en Côte d’Ivoire les amènent à réfléchir sur l’identité et les métamorphoses du chasseur. Leur statut « est indissociable d’un climat de merveilleux tissé de croyances dans les forces occultes de la nature », estime Jacques Chevrier, professeur émérite à la Sorbonne. « Hier à la veillée, un jeune disait : si vous ne faites pas des choses extraordinaires, on va rentrer. Ou bien : Est-ce qu’il y aura du gibier vivant aujourd’hui ? », renchérit Modibo Keita. Pour Youssouf Tata Cissé, la confrérie « est une élite, dépositaire de la connaissance et responsable de la bonne marche de la société. » Ce qui fait le donso, c’est le savoir et le savoir-faire qui permettent de franchir les étapes de l’initiation, d’acquérir les techniques de chasse, la pharmacopée, le comportement social et le savoir occulte réservé aux initiés. « Le chasseur n’est pas un bonimenteur. Les soma sont une sorte de ministre des cultes. Mais attention aux débordements. »
« La jeunesse voudrait nous transformer en sorciers. C’est ce qui est en train de gâter notre nom, dit Fomba Bakary, enseignant et chasseur dans le cercle de Dioila. Celui qui s’est blessé était monté sur scène sans même saluer les grands chasseurs. C’est un signe. » Une autre histoire, celle de Daouda Yattara, un soma satanique, défraie la chronique à Bamako. « Il souhaite aller en enfer et défie Dieu. Un bulldozer a creusé sa concession, des ossements ont été retrouvés », raconte Modibo. Ses partisans ont protesté par centaine quand on l’a jeté en prison. Les jeunes chômeurs s’attachent à des pseudo-marabouts, musulmans ou animistes, qui promettent monts et merveilles. « Alors que les chasseurs soignent et font de la divination mais ne commercialisent pas ». Armes et drogues circulent aussi, proposées à ces faux donso. Pour Bakary, le monde de la chasse a changé. En province, ils ont renforcé leurs gardes aux côtés des gendarmes. « Nous patrouillons bénévolement à partir de minuit sur toutes les pistes de Koutiala à Sikasso. Et sur le marché de Béléko. » Devant le carrefour des jeunes, à Lafiabougou, Traoré Diaweye, président de l’Association Anacma, évoque encore le vol de bétail dans sa région de Kita. « Quelque fois les chasseurs parviennent à reprendre le bétail et à arrêter les voleurs. Ce sont des groupes organisés. Mais les animaux ont des papiers et ils doivent montrer les preuves qu’ils leur appartiennent. »

Africultures a publié en 2000 un dossier sur le thème « L’Impact
des chasseurs » Cliquez ici pour en lire le sommaire

Pour lire  » Les chasseurs, force culturelle mandingue ? Entretien avec Cheik Oumar Sissoko, ministre de la Culture du Mali »Cliquez ici///Article N° : 4041

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© Catherine Millet
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