Le point de vue de l’écrivain Alain Brezault sur le voyage du Pape en Afrique et qui voit en lui un danger public. Il revient sur le temps où il était Préfet de la Congrégation de la Foi : il avait violemment attaqué les Jésuites sud-américains et africains de la théologie de la Libération qui défendaient les populations brimées et asservies par les régimes dictatoriaux de l’époque.
« il nous faut « libérer » le christianisme africain de la captivité babylonienne à laquelle l’ont réduit les structures romaines qui pèsent sur les mentalités ecclésiastiques, les pesanteurs sociologiques d’une religion de l’au-delà, les formes de piété et de dévotion d’un christianisme en décomposition, l’apolitisme déguisé des missionnaires occidentaux, l’apathie massive, l’irresponsabilité et la cupidité intolérable de certains membres du clergé, le spiritualisme désincarné des laïcs indigènes, l’inconscience ou l’infantilisme des religieuses africaines formées à l’européenne. Depuis la traite des nègres, l’histoire de l’Afrique est une histoire de la violence : elle est faite de brimades et de mépris de l’homme. L’Église ne peut planer ici au-dessus de la mêlée, aspirant à la transcendance de l’Esprit : il lui faut retrouver le contact avec la terre africaine, non seulement avec ses religions et sa culture, mais avec les humiliations, la violence de l’impérialisme et des pouvoirs, les résistances et les luttes du peuple. » (Jean-Marc Ela, « Ma foi d’Africain », Ed. Karthala, pp. 23-24, Paris, 1985)
Ses pairs qui l’ont élu ne pouvaient ignorer ses « états d’âme ». Il écrivait le 3 septembre 1984, contre la théologie de la libération, dans le paragraphe 9 du chapitre IV intitulé « Fondements bibliques » :
« La pauvreté pour le Royaume est magnifiée. Et dans la figure du Pauvre (1), nous sommes conduits à reconnaître l’image et comme la présence mystérieuse du Fils de Dieu qui s’est fait pauvre par amour pour nous. Tel est le fondement des paroles inépuisables de Jésus sur le jugement
Notre Seigneur est solidaire de toute détresse ; toute détresse est marquée de sa présence. »
Si cette détresse est vécue comme « un don de Dieu », il est bien sûr impossible pour un bon chrétien de la remettre en cause autrement que par la prière.
C’est ce qu’expliquait le penseur Camerounais Achille Mbembe dans un ouvrage paru en 1985 à L’Harmattan (2) : « Dans ces contextes marqués par une crise d’identité générale, la communion dans la prière et l’euphorie des « moments chauds » permet de faire l’économie des engagements concrets dans les luttes sociales. »
Prions et Jésus fera le reste après sa sieste millénariste
C’est justement ce reste qui devient parfois insupportable aux plus déshérités pour qui la promesse d’une vie éternelle devient en cet instant de désarroi une promesse vide de sens.
Il semblerait, d’après notre très digne successeur de St Pierre, que seuls les nantis ont le privilège de la charité : ils peuvent accéder au Paradis en s’offrant le luxe de distribuer le minimum vital à ceux qui ne possèdent rien, moyennant de la part de ces derniers une reconnaissance servile.
Les pauvres, ne pouvant rien offrir que leur misère, devront en contrepartie se contenter de souffrir en silence, dans le respect de l’ordre établi sur terre, sans jamais envisager de le remettre en cause puisque Dieu l’a voulu ainsi en s’incarnant en eux.
À cette bilieuse tromperie, véritable maladie de Foi, le père camerounais Engelbert Mveng, avait répliqué, avant de se faire assassiner par des fanatiques quelque temps plus tard :
« Quand nous parlons de spiritualité des Béatitudes, ce que nous entendons précisément c’est que la misère, la pauvreté matérielle, lot des peuples du tiers-monde, constituent une non-valeur qui n’a rien d’évangélique ! La pauvreté évangélique doit commencer par combattre et éliminer la misère matérielle qui est en fait l’institutionnalisation de l’injustice sociale. »
Mais bien avant d’entériner l’excommunication des chirurgiens qui avaient récemment osé faire avorter une gamine de neuf ans violée par son beau-père, sans oublier, autre bavure, de réintégrer au sein du troupeau ecclésiastique un évêque négationniste en perte de mémoire, le triste sire qu’était déjà le Cardinal Joseph Ratzinger rajoutait une nouvelle louche de pieuses tartufferies en écrivant : « Fruit de l’action de l’homme, les structures, bonnes ou mauvaises, sont des conséquences avant d’être des causes. La racine du mal réside donc dans les personnes libres et responsables, qui doivent être converties par la grâce de Jésus-Christ, pour vivre et agir en créatures nouvelles, dans l’amour du prochain, la recherche efficace de la justice, de la maîtrise de soi et de l’exercice des vertus. »
(Cf. paragraphe 15, page 72 du chapitre déjà cité.)
Si le futur Benoît reconnaissait alors du bout des lèvres que l’injustice est de ce bas monde et que la racine du mal réside dans les personnes libres et responsables, les pauvres n’ont toujours rien à voir là-dedans : c’est seulement une affaire entre Dieu et les riches qui seront convertis par la grâce de Jésus-Christ en payant leur quote-part à la quête pendant la messe.
En attendant cet heureux événement, les pauvres n’ont qu’à continuer à gérer leur mauvaise misère et les riches leur bonne fortune pour l’amour de Dieu revu et corrigé par le Vatican !…
Et cachez ce SIDA que je ne saurais voir à travers une putain de capote !
1. La majuscule accolée au Pauvre, vaut son pesant d’hosties
2. « Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire », p.173Bruxelles, jeudi 19 mars 2009///Article N° : 8487