Que reflète ce terme de « diversité » ? Comment est-il perçu ? Afriscope est allé à la rencontre de plusieurs membres de la formation Reporters citoyens, une formation gratuite au métier de journaliste destinée aux jeunes des quartiers populaires. Sociologue, artiste, acteur culturel ont également réagi sur ce terme, mais aussi à celui du vivre-ensemble, du multiculturalisme, à la notion d’apartheid social et ethnique mentionné par Manuel Valls début 2015, ou encore à l’étiquette « jeune de banlieue ».
Johanna Clairet, Créteil (94)
En banlieue, on ne pense pas à la diversité, on la vit. Seuls les politiques et les médias soulignent ce terme, dû certainement à leur
méconnaissance et à leur crainte des quartiers. Aujourd’hui, la France est diversifiée, multiculturelle et le sera de plus en plus. Les jeunes sont ouverts, on ne s’étonne plus de voir des mariages mixtes dans nos entourages et il faut le voir comme une richesse pour notre pays. À Créteil par exemple, nos élus sont « black, blanc, beur » et on ne se pose pas la question de savoir s’ils sont légitimes. Ce sont des citoyens comme nous, qui connaissent nos quartiers et la réalité du terrain. C’est par la connaissance des situations et des besoins que l’on crée des solutions. Sur la question de l’ « apartheid », nos quartiers sont enfin en train de bouger grâce aux rénovations urbaines, mais c’est déjà trop tard. Les politiques ont compris qu’ils ont créé des bombes à retardement en parquant les gens de milieux sociaux peu aisés dans de vastes cités faibles en infrastructures. Je n’ai pas de fierté particulière d’être issue de la banlieue, je ne me pose pas la question, je vis ma vie. Ce sont les Parisiens et les élites qui le pointent du doigt et me le rappellent.
Ayann Koudou, Boulogne (92)
Notre génération veut sa place. Les jeunes d’origine étrangère veulent être là où ils le souhaitent (entreprise, politique, sciences). Ils s’organisent, militent font du bruit, on ne peut plus les ignorer mieux encore on commence à les entendre. Je suis fière de ce que je suis, de ce que la vie et ceux qui m’entourent on fait de moi et ce moi qui a été en partie construit en banlieue. Quant à la question du vivre ensemble, je pense qu’on a toujours vécu ensemble mais à l’intérieur de deux clans : les riches et les pauvres. Aujourd’hui avec toutes les polémiques qui parfois se terminent avec des lois (loi 2004, bienfaits de la colonisation 2005, procès Zyed et Bouna, Vincent Auriol, les chibanis menacé d’expulsion) en plus d’une division riches / pauvres, même à l’intérieur du groupe des pauvres la méconnaissance et la peur séparent. Seule une réforme de l’éducation nationale peut nous sauver
Assa Diarra, Viry-Chatillon (91)
Si on entend la diversité comme la coexistence pacifique des différences, je dirai qu’elle connaît pas mal de difficultés. Mais la diversité, en tant que juste toutes les différentes religieuses, ethniques, sociales, sexuelles etc., fait partie de l’ADN de la France. On aura beau faire ce qu’on veut elle ne disparaîtra pas. Et les banlieues, « les » parce qu’elles sont multiples, sont d’abord et avant tout des lieux de vie. Elles ne déterminent pas ses habitants. C’est pour ça que pour moi ça ne veut un peu rien dire d’être un « jeune de banlieue ». C’est plus une image sociale (présentée souvent négativement), construite par et pour les médias et les politiques, basés sur beaucoup de fantasmes. On ne dit pas « jeune de campagne », « jeune de centre-ville », etc. Pour moi c’est un raccourci intellectuel qui arrange parce qu’en France on adore mettre les gens dans des boîtes. Par contre je peux dire que je suis fière d’être issue d’un territoire qui bouge, où les nationalités et origines sont diverses de même que les religions. Fière d’être issue d’un territoire qui a un tel tissu associatif mais aussi autant de talent que de créativité. Fière tout simplement de voir des gens qui vivent ensemble et non pas côte à côte. Quand on dit ça tout de suite on est un idéaliste qui nie les problèmes. Non, j’observe, je prends acte des problèmes et je pars de là pour résoudre le souci, en me concentrant sur ce qui marche. Il ne suffit pas d’aller dans un quartier situé en banlieue pour dire « vous voyez je suis ouvert et je connais ». Non si tu y vas avec le même regard plein de clichés, tu verras que ce que tu as bien voulu voir sans laisser d’espace à l’apprentissage et l’enrichissement humain. Valls en est d’ailleurs un bon exemple. S’ils veulent vraiment rendre le vivre-ensemble effectif, je les invite à côtoyer d’autres lieux, d’autres personnes que la pseudo-élite qui dirige. Le vivre ensemble ne se décrète pas. Il serait temps que les politiciens réalisent qu’on ne met pas fin aux maux sociaux avec des mots mais avec une volonté matérialisée en actes.
ÉRIC FASSIN, Enseignant à l’université Paris VIII, Saint-Denis (93)
Le mot diversité, c’est la version positive d’une réalité négative : la discrimination. Car mettre en place une politique de la diversité n’implique pas forcément de célébrer, sur un mode multiculturaliste, la diversité des cultures ou des origines ; c’est avant tout signifier qu’il n’est pas normal que les élites soient uniformément blanches. On renverse donc un négatif en un positif. Certes, c’est un euphémisme : une manière de ne pas parler de race… alors qu’il s’agit de discrimination raciale ! Reste que ce mot est intéressant en ce qu’il permet d’échapper au lexique de l’immigration. On parle souvent d’origine (les personnes « issues de »); cela renvoie à une logique migratoire. Mais la xénophobie n’est pas identique au racisme : les victimes de discriminations raciales ne sont pas forcément immigrées – ni même « d’origine immigrée ». D’ailleurs, quand on parle d’immigrés de la deuxième ou de la troisième génération, c’est un nonsens : l’immigré est né étranger à l’étranger ; ses enfants nés en France ne peuvent donc pas être immigrés. Il ne s’agit pas d’une propriété dont on hérite ! La confusion de vocabulaire est donc révélatrice de notre manière de racialiser l’immigration. Analyser cette racialisation, c’est éviter de confondre l’origine et le traitement. Car s’il y a bien sûr des immigrés noirs, il y aussi des Noirs français – nés en France, voire Français… « de souche » ! Et les seconds sont victimes de discriminations raciales non moins que les premiers. Ce qui définit les Noirs, ce ne sont pas tant leurs origines que la manière dont on les traite (comme des étrangers) fondée sur leur apparence. Quand on dit : « issu de la diversité », cette curieuse expression est une tentative de rabattre le traitement sur l’origine, autrement dit la discrimination sur l’immigration. Or il me semble très important aujourd’hui de distinguer « question immigrée » et « question raciale » pour mieux comprendre comment xénophobie et racisme, loin de se confondre, se renforcent mutuellement.
INTERVIEW INTÉGRALE A LIRE SUR AFRICULTURES.COM
KARIM MISKÉ, Auteur de N’apparteniret du polar Arab Jazz (Paris 3e)
La diversité c’est un label produit par le pouvoir qui ne veut pas voir ce qui le dérange. Il veut chercher à mettre la question qui fâche, c’est-à-dire celle de la violence, sous le tapis. Quand on n’est pas blanc, chrétien, y compris athée, majoritaire, on est héritier d’une histoire de la violence, on est héritier des répressions coloniales sur le sol de France. Ce dont j’ai parlé dans le documentaire Musulmans de France. L’État est contrôlé par une caste dirigeante qui refuse de s’ouvrir ou qui ne coopte que des gens qui acceptent une certaine forme de soumission. C’est ce que dit Luc Bronner dans La Loi du Ghetto. J’adhère totalement à sa conclusion ; l’élite blanche refuse de partager le pouvoir ou quand elle accepte de prendre des Noirs et des Arabes c’est des Bounty pour parler cash. Donc la diversité c’est ça, c’est pour les Bounty. Évidemment il y a quelque chose qui s’est refermé, communautarisé mais on ne parle jamais du communautarisme blanc. Et en même temps il y a plein de choses qui se passent qui sont de l’ordre de la rencontre, de la création d’un autre type de société. Il y a une vraie France multiculturelle qui existe et qui se revendique. C’est dans la vie politique que ça coince.
INTERVIEW INTÉGRALE A LIRE SUR AFRICULTURES.COM
Gregory M., Stains (93)
Cela fait plus de trente ans que je vis au Clos Saint-Lazare. Quand j’allais à l’école je passais prendre mes voisins sénégalais, algérien, marocain, polonais, malien, comorien, etc. Moi l’Antillais. On ne se sentait pas venir d’ailleurs car on est né ici. On a toujours vécu ensemble jusqu’à ce que les politiciens arrivent avec leurs lois… Je suis directeur d’un centre de loisir et culturel, quand j’entends certains jeunes parler ils s’identifient directement au pays d’origine de leurs parents. Beaucoup ne sont jamais partis au pays. Ils sont nés ici, ils sont français mais ils ne se sentent pas français. Le vivre-ensemble pour moi c’est une belle utopie…
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