« Un regard assumé par un Africain »

Entretien de Samy Nja Kwa avec Simon Njami

Paris, le 5 octobre 2005
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Commissaire général des Rencontres de la photographie de Bamako depuis 2001, Simon Njami a su donner l’impulsion nécessaire à la réussite de l’évènement. Il porte un regard critique et analytique sur son évolution et son avenir.

Comment les Rencontres de Bamako ont-elles évolué ?
La première édition créée par Françoise Huguier était faite sur une impulsion. C’était un premier chantier où tout a été fait à l’énergie. Pour les deuxièmes Rencontres, il y a eu un comité artistique de sélection dont j’avais fait partie et dont j’avais démissionné. Il n’y avait pas d’organisation malienne à proprement parler. Pour la troisième édition, Abdoulaye Konaté a été nommé directeur des Rencontres. En 2001, il y a eu une montée en puissance grâce à toutes les expériences précédentes : une structuration plus grande du bureau malien avec déjà à l’horizon la création de la Maison africaine de la photographie. Elle va ouvrir ses portes lors de cette édition 2005. Le nombre de photographes exposés a augmenté, la biennale s’est structurée en différentes catégories et un catalogue conséquent a été réalisé. D’une édition à l’autre, on affine, on travaille sur les collaborations et sur la coordination. L’une des difficultés de la biennale est qu’elle est coproduite par le Mali et par la France. Il y a souvent des difficultés de transmission. Le souci constant est que l’événement perdure et que les Maliens soient de plus en plus partie prenante de ces Rencontres.
Vous parliez d’une coproduction des Rencontres, comment se définit-t-elle ?
C’est une participation à 50-50. Cela dit, la participation malienne se découpe en 2 volets. D’une part, la participation directe de l’État, qui se traduit par la mise à disposition des locaux, la mise à disposition d’un budget. D’autre part, cette participation se fait par le biais de l’Union européenne qui a dédié une certaine somme pour les Rencontres, gérée par le Mali. La France s’occupe des productions.
Les premières Rencontres étaient surtout axées sur des archives de photographes de studio. Aujourd’hui, vous présentez des photographes plus jeunes, dont certains produisent pour les Rencontres. Comment s’est opérée cette transition ?
Il n’y a pas eu de transition. Françoise a créé cette biennale après être tombée en admiration devant des photographes classiques travaillant en studio : Malick Sidibé, Seydou Keita… mais il était évident qu’une biennale de la photographie ne pouvait se contenter d’avoir un regard rétrospectif. D’une édition à l’autre, la diversité de la photographie a été mise en avant par de nouveaux talents, tout en continuant à exposer les anciens. La biennale ne se cantonne pas dans un genre, qui serait le photojournalisme ou le documentaire, il y a aussi la photographie esthétique, la photo historique.
À partir de quand est-elle devenue thématique ?
À partir de 2001. Lorsque j’ai pris la charge de la biennale pour une édition (croyais-je), il m’est apparu important de distinguer les expositions. L’organisation des expositions nationales est confiée à des co-commissaires. Il me semblait en effet important de développer une expertise africaine. Cette année seront présentés l’Algérie, le Soudan et le Mali. À côté de cela, il y a l’exposition internationale qui permet de renouveler les photographes. Il faut savoir que jusqu’en 2001, certains photographes avaient assisté à peu près à toutes les éditions. Je ne remets pas en question leur talent, mais plutôt le caractère de brassage des Rencontres. L’Afrique n’aurait-elle que ces artistes à proposer ?
Cette nouvelle configuration a-t-elle permis à des photographes ou des pays d’émerger ?
En 2001, les photographes égyptiens dont le pays était à l’honneur ont pas mal circulé. En 2003, le Nigeria fut la grande surprise avec plusieurs jeunes photographes. Il y a également eu des photographes présentés individuellement. Cette année, les gens seront particulièrement intéressées par l’Algérie et le Soudan. À chaque édition, la biennale entend donner un coup de projecteur à des régions données, pour permettre d’avoir une vision globale de ce qui se fait du Nord au Sud de l’Afrique.
Aujourd’hui, la biennale a dépassé les frontières du Mali pour s’installer dans d’autres pays…
Les Rencontres, ce sont aussi des photographes qui se rencontrent. Certains connaissent le travail d’autres mais ne se sont jamais vus, parce qu’il est très difficile de circuler en Afrique. Elles leur permettent de se découvrir, de regarder leurs travaux mutuels et de se parler. Nous souhaitons aussi que leur talent soit reconnu un peu partout. En 2001, après Bamako, la biennale a visité une cinquantaine de pays dont la Chine, une soixantaine en 2003. J’espère qu’en 2005, nous irons encore plus loin et que nous ferons en sorte que de la Pologne au Mexique, de la Chine au Brésil en passant par l’Iran, les gens se familiarisent avec ces photographes et qu’ils entrent dans le patrimoine visuel mondial.
Est-ce là votre objectif principal ?
Notre première responsabilité est d’abord de structurer la photographie en Afrique. La seconde est de faciliter la circulation, et la troisième est de faire en sorte que les photographes africains soient reconnus dans le monde et puissent prendre leur envol. Aujourd’hui, beaucoup sont passés par Bamako et sont contactés directement par des institutions. Plus on les verra circuler, plus on s’habituera à tenir compte d’eux. Ce n’est pas seulement une photographie exotique, c’est aussi une photographie contemporaine qui compte autant que toutes les autres.
Les débats et ateliers inhérents aux Rencontres semblent avoir du mal à s’installer…
Un grand chantier a été ouvert en 2001, et nous faisons des efforts pour le développer. Cette année, les ateliers ont été organisés avant les Rencontres, dans les pays d’Afrique où la photographie semblait un peu peiner. Les résultats seront montrés à Bamako. C’est un travail de longue haleine et de continuité.
Les photographes africains manquent souvent d’informations, surtout en matière de droit d’auteur. Sont-ils aujourd’hui mieux informés ?
Ils sont bien plus informés mais le travail est énorme. C’est une chose qu’ils soient informés, ça en est une autre que les personnes auxquelles ils ont affaire appliquent les règles. Ils savent se défendre, même si les difficultés demeurent. J’aurais aimé organiser des ateliers dans tous les pays d’Afrique au niveau des journaux et des institutions, pour leur apprendre à respecter les droits d’auteur. Il faut que l’ensemble de la société change.
Comment expliquez-vous que l’Afrique centrale soit si peu représentée aux Rencontres ?
Les ateliers d’initiation qui ont été menés l’année dernière se sont tenus au Congo, au Gabon, et au Burkina Faso, qui sont les pays absents des Rencontres – par ma faute sans doute, parce que j’estime que le niveau de la photographie qui s’y pratique n’est pas encore assez bon. L’une des missions des Rencontres est de faire en sorte que la photographie existe partout en Afrique de façon organique. Ces ateliers ont été organisés, force aux pays en question de poursuivre le travail. Par la suite, il y aura des ateliers au Cameroun et en Centrafrique pour que toutes ces nations puissent être présentes à Bamako.
Vous disiez avoir été engagé pour une édition. Pourquoi avoir enchaîné d’une édition à une autre ?
C’est un énorme travail collectif. Le principe de tout ce qu’on entreprend est qu’on n’a jamais fini. Lorsque j’ai accepté de reprendre le  » bébé « , j’ai mis 2 ou 3 choses en chantier, qui étaient fragiles. J’ai pour responsabilité d’amener cette biennale vers la stabilité. Pour cela, il fallait visser quelques boulons. Cela dit, cela fait douze ans que les Rencontres existent. Sur six éditions j’en ai fait trois, ce qui me paraît beaucoup, même si le travail n’est jamais achevé. Je ferai en sorte que la prochaine édition soit assurée par d’autres. Pour faire un rapide historique de la direction artistique des Rencontres : Françoise Huguier était le premier commissaire, ensuite il y a eu un comité artistique qui comprenait Robert Pledge, Robert Delpire et moi-même. J’ai souhaité qu’il intègre une quatrième personne d’Afrique – cela ne se fait pas fait et j’ai démissionné. La troisième édition était dirigée par Louis Mesplé. J’ai toujours milité pour que cette biennale soit dirigée par des Africains. C’est pour cela que j’ai habitué les gens à voir, dans les catalogues, divers commissaires, de manière à ce que le relais puisse être passé. C’est une biennale panafricaine. D’une édition à l’autre c’est un nouveau regard. Mon rêve est que ce regard soit assumé par un Africain.

///Article N° : 4157

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© John Mauluka





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