La hyène a dévoré son fils et le spectacle n’a pas laissé les festivaliers sur leur faim ! Comme revenu des temps mythiques de sa gloire passée, Samory avait dressé son camp au coeur du village de Blokos, un quartier lagunaire d’Abidjan : trois tréteaux de bambou, tendus de toiles comme des tentes sous les lumières des projecteurs. Voilà que l’histoire surgissait du passé, mais aussi le théâtre qui avec ses incantations et ses clameurs venait habiter sans crier gare la nuit d’un quartier populaire bien peu habitué aux feux de la rampe.
En imaginant ce dispositif de rue qui enserre le public, Patrick Janvier et Marcela Pizzaro semblent avoir tenté de retrouver l’ambiance des mystères sacrés, un théâtre populaire fondé sur la participation active des spectateurs. Et leur mise en scène a recours à tous les procédés d’un théâtre brut où priment les éléments naturels : feu, terre, bois… Aucun effet sophistiqué, mais une exploration de toutes les possibilités offertes par le dispositif circulaire, les tentes et le plein air : jeux d’ombres chinoises dans la tente nuptiale de Diaoulé d’où nous ne percevons que formes et voix, petites icônes en bois représentant des villages, suspendues entre les tentes et qu’une troupe de guerriers vient incendier en encerclant le public ; acteurs, danseurs et musiciens qui se frayent un chemin entre les spectateurs pour se rendre d’une tente à une autre… Il s’agissait bien de jouer sur un certain mysticisme et de remporter une adhésion quasi religieuse du public. Car le peuple africain voue un vrai culte à Samory. Certes le texte de Massa Makan Diabaté est difficile, mais les Abidjanais restés pour voir le spectacle connaissent toute l’histoire ; ils commentaient l’action, s’indignaient, s’exclamaient, anticipaient les événements comme l’aurait fait un choeur antique.
Cette scénographie médiévale et le travail plastique d’Abdoulaye Ouologuem sur les costumes et les harmonies chromatiques en blanc et ocre donnent une densité archaïque aux situations. Quant à la dynamique qu’engendre l’éclatement spatial du dispositif, elle parvient avec bonheur à briser la raideur dramaturgique de la pièce que la structure classique enferme un peu trop dans le discours. Samory reste un homme cloué par un dilemme cornélien, écartelé entre la raison d’Etat et son amour paternel, mais les artifices de la mise en scène et le jeu d’Hamadoum Kassogué parviennent à le transfigurer en la figure mystique d’un Dieu le Père qui pour le bien de l’humanité se résout au sacrifice du fils.
avec Hamadoum Kassogué (Mali), Boubacar Keita (Mali), Fily Traoré (Mali), Hamadou Kansaye (Mali-France), Yaya Diarra (Mali), Modibo Doumbioa (Mali), Maimouna Doumbia (Mali)
Mariétou Kouyaté (Mali), Adama Traoré (Mali), Christophe Merle (France), Abdoulaye Sarré (Mali), Karim Coulibaly (Mali).
Lumières : Mamoutou Ouattara (Mali)
Musique : Abdoulaye Sarré et Karim Coulibaly
Costume : Abdoulaye Ouologuem (Mali)
Co-production : EnsembleSauvagePublic (Canada-Québec), Acte SEPT (Mali) et Les Voix du Caméléon (France)///Article N° : 816