Une littérature émancipée

Entretien d'Elisabeth Monteiro Rodrigues avec Patrick Chabal

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Quelles sont les tendances actuelles de la littérature mozambicaine ?
Elles sont diverses mais reflètent les tendances observables depuis une dizaine d’années. A savoir : une poésie plus personnelle, intimiste, portée sur l’intérieur et en recherche esthétique ; une tendance de prose à base historique, avec un regain d’intérêt pour la culture et l’histoire du peuple « africain » du pays ; enfin la continuation d’une tradition lancée par Mia Couto pour le conte.
Peut-on considérer que la littérature s’est émancipée du politique ? Et à quel moment s’est opéré le passage d’une écriture de combat de dimension collective à une écriture plus intimiste, plus personnelle ?
Oui, on peut certainement dire que la littérature s’est émancipée du politique, et ce depuis pas mal de temps. Je dirais d’abord qu’au Mozambique, contrairement à l’Angola, il y a toujours eu une distance entre littérature et politique. Il est vrai qu’il y a une forte tradition de littérature politique ancrée dans la période de combat nationaliste et qui a continué à garder une place plutôt minoritaire au sein de la littérature créée après l’indépendance. Mais dans l’ensemble, les grandes voix littéraires mozambicaines, et en premier lieu José Craveirinha, sont restées indépendantes et vouées à une littérature non directement politique. La création de l’association des écrivains de Mozambique (AEMO) sous la houlette de l’écrivain engagé politiquement Rui Nogar, qui a su maintenir l’indépendance de la littérature face à la politique, a permis à toute une jeune génération d’écrivains – dont les plus connus sont sans doute Eduardo White et Ungulani Ba Ka Khosa – de s’exprimer souvent de façon critique ou bien personnelle sans craindre une répression politique. Mon expérience au Mozambique, lorsque je faisais les interviews publiées dans Vozes Moçambicanas, est qu’il y avait une assez grande indépendance entre littérature et politique, ce que confirmaient les auteurs.
Comment cela se traduit-il au point de vue du style utilisé ?
Cela se traduit par une grande diversité du style. Au niveau de la prose, Mia Couto et Suleiman Cassamo ont fait évoluer de façon critique la langue littéraire mozambicaine, incorporant chacun à sa manière le langage populaire, culturel et les façons de penser mozambicaines. Ungulani Ba Ka Khosa et Paulina Chiziane pour leur part utilisent un portugais plus neutre, moins mozambicain, sans que cela nuise le moins du monde à leur littérature. Pour la poésie, on trouve d’abord et toujours une évolution lente mais remarquable de la poésie de Craveirinha qui reste unique, une voix mozambicaine enracinée dans un portugais classique mais qui s’exprime au travers d’un langage poétique singulier et tout à fait mozambicain dans son substrat culturel. Par ailleurs, la recherche poétique entreprise par Eduardo White va au-delà de celle de Luis Carlos Patraquim dans la mesure où elle est en prise avec une expression culturelle et personnelle profondément enracinée au Mozambique tandis que Luis Carlos Patraquim, vivant au Portugal, en est éloigné depuis assez longtemps.
Quelle est l’évolution du statut de l’écrivain au Mozambique ?
Je ne sais dans quelle mesure il y a eu une grande évolution depuis dix ans. D’une certaine manière c’est une bonne chose : l’écrivain est devenu ce qu’il dans nos pays et n’est plus ni porte-parole d’un élan soi-disant révolutionnaire ni contraint de s’exprimer selon des schémas politico-culturels imposés par la situation politique. Je vois donc une continuation des tendances actuelles, dont l’effet à terme serait d’encourager la vocation littéraire chez ceux qui veulent écrire plutôt que chez ceux qui sont « appelés » à écrire soit par un régime soit par une situation politique donnée.

Patrick Chabal est professeur de littérature africaine lusophone au King’s College, Londres.///Article N° : 1249

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