Une première exposition d’arts visuels pour les pays ACP

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Du 14 au 21 octobre derniers, Saint Domingue a accueilli le premier festival des pays ACP. Ce festival culturel présenté comme le  » Festival des Festivals ACP  » aura permis de découvrir la richesse et la diversité de la création artistique et culturelle des différentes régions des États ACP. En intégrant au sein de son festival une discipline telle que les arts visuels, les pays ACP auront révélé la ferveur d’une créativité plastique en prise avec les grands courants contemporains.

L’exposition qui figurait au Musé d’Art Moderne de la ville de Saint Domingue nous enseigne ceci : aux quatre coins de la planète, les artistes détiennent une réelle connaissance en matière d’art contemporain. Ces artistes nous montrent par ailleurs qu’une symbiose entre des identités proprement locales et les grandes tendances actuelles de l’art contemporain reste largement possible. Plus encore, ils nous enseignent que si toute création puise son essence dans un contexte spécifique, l’utilisation de nouvelles technologies reste un moyen convainquant permettant d’enrichir un art local. Ainsi, durant une semaine, une centaine de travaux remplissait les étages de l’édifice dominicain situé Plaza de España. Sous la conduite du commissaire Marianne Tolentino, critique d’art et rédactrice en chef de la revue culturelle de la Caraïbe Cariforum, des œuvres d’inspiration différentes, peinture, dessin, sculpture, installation, photographie et vidéos furent présentées afin de souligner la créativité des différents champs d’actions artistiques et culturels des pays ACP. De même, une section design fut inscrite et relevée par l’intégralité de l’exposition Design Made in Africa conçue en 2004 pour la Biennale de Saint Etienne.
L’exposition d’arts visuels de Saint Domingue traduisait la forte volonté du secrétariat des états ACP de réunir l’ouvrage d’artistes faisant partie du groupe international. S’il ne s’agissait pas, par conséquent, d’une tentative consistant à créer un rapport de type culturel entre les œuvres, l’exposition a surtout servi le caractère universel des sujets traités par les artistes de l’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique.
Images Lointaines
Outre l’espace consacré au design africain, qui occupait la totalité du sous-sol du Musée, et ce, compte tenu des 45 objets présentés, l’exposition était articulée autour de trois parties autonomes. Chacune d’entre elle reprenait l’appellation d’une des zones géographiques, à savoir, Afrique, Caraïbe et Pacifique. Faisant figure de grand absent, la partie voulue pour le Pacifique n’a pu donner qu’une faible idée de l’expression plastique des territoires de l’Océanie. En effet, seul Ben Fong, plasticien natif des Iles Fidji, présentait un travail lyrique rendu par l’agencement de trois sculptures métalliques. Cela ne signifie pas pour autant que la production artistique soit inexistante dans le Pacifique. On se souvient notamment de l’exposition Latitudes 2005, Terres du Pacifique qui présentait à Paris la création contemporaine d’artistes issus des terres australes et du Pacifique. Quelles ont été les raisons pouvant expliquer l’impasse faite sur la représentation de ces artistes ? Il semblerait d’abord, pour reprendre le témoignage de l’artiste Ben Fong,  » que les institutions en place dans la zone ont fait preuve d’une grande négligence lorsqu’il s’agissait d’informer les artistes sur l’évènement et ses enjeux  » ; D’autre part, il s’avère que des difficultés de communication et de coordination entre l’entité organisationnelle du festival basée à Bruxelles et ces mêmes structures étatiques, ont aussi joué un rôle déterminant. Dès lors la question consiste à savoir sur quels principes se fondent les exigences des Etats du Pacifique, et notamment quelle est la nature du lien qu’ils entretiennent avec les artistes en matière de diffusion ?
La partie imaginée pour la Caraïbe, convoquée pour sa part depuis la République Dominicaine, était de loin la plus fournie et la plus dense. Celle-ci intégrait un espace essentiellement dédié aux artistes de la République Dominicaine et une série de photographies spécifiquement venues de Trinidad. Aussi, l’expression artistique caractéristique de l’archipel caribéen (Bahamas, Cuba, Saint Lucie, Suriname, Haïti, Guyane française, Iles Virginies, etc.) s’est reflétée à travers l’extraordinaire diversité des peintures dont les matériaux, le rythme des lignes et des couleurs, ont su traduire l’acuité des cultures populaires. Mélangeant souvent abstraction et figuration, ces œuvres intègrent les influences extérieures, pour parvenir à nourrir une imagerie locale et rendre compte d’un caractère spécifique de la condition humaine. Si l’on croit que la survie de ces artistes passe forcément par la nécessité du syncrétisme pour émettre une parole au monde, il convient de dire également que l’engagement politique constitue l’autre aspect fondamental. Dans cette perspective, les toiles que proposait Susan Mains, artiste travaillant et vivant à Grenade, furent un exemple. Son hommage à Maurice Bishop, ancien premier Ministre du pays, assassiné en 1983 est un panthéon d’images contre l’oubli et pour la justice ! La création contemporaine caribéenne, force est de le constater, porte la marque de plusieurs artistes très informés sur les nouvelles technologies. L’installation vidéo Kowotchou de Maxence Denis s’est particulièrement démarquée par l’aspect monumental d’un dispositif de télévision couleur pris dans un amas de pneus. Il s’agissait là, d’images personnelles et d’archives, aux couleurs saturées et diffusées en boucle, relatant des scènes de la vie quotidienne haïtienne. Le montage très saccadé du film parvenait ainsi à établir un univers hors du temps, une fuite esthétique n’ayant de cesse de rappeler la terrible réalité d’un pays toujours en crise. D’autres artistes, tel notamment le Jamaïcain David Boxer, ont également fait preuve de leur connaissance et de leur maîtrise en appréhendant des techniques résolument modernes afin d’inscrire des messages, souvent humanistes.
Enfin, l’espace consacrée à l’Afrique était pour sa grande part l’apanage d’œuvres qui furent montrées lors de la dernière Biennale de Dakar. À l’instar du Congolais Freddy Tsimba, connu pour ramasser des balles perdues sur des anciens champs de bataille, et qui proposait un assemblage d’obus représentant une femme enceinte sur un lit de sel translucide, certaines pièces évoquaient le questionnement de la colonisation. Ce tiraillement éprouvé a précisément poussé l’artiste togolais El Loko à concevoir une déclinaison de son installation intitulée Têtes de Nègres, dans laquelle des visages d’hommes et de femmes photographiés sont décapités, gommés et mis à terre. Ici, les visages ont été remplacés par des assiettes contenant le gisement de quelques étoiles jaunes prises dans de l’acrylique bleu profond. Une évocation à l’allure poétique dénonçant pourtant, et pour l’occasion, la difficile lisibilité des actes qui traduisent l’investissement de l’Union Européenne envers la création contemporaine africaine. Que l’on ait pu voir ces pièces présentées au Musé d’art Moderne de Saint-Domingue est une chose, toutes pourtant n’ont pas été montrées dans des conditions favorables. En effet, il aura fallu attendre 5 jours – suite au vernissage officiel – afin que les œuvres constituant le registre de l’Afrique puissent trouver une véritable place au sein de l’exposition. Aujourd’hui plus que jamais de telles incidences, que favorisent notamment les aléas liés au problème de transport, participent à rendre la diffusion des œuvres africaines victimes des conditions de leur circulation.
Une légitime exposition
En réunissant des œuvres d’une grande vitalité, l’exposition d’arts visuels du festival ACP a pu proposer d’une manière inédite une sorte d’inventaire relevant les multiples facettes d’une création contemporaine peu connue. Si l’exposition – qui a notamment connu quelques problèmes dans son organisation – était surtout l’occasion de promouvoir l’originalité et la singularité de quelques artistes appartenant aux pays signataires des accords de Lomé et de Cotonou, elle a pu tout autant, mettre en exergue le rôle éminent de l’histoire, celle-ci même qui permet d’affirmer que l’Afrique constitue le lien dans l’art de la Caraïbe. Il est entendu que la force subjective émanant de l’ensemble des travaux était à tirer d’une lecture en filigrane, ramenant à la surface de la mémoire la brutalité – longue de plusieurs siècles – dont les peuples de la Caraïbe ont été le bouc émissaire, et celle de l’esclavage des Noirs qui a façonné le monde caribéen.
Les rencontres qui ont eu lieu à Saint-Domingue sont à soutenir, probablement à perpétuer ; elles favorisent le dialogue entre des œuvres que les océans séparent, et participent par là même, à l’émergence de pratiques nouvelles qui traduisent l’expression des grâces et des consciences libérées d’artistes, constamment en prise aux aléas du monde contemporain.

///Article N° : 4676

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