« Ventre plat… » – chronique kinoise

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C’est une scène « Chez Les branchés », une terrasse où j’adorais traîner. Installée à la table 5, j’attends une collègue qui travaille à la chaîne de télévision « Molière », juste en face !
Arrive ce 4×4 que je commence à connaître. Il parque au bord de l’avenue. Le « patron » en descend, et rejoint un couple de blancs, table 12. A peine le « patron » installé, son chauffeur, qui se fraye un chemin comme pris d’une envie subite, bondit sur lui en lui brandissant son portable :
– Patron, tu as un message !
– Oui mon ami, merci… Je cherche juste à le déchiffrer, mes yeux ne sont plus, comme moi, tout jeunes.
Mais il se doute bien de l’expéditeur. « Ventre plat et petits seins »
C’est une gamine de dix-neuf ans qui le rend fou. Lui, c’est Arsène. C’est le jour où on a fait connaissance. On se connaissait de vue, on fréquente la même terrasse, les mêmes personnes, le centre-ville, la même boite de nuit… Il ne nous manquait que de nous parler. Et quand il m’a raconté tout ce que je ne voyais pas, j’étais écroulée…
« Ventre plat et petit seins » est sa copine. Une effrontée, comme on en fait plus et qui n’a pas froid aux yeux. « Cette sale gamine veut ma mort ! »
C’est son cri de guerre après chaque phrase. Elle est sans manières, sans instruction, complètement géniale. Insatiable, infatigable, à côté de l’homme croulant qu’il est.
Heureusement qu’il n’est candidat à rien dans cette course folle aux urnes.
Il est déjà essoufflé là !
« Ventre plat et petits seins »
Qu’est-ce qu’elle lui veut cette fois-ci ? Il est attablé avec des amis venus de loin « Chez Les Branchés » lui aussi. Ce sont des partenaires occidentaux pour qui il fait des études de marché sur la consommation de la bière à Kinshasa. Ils sont actionnaires dans la grande société brassicole du pays. Il a laissé exprès son téléphone portable dans la voiture, auprès de son chauffeur, pour ne pas être interrompu ou ne pas avoir à décrocher. Mais elle rapplique la petite, tenace ! Et il n’y a pas que mes yeux qui m’empêchent de déchiffrer son message.
« Ventre plat et petits seins » écrit comme une pute manchote. C’est plutôt une femme d’action…

Le texto vient de lui faire perdre le fil de ses idées. Coordonnateur d’une maison de sondage créée avec des copains de fac, Arsène est père de quatre enfants, époux, intellectuel, « homme intègre » et responsable. Son seul problème ? Une trique permanente depuis que sa femme réside à l’étranger avec sa petite famille : Instabilité politique du pays exige !
Sauf que ça fait trop longtemps que ça dure…
Les premières années, Monsieur dépensait facilement 1500$ en billet d’avion pour une gâterie propre et bénie de sa femme. Il prenait l’avion. Parce que sa femme, c’est toute une femme !
Elle a un bac + 6 en communication, première de sa promotion. C’est une reine, sa femme.
Et elle le pipe comme une vraie salope, sa reine. Alors 1500$ tous les trois mois, pour cette pipe propre et bénie de sa femme, et qui n’a pas son pareil, pourquoi pas ?
Mais comme l’instabilité politique dure depuis tellement longtemps qu’on ne compte plus les années, 6000$ par an, juste en billets d’avion, ça commençait à faire un peu beaucoup.
Les enfants nés juste avant l’instabilité politique ayant grandi, et voulant revendiquer leur « majorité », dans leur fond et dans leurs formes, sans un signe de ma part, sont venus à lui.
Et depuis, il les prend, elles le reçoivent.
Chez lui, en elles, tout le temps, foutue instabilité !
Vivement ces « élections libres, démocratiques et transparentes », me raconte Arsène.
Elles lui feront oublier ces autres érections avec « facile à garer », « langue de pute enroulante », « carrosserie remplie de marchandise », « difficile à détruire », « miss lolo », « sésame ouvre-toi », etc.
Vivement le retour de toutes ces choses propres et bénies de sa femme, son bac + 6.
Oh sa femme ! Elle n’a toujours pas son pareil dans ses érections parait-il…
Mais homme s’écrit toujours avec « hache », c’est connu. Ça coupe et ça tranche. Et ça préfère économiser de l’argent… 15$ ou 1500$ ? Et puis un homme, ça a beau avoir le plat, ça ne s’empêche toujours pas de jeter un coup d’œil au menu. Ou bien… ? Même quand ça mange caviar, ça veut encore « tige » ! Ces espèces de brochettes faites à base de croupion de dinde, que du croupion de dinde, pas d’autres morceaux. Et c’est d’un délice…
« Tige » !

Chez les Branchés, on peut voir comment la bière se consomme dans la ville. Surtout dans l’attente des échéances électorales et des urnes. Ça y est, son speech lui revient. Mais voilà que les Hollandais ont les yeux ailleurs. Tous les morceaux de fesses, de seins, de jambes qui passent les intéressent beaucoup plus. Et alors qui voit-il ?
« Ventre plats et petits seins », avec une copine.
Elle dit qu’elle a tellement attendu une réaction à son texto, qu’elle a décidé de s’approcher de leur table toute seule. Ah, d’accord, son texto disait : « Je te vois à la terrasse, je ne suis pas loin, la table à l’entrée, la 7, et comme je n’ai pas envie que mon damage (c’est-à-dire ma bouffe) s’en aille, je viens ! »
Elle est là, plantée devant lui, les yeux rivés sur mon… appareil de communication. Merde !
Il lui présente vite fait ses collègues, un homme et une femme. « Ventre plat » demande à sa copine de gérer le mec, elle-même garde ses yeux rivés sur son damage, que représente Arsène. La nana est vite déclassée, elle n’intéresse personne et personne ne l’intéresse, de « Ventre plat » et sa copine.
Elle préfère les femmes, et pas des gamines.

C’est là que j’entre dans l’histoire. J’attendais tranquillement donc ma copine qui bosse chez « Molière TV », et j’avoue que cette femme m’a fascinée. Une blanche bien foutue, et bien habillée, c’est rare en Afrique. Elles ont souvent tendance, dans les pays chauds, à s’habiller comme si les vêtements n’étaient pas fabriqués d’où elles viennent. Les mecs c’est encore pire, surtout les artistes que j’ai croisés dans les centres culturels étrangers. Des clochards, dans des vieux tee-shirts d’enfance !
Cette femme était belle comme les stars de télé…

Et Arsène de conclure, en me voyant, qu’il y en a justement une à la terrasse qui ne quitte pas des yeux sa collègue.
Quand je lui ai demandé ce qu’il se disait à ce moment, il ne m’a dit que des choses gentilles, mais je sais bien…
« Sam, une jeune journaliste d’ici qui a la cote. Elle se fait tripoter par l’homme de sa sœur, c’est un secret, de polichinelle, puisque toute la ville en parle. Mais il paraît qu’elle est, en même temps, une lesbienne pure et dure. Dommage ! Il faudrait quand même que je m’en occupe avant la fin de ma transition et le retour de mon épouse, question d’en avoir moi-même le cœur net… »

Sa collègue m’a donc tranquillement rejoint.
Et, au fait… ? Arsène et moi, on n’a jamais eu notre histoire…

///Article N° : 7145

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