Le hip-hop burkinabé a connu une génération inspirée dans les années quatre-vingt-dix : les Yeleen, Smockey, Faso Kombat Depuis cette vague, les injustices n’ont pas déserté le pays des hommes intègres. Loin sans faut. Un nouveau vent de révolte souffle, porté par deux MC‘s radicaux, au verbe tranchant et acerbe : Armel Konkobo alias Art Mélody et Joël Sawadogo dit Joey le soldat, réunis sous la bannière de Waga 3000. Ils sont en ce moment en tournée française.
Joey, vingt-sept ans, l’air réservé sous sa casquette, fait partie des jeunes pousses de la scène Hip-hop ouagalaise. Il n’a pas eu à chercher bien loin son titre de soldat. Un de ces modèles est un certain capitaine Thomas Sankara. « Il reste une référence pour les jeunes. En quatre ans il a réalisé ce que d’autres n’ont pas accompli en vingt-cinq ans. Mais ses idées ont été trahies par la suite
» Tout comme son aîné Armel, la révolte de Joey n’a rien de cosmétique. Issu d’une famille modeste de neuf enfants, il vient de ce qu’il appelle lui-même « un bas quartier » : Tanghin, au secteur 23 de Ouagadougou, « un quartier populaire, longtemps redouté pour sa violence, ses histoires de vols et de braquage. » Pas étonnant que Joey ait ancré sa plume dans le champ social. Il suit les écrits contestataires de Norbert Zongo (1) à travers les journaux que lit son père. Lui-même est une victime collatérale d’un système en panne. Titulaire d’une licence de lettres modernes en 2009 il se retrouve au chômage. « C’est le rap qui l’emploie » tranche Art Mélody. « Il y en a des milliers comme lui. L’éducation est désastreuse. L’université ici a deux ans de retard. Ceux qui ont eu le bac l’an passé n’ont pas encore commencé les cours. Ils vont devoir poireauter et perdre une année précieuse ! »
L’histoire d’Art Melody dit Mélo n’est pas si éloignée. Ce trentenaire aux traits durs qui reflètent son caractère bien trempé a derrière lui plus de quinze ans de rap dans l’underground. Il s’est forgé en écoutant les K7 de son groupe fétiche : IAM. Originaire de Bobo Dioulasso, issu d’une double culture Mooré et Dioula, qu’il exploite dans ses textes, il a vécu dans un autre quartier réputé « sensible » : Samandin. Armel a très vite pris de plein fouet les problèmes du quotidien. Quitte à coucher sa révolte d’écorché vif sur le papier : « Quand j’écris, je pense par exemple à mon père, qui vit dans un village reculé en brousse, sans eau potable. Je pense aux paysans qu’on oblige à cultiver du coton alors que les gens ne se nourrissent pas de ça. Ce sont des produits que l’on peut consommer qu’on devrait cultiver ! Je pense aussi aux gosses que je vois dans les hôpitaux qui meurent de paludisme ou de méningite alors qu’ailleurs des milliards de francs CFA sont stockés. »
Il fallait bien que ces deux-là se croisent tôt ou tard. En 2010 au cours d’un freestyle à la radio Canal Arc-en-ciel ils décident d’unir leurs forces. C’est la naissance de Waga 3000, un bras d’honneur de deux rebelles vis-à-vis d’une élite : celle qui habite l’opulent quartier d’affaires : Ouaga 2000. « C’est notre façon de voir la société où l’on vit » assume Joey. « Il y a deux tranches : les riches de Ouaga 2000 et la tranche des pauvres, que l’on défend, et qu’on a baptisée avec un peu d’ironie : Waga 3000 ». Les deux compères partagent un état d’esprit, un ton virulent et comme le souligne Joey « un flow hardcore qui cogne, qui percute ! » Leur musique puise dans l’héritage traditionnel des Mossis : « On reprend le style Waarba que pratiquaient nos parents pendant les cérémonies » explique Art Melody. « On y ajoute nos voix rocailleuses – la mienne sonne comme un instrument – et la touche moderne électro apportée par nos beatmakers ».
Mais nos deux MC « à la grande gueule » dérangent dans leur pays. D’autant qu’ils n’ont pas la langue dans leur poche vis-à-vis du milieu rap : « On a connu des gens qui ont fait des premiers albums de tuerie et aujourd’hui se contentent de colorations bling bling et commerciales. » Déterminés à relancer le niveau Joey et Armel piétinent pour avoir une visibilité nationale. « On n’arrive pas à obtenir des dates ici, à passer dans les émissions. C’est une forme de censure. » dénonce Armel. Heureusement, une rencontre déterminante leur permet d’enregistrer leurs albums respectifs (Zound zandé et Woogdog blues pour Art Melody ; La parole est une arme pour Joey le soldat) En 2008 le réalisateur bordelais Nicolas Guibert suit Art Melody pour un documentaire : Tamani. Plus tard, via son label Tentacule records, une collaboration fructueuse s’entame entre les rappeurs et deux beatmakers français : Red Rum et DJ Form. La suite on la connaît. Un relais médiatique par le biais de RFI et une réputation établie par des scènes en France. Les deux amis sont justement en tournée hexagonale pour défendre les couleurs de Waga 3000
(1) ancien directeur de publication du journal L’indépendant assassiné en 1998
Pour plus d’information :
Joey le soldat La parole est une arme 2012, album en téléchargement libre : [joeylesoldat.bandcamp.com]
Waga 3000 : [Sak sin paodé]
Waga 3000 : [Voir sombrer ses fils]
Art Mélody feat High Priest : Futur
Art Mélody : à écouter sur la plate-forme [Wogdog blues 2013] (Akwaaba Music/ Tentacule R)En concert :
le 11 avril 2013 à Beauvais L’Ouvre-boîtes avec Gaël Faye
le 12 avril 2013 à La péniche Antipode à Paris///Article N° : 11406