à propos de La Soufrière

Entretien de Sylvie Chalaye avec Antonio Diaz-Florian

Avignon, juillet 2000
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Antonio Diaz-Florian fonde l’Atelier de l’Epée de Bois en 1969, avant d’être accueilli par Jean-Marie Serreau au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes et de participer à la grande aventure des lieux sous les hangars délabrés qu’Ariane Mnouchkine laissait ouverts à toute les conquêtes du rêve théâtral. Dix ans plus tard la troupe construisait son propre théâtre. En s’appuyant sur les textes d’auteurs contemporains qui confrontent l’Histoire avec le théâtre, Diaz-Florian a monté ces dernières années La Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière et adapté le Code Noir d’après l’étude de Louis Sala-Molins. L’an dernier avec Torquémada ou le converti, Antonio Diaz-Florian explorait l’univers de l’Inquisition et les mécanismes de tous les totalitarismes. Aujourd’hui, avec La Soufrière, il poursuit cette interrogation de l’Histoire par le théâtre.

Comment avez-vous découvert ce texte ?
J’ai monté le Code Noir d’après une étude qu’avait faite Louis Sala-Molins. Mais la mise en scène n’avait pas plu à Louis Sala-Molins qui avait pourtant apprécié l’adaptation dramaturgique. Dans la mise en scène, j’avais utilisé des masques et des perruques, j’avais situé les choses à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agissait d’une famille qui gouvernait un pays et qui cherchait comment mieux assujettir ses propres concitoyens. Ils se servaient du Code Noir pour chercher des lois et dominer. C’étaient des Noirs qui cherchaient à écraser d’autres Noirs. Il y avait dans les masques des aspects un peu simiesques, ces masques était très bien fait mais il ont déplu à certains spectateurs et à Sala-Molins qui très courtoisement, sans aucune animosité, m’a enlevé les droits. Je me suis donc rendu à l’évidence, puisque manifestement ma mise en scène gênait. J’ai arrêté le spectacle. Il me restait un goût d’inachevé, je n’avais pas accompli cet hommage que je voulais rendre au peuple noir. Et surtout le peuple noir américain, celui qui me touche le plus, puisque je suis d’origine péruvienne. Les Noirs de la diaspora, j’ai vécu avec eux, j’ai été nourri de leur culture, et je voulais parler d’eux dans un spectacle. J’ai par la suite entrepris un travail autour de la fuite des Békés au moment de la Révolution en Haïti à travers l’histoire d’une famille. Mais on n’a pas réussi à faire un spectacle. En cherchant dans les librairies et les bibliothèques, un jour je tombe à l’Harmattan sur ce livre qui témoigne du procès des Guadeloupéens, un ouvrage très sérieux, très documenté, publié par le comité pour la défense des prisonniers.
Cet ouvrage est un document historique, n’a-t-il pas été difficile de porter à la scène des paroles réellement prononcées au cours du procès ?
Le plus difficile n’a pas été d’adapter le livre, les mots qui ont été prononcés par les militants du GONG ou par ceux qui étaient aussi accusés sans être des militants. Ce qui était pour moi difficile c’était de rendre surtout la pensée et les vibrations du peuple guadeloupéen sans être moi-même guadeloupéen et sans avoir été en Guadeloupe, même si je ne crois pas d’ailleurs qu’il faille faire le voyage. Il m’a fallu faire un vrai travail pour approfondir la réalité du peuple guadeloupéen. et j’ai beaucoup lu pour tenter de cerner l’âme de ce peuple. Je ne prétends pas l’avoir captée, mais il a fallu absolument que je m’en fasse une idée, une perception profonde avant de toucher quoi que ce soit.
Pourquoi avoir choisi des voix de femmes pour faire entendre ces paroles ?
Des voix et des pensées de femmes aussi. Il me semble que les pensées qui traversent l’histoire appartiennent aux femmes, car ce sont les femmes qui transmettent la connaissance aux enfants. Ce sont les femmes qui gardent la mémoire. C’était aussi pour ne pas être trop concret non plus, trop  » reconstitution historique exacte « . Si c’étaient des hommes qui parlaient à la place d’autres hommes, j’aurais dû me rapprocher trop du vrai. Le plus important pour moi dans ce spectacle, c’est le sentiment du peuple guadeloupéen, ces vibrations qui font pleurer le public ou rire.
Ces femmes transmettent une douleur cachée, enfouie vis-à-vis de l’esclavage du passé, du devenir aujourd’hui du pays, de la douleur de vivre en Guadeloupe et des contradictions de l’économie nationale, le désir de s’émanciper et le lien avec la France. La femme, pouvait ne pas être extrémiste et radicale. Si j’avais travaillé avec des garçons, j’aurais sans doute poussé les voix des combattants du GONG à l’autre extrême. J’aurais fait théâtralement des personnages plus engagés ou plus terroristes. Les femmes me permettent de garder cette puissance de terreur si besoin est, mais aussi l’écoute de la différence de l’autre. Il ne s’agit pour moi ni de défendre, ni de lutter pour ou contre l’indépendance. Il s’agit simplement de poser le problème, sans donner une leçon au peuple français, et encore moins aux combattants du GONG.
Les choix scénographiques sont simples et très marqués. Pourquoi cette harmonie en bleue qui touche tous les éléments du décor ?
Le bleu est d’abord parti de la charrette, couleur des charrettes françaises d’autrefois, peintes en bleu depuis le moyen âge en raison du produit qu’on utilisait pour protéger le bois. Mais je voulais aussi le bleu de la vie, de l’eau, de la mère nourricière et bien sûr le bleu turquoise mythique des Caraïbes entre le ciel et la mer.
Cette charrette est très centrale, elle évoque le voyage, mais aussi la charrette des condamnés…
Je voulais qu’on ait l’idée de femmes qui iraient de village en village…
Pourtant le jeu de reconstitution auquel elles s’adonnent ne semble pas ritualisé et on en voit pas l’enjeu pour les personnages.
En fait, le travail que nous présentons à Avignon est encore un chantier. Il y a notamment à développer la dramaturgie des personnages. C’est un spectacle qui se répète tous les jours et dans un an il aura beaucoup évolué. Il reste à trouver qui sont ces personnages. On devrait travailler surtout autour de la petite fille qui ne parvient pas à jouer l’avocat général et interrompt le jeu.
Il y a aussi ce fond sonore que diffuse constamment la radio (bleue bien sûr…)
Cette radio est un vrai personnage, avec lequel il y a un dialogue. C’est le souvenir d’un lointain musical. La musique c’est l’état sublime de l’imaginaire, là où peut se fixer le rêve. Les douleurs quotidiennes en Amérique latine sont canalisées par la musique et l’histoire du peuple noir des Caraïbes est intimement lié à la musique. C’est une interprétation aberrante de limiter la musique à l’expression de la joie du nègre heureux et insouciant sous le soleil… ces musiques expriment tout, notamment les douleurs de ces peuples. La musique est un moyen de respiration, de survie, elle nourrit les coeurs et libère les larmes, elle accompagne de façon permanente, surtout depuis l’invention de la radio portable. Dans les pays d’Amérique, la radio est omniprésente, la musique fait partie des drames du quotidien, chacun met le plus fort sa musique, chacun veut partager sa musique avec l’autre, tout se passe avec l’accompagnement de la musique, elle fait partie des naissances, des disputes. C’est cet accompagnement que je voulais retrouver, cet extraordinaire exutoire du drame.

///Article N° : 1496

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