En dehors d’Acte 3 et de la Compagnie Sham’s, deux troupes réunionnaises qui ont préféré faire cavalier seul, l’Outre-mer est venue en force, sous les voûtes de la Chapelle du Verbe Incarné, affirmer l’expression artistique alternative du T.O.M.A. (Théâtres d’Outre-Mer en Avignon). Pour la troisième saison consécutive et en dépit de sa façade momentanément défigurée par les travaux de réhabilitation du bâtiment, La Chapelle a ouvert ses portes à une programmation de qualité, offrant une palette significative des créations de l’Océan indien aux côtes de la Caraïbe, sans oublier l’Afrique. Car » l’Outre-Mer » de Greg Germain, le Directeur artistique du lieu et de Marie-Pierre Bousquet, l’administratice du théâtre, est ouvert à toutes les expressions concernées par le monde noir et prône avant tout la diversité et le mélange, ce singulier pluriel qui, en raison de son histoire coloniale, fait aujourd’hui la France.
Et cette édition 2000 du T.O.M.A. était bien sous le signe de la rencontre. Rencontre du théâtre, de la danse, de l’histoire, du conte et de la musique, rencontre de la tradition et de la modernité, rencontre des artistes d’Europe, d’outre-atlantique et d’Afrique avec d’abord Blues pour Sonny une nouvelle du Noir-américain James Baldwin adaptée par l’Ivoirien Koffi Kwahulé, mise en scène par Greg Germain lui-même et joué par un comédien d’origine martiniquaise et un pianiste de jazz blanc, Négrerrances ensuite, une pièce d’un auteur contemporain béninois, José Pliya, mise en scène par Ruddy Sylaire d’origine haïtienne, avec aussi deux spectacles chorégraphiques : danse contemporaine par la Compagnie réunionnaise Yun Chane et danse traditionnelle de Guadeloupe par l’Akadémiduka, en passant par les chemins du conte musical avec Mamiwata de Lucette Salibur qui travaille en Martinique et a monté son spectacle avec Akonio Dolo, sans oublier La Soufrière mise en scène par Antonio Diaz-Florian d’origine péruvienne avec la troupe de l’Epée de Bois, véritable travail de mémoire autour du procès des nationalistes guadeloupéens survenu après les révoltes de mars 1967.
Rencontres et échanges d’idées aussi, puisque nous avons inauguré cette année à la Chapelle en partenariat avec le T.O.M.A. un cycle de cinq tables rondes autour des créations, notamment Blues pour Sonny avec l’équipe artistique (cf.), » Contes et oralité » avec Lucette Salibur, » Les écritures dramatiques africaines contemporaines » avec José Pliya et Caya Makhélé, mais également autour des débats d’actualité comme « Etre un acteur noir en France » ou » La diffusion des oeuvres noires « . Temps de réflexion et de circulation de la pensée qui s’est révélé très stimulant car il nous semble consolider la cohérence de l’action du T.O.M.A. à laquelle nous adhérons depuis l’ouverture de la Chapelle en 1998. C’est pourquoi nous ne manquerons pas dans nos prochains numéros de publier les actes de ces rencontres.
L’édition 2000 du T.OM.A., c’était encore la magnifique exposition du plasticien martiniquais Abdaphaï qui organisait chaque jour une performance à la galerie Abadie juste en face de la Chapelle et a élaboré une fresque pleine de couleurs pour le hall du théâtre. Il y eut même cette année une petite librairie, celle des éditions Acoria qui trouva asile à la Chapelle faute d’avoir pu s’installer comme prévu au jardin des Carmes dans le cadre du Café littéraire africain, finalement transféré au Grand Café du Commerce de la place Pie (cf.).
Un festival dans le festival ? Sans doute ! Mais loin d’être le ghetto que d’aucuns redoutent, la Chapelle du Verbe Incarné ouvre au contraire une fenêtre sur une création mal connue, qui a encore du mal à trouver une visibilité et permet de vrais échanges avec ceux, blancs ou noirs, qui se sentent concernés par une France multiculturelle. Grâce à ce théâtre en Avignon, grâce à l’opiniâtreté de son directeur, les expressions colorées d’ici et d’ailleurs ont enfin une présence qui apporte la preuve évidente de leur existence.
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