Afrique du Sud : poussière de cultures sur la toile d’araignée

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Ambiance en Afrique du Sud, à la recherche de la culture sur le net. De notre correspondante à Johannesburg.

Une vingtaine d’ordinateurs sont installés en rangées, dans une salle, à l’étage d’un immeuble imposant. Concentrés sur leurs écrans, internautes confirmés et apprentis surfeurs n’ont que faire du panorama qui s’étale, dehors, et de la vue sur Johannesburg. Ici, l’atmosphère de travail impose le chuchotement. La salle informatique de l’Université de Witswaterand ne désemplit pas. Ses utilisateurs, des étudiants, s’en servent surtout pour voyager. Leurs promenades, qu’elles soient studieuses ou pas, les emmènent le plus souvent aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, affirme l’un des responsables du club.
Alice Thembi, étudiante en droit, se présente comme une habituée d’un  » internet Café  » et du site de la BBC (British Broadcasting Corporation), qu’elle lit comme un journal, pour ses actualités africaines en son, textes et images. Sibusiso, lui, est un mordu d’Amazone, l’un des sites les plus connus du monde, spécialisé dans l’achat de livres anglais et américains. Faute de compte en banque et de carte de crédit, il se contente de consulter des fiches, qu’il trouve très complètes, sur les auteurs et des ouvrages qu’il ne pourra sans doute jamais feuilleter à la bibliothèque universitaire. Quid de la culture, des cultures sud-africaines ? La question prête à sourire.  » La culture, la nôtre, on la connaît. Elle est partout, dans la rue, à la télé, les journaux. Pour savoir à quel concert aller, il suffit de regarder dans Friday, le supplément du Mail & Guardian « , répond Alice Thembi. Pour Sibusiso, la culture africaine n’est pas près de sortir du township.  » Le township, c’est toujours le township, affirme-t-il. Il n’y en a pas trace sur le web.  »
Il en veut pour preuve que le Sowetan, le seul quotidien noir du pays et le premier sur le plan national en termes de diffusion (plus d’un million de personnes), n’a toujours pas de site internet. Idem pour The City Press et The Sunday World, les deux journaux noirs du week-end, alors que le site du Mail & Guardian, à lui seul, représente un phénomène de société. Développé de manière expérimentale en 1994 par cet hebdomadaire anglophone (40 000 exemplaires), le  » Daily M&G  » est aujourd’hui doté d’un contenu et d’une rédaction bien distincts de la maison mère. Outre son moteur de recherches sur archives ultra sophistiqué, un traitement quotidien (revu trois fois par jour) de l’actualité nationale lui vaut quelque 2,1 millions de  » pages imprimées  » par mois – une mesure qui prend en compte les fichiers de texte effectivement chargés sur les écrans des utilisateurs, et non un simple  » balayage  » du site. Si Sibusiso et Alice Thembi veulent tout savoir sur ce qui se passe ailleurs, la réciproque est vraie. Le quart des utilisateurs du Daily M&G vit à l’étranger.
Combien, sur les 1,5 millions d’internautes que compte l’Afrique du Sud (sur une population totale de 42 millions de personnes), s’intéressent aux cultures de leur pays ? Sur ce public de privilégiés, qui a accès ou dispose d’un équipement informatique et d’une ligne de téléphone, on compte surtout des professionnels hautement qualifiés. C’est-à-dire une majorité de Blancs, d’ailleurs critiqués pour ne plus vouloir vivre que sur le web, plus déconnectés que jamais des réalités du pays et de sa transformation. A supposer que les assoiffés de culture  » locale  » soient légion, ces derniers devront d’abord bien maîtriser tous les ressorts du  » surf  » sur le web. Car avant de trouver, il faut vraiment chercher. Au détour du site du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, bourré d’informations, l’on peut découvrir une page qui recense les  » ressources internet  » du pays (www.anc.org.za/sanet.html). Pas de rubrique culture, mais des  » archives « . Là s’ouvre une porte d’entrée dans les musées sud-africains  » online « . Au hasard de la promenade, dans les pages du MuseumAfrica de Johannesburg ou celles de Robben Island, au Cap, on peut tomber sur des  » liens  » intéressants, comme le Centre de la photographie sud-africaine, où le très sérieux Journal sud-africain de musicologie. Un lien ramène à l’incontournable Mail & Guardian, qui travaille en sous-traitance pour l’élaboration des sites internet de nombreuses institutions, dont le ministère des Arts, de la Culture, des Sciences et de la Technologie. Outre un programme critique des activités culturelles de la semaine, son service za@play offre un lien avec Computicket, l’agence nationale de réservations pour les spectacles.
A chacun sa version de la culture. En fonction des différents sites de recherche utilisés, de Fanagalo à Ananzi en passant par WoYaa !, le terme est interprété de manière aussi diverse que variée. Sur Za-Zoo (www.max.co.za), le site de recherche de la plus importante compagnie internet sud-africaine, M-Web, la rubrique  » culture et société  » s’annonce poussiéreuse : elle couvre la  » famille, l’histoire, les musées et la religion « . Bien plus alléchante, la section  » loisirs  » offre un pêle-mêle d’art, de restauration, de films, de musique, de brocante et de sexualité. La sous-section  » théâtre et opéra  » paraît très riche : plus d’une trentaine de sites sont recensés, parmi lesquels le très original  » Virtual Opera House  » (www.opera.co.za), qui propose aux amateurs un tour complet du sujet.
Si l’on trouve beaucoup de sites, la matière ne suit pas toujours. La galerie d’art virtuelle de Dion Vignon peut par exemple attirer l’attention, mais elle débouche sur une déception. Ce site n’a d’autre but que de vendre une demi-douzaine de toiles, sans aucune sorte d’explication sur le parcours de l’artiste, son travail ni même ses prix ! Baptisé  » dart « , un autre site se présente comme une banque de données sur les arts sud-africains. A la consultation, il s’avère que son répertoire est des plus limités, ne comprenant guère que quelques dizaines de noms, curieusement tous afrikaners. D’autre part, certains sites recensés par des moteurs de recherche aussi sérieux que Sangonet débouchent sur des frustrations lorsqu’on cherche à les visiter, avec ce message aussi récurrent qu’énervant :  » not found  » (introuvable).
Parmi les sites les plus intéressants figure Artzone (www : artzone.co.za). Elaboré par le Mail and Guardian et édité par le ministère de la Culture, il se lit comme une revue d’art, avec des articles de fonds illustrés par de belles photos. Chaque genre est passé en revue (danse, photo, jazz, beaux-arts, etc), sans oublier la  » culture populaire « . A la clé, une petite virée dans les shebeens, les fameux maquis des townships, grâce à un article de Vusi Mona sur le sujet, et une petite sélection d’adresses utiles. Autre ballade particulièrement réussie : celle que propose la Galerie nationale sud-africaine (Sang), au Cap. L’une de ses pages, baptisée  » Room One « , est conçue comme une exposition sur internet. Une commande loupe permet de visualiser les œuvres dans le détail, et une autre commande donne accès à une fiche complète sur les artistes exposés. Sur le site de la Sang, l’on peut également parcourir une rétrospective de l’art contemporain sud-africain (1985-1995), avec un index très complet des artistes et des reproductions d’œuvres. L’on retrouve des célébrités comme William Kentridge et Pat Mautloa, mais aussi beaucoup d’autres, le tout donnant un bon aperçu de la création sud-africaine contemporaine. Attention, cependant : aussi réussi soit-il, ce type de promenade ne remplace ni une vraie recherche, ni la simple réalité. L’on peut cliquer vers la sortie du site de la Sang avec l’impression fort trompeuse de tout connaître de l’art contemporain sud-africain. Le non-initié reste non-initié, et continue allègrement d’ignorer l’existence de la galerie Linda Goodman, à Johannesburg. Cette institution, au moins aussi importante que la Sang, ne croit pas à la toile d’araignée mondiale ni à la réduction des œuvres à un format de timbre-poste. Sur le web, elle demeure inexistante, alors que dans sur le marché de l’art  » non-virtuel « , elle est tout à fait incontournable.

///Article N° : 1121

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