Afrique sur Seine

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« Celui qui ne voyage pas ignore ce qu’il y a de bon ailleurs » dit un proverbe woolof. Cet été, les parisiens n’avaient pas besoin d’aller bien loin pour rencontrer « le bon venu d’ailleurs ». Rejoins par les hordes de touristes qui, comme chaque année, envahissent la Ville des Lumières, ils ont pu découvrir quelques richesses issues du continent noir à travers diverses expositions consacrées aux Arts primitifs et contemporains d’Afrique noire.
Les contrées d’Afrique centrale, étaient à l’honneur avec deux expositions d’objets anciens; derniers vestiges de l’inestimable richesse de ces régions. L’exposition « Parole du Fleuve » consacrée aux harpes d’Afrique centrale reflétait l’impressionnante rencontre entre deux arts majeurs du continent que sont la sculpture et la musique. Rassemblées pour la plupart au XIXe siècle, un grand nombre des 110 harpes exposées sont ornées de visages ou de corps sculptés dont certains, notamment chez les Zandé, sont en homogénéité parfaite avec la caisse de l’instrument. Malgré une grande diversité, on trouve quelques correspondances entre les instruments travaillés par différentes ethnies. Correspondances probablement dues au parcours de la harpe le long des fleuves, seules voies de communication à travers la forêt équatoriale et les Grands Lacs. Ce serait donc au fil des eaux qu’elle aurait abordé les rives du Gabon, Congo, ex-Zaïre, Ouganda, Tchad, Cameroun et Centrafrique. Dans l’imaginaire africain, la harpe est d’ailleurs souvent associée à la pirogue, car elle permet par la magie musicale de remonter le fleuve sacré qui communique avec le monde des ancêtres. Ancêtres aux présences symboliques que l’on pouvait retrouver sous d’autres formes dans une exposition consacrée à la statuaire batéké originaire du Congo, issue d’une des plus riches collections d’arts d’Afrique noire, ancienne propriété de Robert et de son fils Raoul Lehuard (fondateur du magazine Arts d’Afrique noire). L’art du peuple téké est le deuxième volet d’une série de trois expositions organisées par la galerie Ratton Hourdé – la première en janvier dernier était consacrée aux Bembé et la prochaine en décembre prochain nous invitera à découvrir l’art kongo. Les figurines téké se caractérisent par les formes anguleuses des têtes et des corps sans bras, coiffés d’une crête. Presque toujours de sexe masculin, leur puissance symbolique réside dans la cavité abdominale creusée dans le bois, destinée à recevoir une charge magique porteuse d’un pouvoir essentiellement thérapeutique, politique ou mortifère. Ces statues de bois, gardiennes de la mémoire des Téké, impressionnent par le mystère qu’elles dégagent. Le Louvre ne s’y est d’ailleurs pas trompé en acquérant l’une des plus belles statuettes fétiches de la collection.
Autre temps, autre monde, avec les « fétiches modernes » du Zimbabwéen Zephania Tshuma exposés chez Pierre Gallery. Doté d’un sens de l’humour décapant, l’artiste vit dans la région désertique des Ndebele à proximité de l’Afrique du Sud. Loin de s’être coupé du monde, il interpelle Dieu ou le diable avec ses sculptures de bois colorées, fustige les détenteurs de pouvoir qu’il soit politique, sexuel ou monétaire et dénonce le fléau du sida qui touche durement son pays.
Les artistes béninois étaient bien représentés grâce aux œuvres de deux jeunes plasticiens. L’un, Dominique Zinkpé, 30 ans, exposait à la maison des arts d’Evreux. Couturier de formation, cet artiste éclectique peint, sculpte et met en scène son travail par d’étonnantes constructions. Travaillant à partir de matériaux de récupération, il utilise notamment la riche palette des bruns, ocres, rouges évocateurs des terres africaines. Tons que l’on retrouve dans le travail de Tchif – Pierre Gallery – âgé de 26 ans et vivant à Cotonou. Là encore, mais dans une autre démarche, l’artiste récupère « l’or du monde », intégrant à ses toiles cauris, lacets, corde, papier hygiénique trempé. « Rien ne se perd, tout se récupère« , lit-on dans l’un de ses tableaux. Chez Tchif, tout est travaillé, malaxé, digéré – même la toile sur laquelle il peint, tour à tour tendue, détendue, froissée. Tout ces éléments accordés les uns aux autres, donnent à voir des tableaux ça et là criblés de signes et d’écriture qui se fondent dans une harmonie parfaite, propre aux talents prometteurs.

///Article N° : 976

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Les images de l'article
manche de harpe Zande (Musée de la Musique)
manche de harpe Ngbandi (Musée Royal d'Afrique Centrale, Tervuren)
figurine téké © F. Calmon
figurine téké © F. Calmon
"Strong Man and his Wives", Z. Tshuma © Alexandra von Strauss
"Spreadings Aids", Z. Tshuma © Peter Fernandes
"Assou ko Assi", Tchif
"Gbeto", Tchif





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