La fin de l’année dernière a vraiment mis Akoma Mba sur orbite. Qu’il s’agisse de la première semaine du livre européen à Yaoundé, des journées portes ouvertes au CCF, de la fête du roi des belges, la maison d’édition pour livres de jeunesse que dirige Edmond Mballa Elanga a été sur tous les fronts. Une activité débordante qui s’inscrit en droite ligne des objectifs fixés dès le départ d’un projet qui remonte à 1994 Une certaine Marie Wabes, épouse de Michel Verschuere, chef de la mission belge de coopération au Cameroun, constate que les librairies et les bibliothèques camerounaises sont vides de toutes productions locales destinée aux tout-petits. Elle décide de faire quelque chose et lance un atelier qui s’étend sur deux ans (1994-1995) sur le thème « Livres images pour enfants d’Afrique ». Chiristian Ovah, Mballa Elanga, Vincent Nomo, Liliane Onguene
étudiants pour la plupart, forment l’effectif de cet atelier dont les premiers projets vont très rapidement être présentés en 1994 à la Foire de Bologne en Italie. Le projet intéresse les Suisses et les Américains ainsi que les Hollandais qui, à travers leur mission de coopération basée à Yaoundé, octroient une subvention à la structure naissante à la demande de Marie Wabes. Les trois premiers livres sont immédiatement publiés : Matike, l’enfant de la rue de Désiré Onana, Le cri de la forêt de Vincent Nomo et Bella au cur d’or de Liliane Onguene. En 1995, suite à l’exposition organisée par l’Unesco lors de la journée de l’enfant africain, l’idée de se mettre en association se fait pressante : Aile Cameroun voit le jour et s’installe au CCF de Yaoundé. l’objectif central est clair pour le tout jeune groupe : se prendre en charge et mettre sur pied une maison d’édition. Pierre Yves Njeng, formé en lettres modernes françaises, est porté à la tête de la structure. Mais il ne fera pas long feu puisqu’il va émigrer en Europe en 1999.
C’est sur ces entrefaites que Mballa Elanga, aspect bon enfant, sourire facile et propos méthodiques, prend les rennes et de Aile Cameroun (l’association) et de la maison d’édition. Il faut nouer des contacts avec des structures étrangères et locales, en vue de donner une large visibilité à l’action de la structure. En 2002, l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie (AIF) apporte un appui à la collection Afrique en lecture et le Ministère de l’Education Nationale inscrit les livres de la jeune structure dans le programme des bibliothèques du Cameroun destinés à la lecture plaisir et aux activités ludiques. Mais quelques blocages font surface : les fonds alloués par l’Etat pour l’acquisition des ouvrages sont détournés par les services relais, les livres, une fois déposés dans certaines bibliothèques, sont vendus plutôt que mis à la disposition des écoliers, et dans certains cas, ils sont disponibles mais les bibliothèques font défaut
Ces obstacles n’ont pas freiné l’action d’une équipe qui réfléchit déjà plutôt sur l’impact futur de ses publications sur les enfants. De l’avis de Mballa Elanga, les publications d’Akoma Mba voudraient s’adresser à tous les enfants, qui sont très intéressés par son offre. Mais l’impact doit s’inscrire dans la durée, les enfants ne commençant encore qu’à prendre l’habitude du livre. Il faudra, selon le Directeur, attendre 30 et 35 ans pour mesurer l’impact sur l’enfant devenu adulte que le livre lu dans la jeunesse aura produit sur lui. Mais entre temps, il faut ouvrir d’autres perspectives, créer d’autres collections avec des textes plus étoffés. Car, il s’agit ici d’un véritable culte rendu au livre. Il y est un support d’éducation et de divertissement. Il communique un certain nombre de valeurs à son lecteur. Des valeurs, des rêves, des espoirs. Il est une fenêtre sur notre environnement et sur les grands événements des siècles passés. Près d’une vingtaine de livres pour enfants déjà publiés, sur des sujets variés, avec des auteurs aguerris à la plume, des prix internationaux remportés à l’exemple du Prix bibliothèque internationale de jeunesse de Munich en 1998 avec Matikè, l’enfant de la rue; et le Prix Unicef Dakar de 1997 avec Le Cri de la forêt. Il n’est donc pas question de s’arrêter en si bon chemin. C’est pourquoi, mue par les sollicitations dont la maison fait l’objet, elle commence à scruter d’autres horizons. Sous la direction d’Agnès Ekounda, un magazine de BD destiné à la jeunesse intitulé Essingan frappe l’imagination des petits depuis quelques mois avec des aventures rocambolesques et passionnantes telles Zeyang, Species, Akoma Mba contre Net Boto, La mygale, Lov’city
Une nouvelle collection va naître, confie Mballa Elanga, pour recevoir d’autres textes. « On est dans une logique d’excellence, on ne peut donc par conséquent se permettre la complaisance. Nous nous situons à la dimension internationale. Nous assistons à des foires partout dans le monde. Nous voulons être respectés. C’est pourquoi nous recherchons de très bons textes pour arriver à la collection que nous projetons de lancer. ».
Les dix premières années d’Akoma Mba ont servi à mettre en place les bases. La structure, reléguant la rentabilité au second plan, a investi tous ses moyens dans la production. Il s’agit de construire une entreprise de jeunesse digne de ce nom. Il arrive que les employés passent des mois sans salaire, le côté passion permet alors de tenir le coup et de résister à la mort. Car le danger vient de partout dans un contexte où il reste à mettre sur pied un réseau de vente en librairies, de bibliothèques qui achètent le livre, de diffusion, d’appui des organismes étatiques comme c’est le cas en France, par exemple. D’où la colère dans laquelle on entre ici lorsqu’on parle du compte d’affectation spéciale : ça ne sert à rien de donner de l’argent aux auteurs comme le Mincult le fait, dit mordicus, alors que les maisons d’éditions pourrissent dans la non assistance.
Aujourd’hui,Akoma Mba est perché au dernier étage d’un immeuble planté sur l’avenue Germaine Ahidjo à Yaoundé. Le cadre de travail des éditions n’affiche ni l’opulence des grandes maisons ni le dépouillement complet de certaines autres. Elle fonctionne avec deux départements : un service marketing qui conçoit les visuels et essaye d’atteindre le public et un service comptable. Aile Cameroun s’occupe pour sa part du Comité éditorial. La maison dispose en outre d’un diffuseur parisien, un autre ivoirien et un troisième pour le reste du monde qui est installé à Paris. Elle travaille avec un imprimeur local et un autre en Tunisie, pour les travaux lourds. Avec tout cet arsenal, Akoma Mba ne redoute rien, ni la concurrence, ni les grandes ambitions : le Cameroun, pense-t-on ici, doit avoir le même nombre de maisons d’éditions que Paris. Il y a tant de maisons là-bas qui ne se concurrencent pas, mais font un travail complémentaire. Mais Akoma Mba n’est pas seul ; c’est presque tout Paris à Yaoundé avec une impressionnante fortune éditoriale : l’apport de la Belgique au bénéfice d’Akoma Mba s’énonce en multiples formations, en relations publiques et en diffusion. Son impact international embrasse les pays aussi divers que la France, l’Italie, la Hollande
; des organisations internationales comme l’Unicef, l’AIF, Unesco; des prix internationaux reçus en Afrique, en Europe et en Amérique. Et la récente semaine du livre européen de Yaoundé, avec l’appui majuscule de Marie Wabes qui était présente, a conclu ses travaux dans la perspective d’aider cette jeune maison d’édition camerounaise pour le bonheur des tout-petits et bientôt des grands.
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