Alger Nooormal

Editions Françoise Truffaut

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« Nooormal », s’entend à longueur de temps et de rues, dans les maisons comme dans les bars, à Alger.
Ce « livre » invite à une découverte originale de la ville : avec des photos de Jean- Pierre Vallorani, un patrimoine musical amoureusement détaillé par deux fins connaisseurs, Mohamed Ali Allalou et Aziz Smati, et la parole des Algérois d’hier et d’aujourd’hui, le tout coordonné par la plume « exquise » du journaliste-écrivain Mustapha Benfodil…
Cela donne un hymne tendre et ému à Alger « qui n’existe pas par la grandeur de ses monuments et la beauté de son architecture… mais par la parole de ses gens. »
Les photos, respectueuses, montrent des visages, des rues dévastées, des intérieurs pleins de dorures, ou vides, la baie sous un ciel gris, des marchés, le jardin botanique : Alger multicolore et « titubante devant l’incertitude de ses lendemains. »
On écoutera avec délectation Mohamed El Kamal, la vedette des années 40, qui a mixé avec humour tous les sons de l’époque, le kitchissime Bob Azzam, dont le « Chéri, je t’aime, chéri je t’adore/comme la salsa des pommodores » fut un tube, ou Lili Boniche, le gandin pommadé, maître de la rumba algéroise, qui chevrote encore dans les centres culturels de banlieue son amour de l’Algérie…
Découvrons la rue Didouche-Mourad, l’artère principale chère aux colons, où se croisent aujourd’hui les chômeurs, les désœuvrés « mûrs pour les murs » comme dit Fellag, les dragueurs, « parqueurs », revendeurs de téléphone…
Mais aligne aussi les boutiques chics de la ville, ses cybercafés, ses bars branchés, et demeure une rue lettrée, carrefour des librairies, les rares encore en activité.
Et aussi Bab-el-Oued, passablement rénovée depuis les inondations de 2001.
Écoutons Jean-Jacques Deluz, l’architecte suisse qui vit là depuis 1940 et pose le problème de l’avenir architectural de la ville.
Écoutons Fatma Zora, 72 ans, ex-péripatéticienne, qui exerça à Paris avant de rentrer au pays, et connaît un paquet de chansons paillardes algériennes.
Ecoutons Meskoud, le chanteur qui fit un tube, en 1990, avec une chanson satirique célébrant l’arrivée de l’eau : « il y en a tout le temps, c’est-à-dire un jour sur trois »…
Enfin, le plus surprenant : quatre girls band, qui ont entre 19 et 22 ans. Elles ont fondé un groupe qui « râpe » tout « B’net Lebled », les Filles d’Alger.
Parce que le rap leur permet de dire tout ce qu’elles ont sur le cœur. Elles ont composé une chanson parodique d’un hymne de l’ex- Front islamique du salut, le FIS. Evidemment, elles ne trouvent pas de producteur. « On parle des jeunes, de la misère, des problèmes politiques… Les producteurs préfèrent le raï, pour danser… » L’une d’elles ajoute : « Moi, je suis désespérée, ah ah ah ! (rires) Déprimée. On est toutes déprimées. »
En plus, la touche graphique de Béatrice Fixot fait de ce « livre » passionnant et attachant un objet d’art.Si.Si.

Alger Nooormal. Editions Françoise Truffaut. Avec un CD d’une heure (26 mn pour un demi-siècle d’histoire de la musique et le reste consacré aux bruits de la rue et à des extraits d’interview.) Une telle visite pour 26 euros, c’est cadeau.///Article N° : 4097


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