Comment décrypter traditions et post-modernisme dans les plastiques contemporaines sud-africaines ? Exploration.
La floraison magnifique d’art contemporain en Afrique de l’Ouest et centrale a détourné le regard des critiques de l’Afrique australe. On pouvait croire au désert artistique. Déjà, l’Afrique orientale semblait pauvre en tradition. Cette zone de la Pfahl Plastik – des poteaux ornés de sculptures décoratives – était effacée devant la peinture des volumes et des gravures Luba ou Kuba, Tchokwe du Congo. Seuls les peuples du Mozambique avaient créé des sculptures sur bois originales. Les Makondé taillaient des masques heaumes dont le réalisme retenait l’attention. Puis, avec la décolonisation et les migrations, une veine surréaliste surgit, engendrant d’étonnantes statues d’ébène où têtes et membres sont savamment disloqués et recomposés, en dehors de toute logique anatomique. Des poutres d’ancêtres réalisées dans des cylindres d’ébène évoquent la solidarité familiale. En même temps, une peinture rustique florissait, décrivant bêtes et gens au pied du Mont Kilimandjaro.
Plus au Sud, l’imagination des historiens est mise au défi par les ruines du Zimbabwe. Des constructions inattendues, de grands murs de pierres sèches, une tour conique laissent supposer des pouvoirs organisés ayant présidé aux travaux. Les Portugais parlaient du monomotapa ( » le maître des terrains ruinés « ). On peut penser qu’avec la découverte d’or vers 900, la richesse a ancré des échanges commerciaux dont les porcelaines ou poteries arabes, persanes ou chinoises trouvées sur place sont les témoins.
Peut-on à travers les oeuvres du passé tenter de diagnostiquer les talents artistiques qui se révéleront dans l’avenir ? Ecartons la dangereuse théorie génétique. La statistique et la sociologie tente de repérer les écoles et les institutions. Un art naît et prospère s’il est reconnu et encouragé par la société.
Les rameaux ethniques fort divers qui forment la population sud-africaine ont amené leurs traditions artistiques. Aussi peut-il être éclairant d’étudier le passé. Plus de 3000 sites de gravures et peintures rupestres ont été découverts en Afrique du Sud qui seraient au moins aussi anciennes que celles du Sahara. Le catalogue de l’exposition Africa 95 de Londres reproduisait, une gravure du lieu dit Apollo II vieille de 25 000 av. JC, la plus ancienne du continent.
Les Khoï San, auteurs de la plupart des scènes rupestres, ont fait preuve d’un sens remarquable du mouvement, de la couleur et de la composition. Les artistes récents, qui ont peint les Boers en grand Trek, avec chariots à buf et fusils, ne pouvaient ignorer ces vastes fresques de combats tribaux, de razzia de bétail, de vie dans les campements, même si les origines et les significations de certaines gravures restent mystérieuses : Petroglyphe de Kimberley, Tête de Lydenburg. Les datations vont de 12 000 av. JC à 500 après, ou 1650 pour la tête de Kenilsworth.
Le Musée Dapper, dans son exposition Réceptacles, expose des ufs d’autruche et noix de coco sculptées de thèmes bibliques ou locaux, témoignage à la fois de la patience des artisans et de la misère technologique des Khoïsan.
L’exposition Magiciens de la terre et un livre récent de Courtney Clarke ont attiré l’attention sur les peintures murales des femmes ndebele. Des motifs abstraits inspirés par des formes industrielles orthogonales sont vivement colorées. Escaliers, maisons et fenêtres sont utilisés pour composer un décor intérieur et extérieur. On songe aux peintures et gravures des Saramacas (ou Bonis) de Guyane étudiés par Hurault. Une peinture de Lefifi Tladi de 1987 porte explicitement la trace de l’inspiration ndebele dans son dessin comme dans son titre : Fran en Ndebeleby.
Alors même que les Afrikaners, de culture calviniste, se sont vraisemblablement méfiés des arts plastiques, le développement culturel de la population noire était freiné par la ségrégation. Les traditions plastiques bantoues semblent avoir été oubliées au cours des migrations comme en témoignait le tableau décevant des oeuvres exposées à Londres en 1995.
Art africain contemporain 1996 donne les chiffres suivants :
L’Afrique du Sud comporte 51 galeries et 12 musées, 16 universités et écoles pour les arts, des associations regroupant les artistes comme la Federated Union of Black Arts dirigée par le poète et romancier Sipho Sepamla (FUBA, P/O Box 4202, Johannesburg 2000), un organisme qui développe la formation et la professionnalisation des artistes et qui s’efforce de préparer les jeunes à entrer dans les universités.
Le 8 février 1996, le Président Mandela inaugurait l’exposition United Nations Art against Apartheid dont les 93 oeuvres ont remplacé les 500 peintures auparavant accrochées au Parlement.
Du 12 octobre au 18 janvier s’est tenue la 2ème Biennale d’art contemporain de Johannesburg et du Cap dont le directeur artistique, le Nigerian Okwui Enwezor, en définissait ainsi l’esprit : » Notre perception du ‘paysage global’a changé. Cela nous conduit à repenser la notion de territoire et à supprimer les pavillons nationaux. Le but n’est pourtant pas de montrer une unification des cultures, mais d’expliquer ce qu’implique la mondialisation – la relation entre le local et le mondial, l’utilisation par les artistes des idées et des matériaux disponibles autour d’eux… Il s’agit de réfléchir sur les processus de formation ou de contestation identitaire, de transformation des métropoles qui ne sont pas caractérisées par la domination d’une seule culture… » Interrogé sur le rôle de l’Afrique du Sud, il répondait qu’il la voit » comme un pont pouvant relier l’Afrique au reste du monde « .
Rares sont encore les expositions et donc les catalogues. Une étude importante de J.F Thiel, Christliches Kunst (1983), comporte une vingtaine de photos. En 1987, Echoes of African Art de Matsemela Mamaka offrait quelques reproductions… Manque d’intérêt des éditeurs ou caractère marginal de la production ? Les choses sont en train de changer.
En 1994, à la Défense à Paris, une exposition présentait les oeuvres de 19 artistes de toutes disciplines, de la vidéo aux installations, de la peinture aux sculptures.
Du 17 au 25 octobre 1997 à Nantes, le festival Fin de siècle à Johannesburg exposait 18 artistes sud-africains comme Garth Erasmus. L’apport des Blancs est conforme à ce qu’on peut attendre du post-modernisme : installations, objets suscitant l’émotion comme les larmes de masques, vidéos… D’autres artistes sud-africains et français ont créé en résidence à Nantes et en Afrique du Sud des oeuvres communes. Mais la volonté de se limiter à l’art urbain, en particulier de Jo’burg, ne pouvait que restreindre la découverte…
A l’occasion de la rencontre des écrivains sud-africains organisée par Les écritures croisées et la Cité du livre d’Aix en Provence, en octobre dernier, Sandile Zulu a pu exposer ses Peintures Brûlées. Installé au centre d’art d’Amakhono, une résidence d’artistes proche de Johannesburg, il expose se brûlures comme d’autres leurs cicatrices. Les murs avaient également pris la parole à Aix avec Nicky Blumenfeld, qui a fondé en 1994 APT Artworks, une entreprise dédiée à la promotion de l’art public et dont les 35 réalisations couvrent les murs des métropoles et des townships, et qui a réalisé 7 peintures murales dans le cadre de la campagne contre le sida initiée par le ministère de la Santé auxquelles l’autre peintre présent à Aix, Mpumelelo Melane, a également participé.
On retrouve le Dakar de 1989 où les murs s’étaient couverts de peintures set setal ( » faire la propreté « , en ouolof)… Le même phénomène s’était produit peu après en Namibie : bouillonnement artistique et/ou contagion ?
La linogravure permet avec des moyens pauvres à des dessinateurs de talent d’exprimer leurs attentes et leurs souffrances : les cartes postales et de voeux de John Muafangejo répandent l’espoir d’une fraternité par-delà les clivages raciaux.
L’étrange rencontre, à la Cité des arts de Paris, de deux oeuvres féminines mérite-t-elle d’être évoquée ? Zuleika Bladsczyck-Radziwill, Africaine selon les critères de l’apartheid, et Isabel le Roux, Afrikaner, sont toutes deux venues en Europe en 1996 et 1997. Le thème identitaire est évident : la première peint des groupes de visages divers juxtaposés au hasard, ce qui est fréquent chez les artistes du continent ; les peintures exubérantes de la deuxième, une des artistes les plus exposées en Afrique du Sud aujourd’hui, puisent leur inspiration dans les foules des rues et des places urbaines et vise à renouveler la tradition de la peinture de genre. Outre la diversité des êtres et un expressionnisme assuré, un sens étonnant de l’espace la préoccupe : autour d’un point de vue, elle va concevoir de multiples tableaux qui peuvent se composer ensemble. Des figures qui vont se renvoyer l’une à l’autre le regard du spectateur. De multiples croix marquant les horizons organisent le foisonnement de l’espace ou évoquent des pensées diverses de fatalité, de repères historiques ou culturels. Ne sont-ce pas là les prémices de la nation arc-en-ciel ?
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