Pénétrer dans l’atelier de Mahajanga d’Andrée Ethève est un voyage dans un univers à part entière, celui de l’artisanat haut de gamme travaillé par les doigts d’une artiste. Née à Madagascar, issue d’une famille réunionnaise installée sur l’île rouge depuis quatre générations, elle, y revient à son tour à la fin des années quatre-vingt-dix. La région du Boeny est sa terre de prédilection, celle où elle se consacre véritablement à l’art du tissage, de raphia ou de soie.
Artiste n’était pourtant pas la ligne professionnelle qu’elle traçait en terminant une école d’ingénieurs en aviation civile. « Ma mère a pleuré pendant un mois quand je lui ai dit que j’allais devenir artiste ». Sept ans de Beaux-Arts, 25 ans de tissage professionnel, « notamment pour la haute couture » forgent le parcours peu commun d’Andrée.
Aux côtés d’un maître tisseur à Lyon elle s’initie sur des métiers traditionnels, travaille ardemment. « Tisser c’est un peu comme la bicyclette, d’abord on ne cesse de tomber, et puis un jour on y arrive, on ne sait pas vraiment pourquoi mais on n’oublie jamais » ; nourrie par ses années aux Beaux-Arts, son esprit d’imagination et de création, elle ne fait aucune différence entre l’artisanat et l’art dans son travail. Selon elle, « chaque tissu a sa technique propre, chaque tissu est une création ». Un travail minutieux qui n’exige « non pas de la patience mais de la passion » insiste une rêveuse qui a bien les pieds sur terre.
Son atelier est son espace de vie. Une petite pièce renferme les dernières uvres qui la décorent tout entière : des tapis et rabanes ronds ou rectangulaires déposés sur le sol les uns sur les autres, laissant découvrir des coloris variées, des techniques qui le sont tout autant. « Nous pratiquons le filage classique mais aussi le tressage, explique cette femme de petite taille dont les années et les épreuves de la vie n’ont pas terni un regard clair et pétillant de vie. Chaque création est un travail minutieux explique-t-elle en déroulant une rabane d’environ quatre mètres de long : « on ne peut pas compter le temps qu’on y passe. C’est différent pour chaque pièce. Mais pour celui-ci il faut au moins une semaine de tissage ». Elle fait travailler une dizaine de personnes, tous malgaches, formés sur place.
Cet espace chaleureux, également parsemé d’accessoires tel que des chapeaux ou des sacs originaux, est l’entrepôt de Terre La, l’entreprise qu’elle a créée avec son fils Nicolas et sa fille, Griotte afin de développer et vendre leurs créations. « Terre La signifie ce qui est d’ici en créole ». D’ici, de la région de Mahajanga proviennent tous les ingrédients nécessaires aux créations d’Andrée. Le raphia est cueilli dans le parc d’Ankarafantsika ; zone raphière par excellence et véritable château d’eau de la région, deuxième grenier à riz du pays. « C’est, je pense, le plus beau raphia de tout Madagascar ; long, blanc, parfaitement sec ». Quant aux teintures, elles sont issues de fibres naturelles « essentiellement de l’indigo, du ficus, du teck mais aussi des virages avec des cendres de végétaux et de la boue ». Andrée Ethève teste tous ces ingrédients naturels pour ses créations ; un véritable travail de chercheuse complémentaire de celui de créatrice.
Artiste complète, elle dessine des motifs originaux sur ces tissus. Elle s’essaie aussi à différents supports de création et sa maison-atelier en est le reflet. Après avoir traversé une varanga (véranda) propre aux maisons majungaises afin de se protéger de la chaleur, occupée par « mon premier rouet que je suis en train de restaurer », Andrée laisse découvrir les trésors abrités sous sa pergola ; des statues de bois, des poteries, « et j’ai aussi mon élevage de zébus » plaisante-t-elle en pointant du doigt une rangée d’animaux à bosse travaillé dans du bois. Dans ce même espace, deux métiers à tisser se dévoilent ; « l’un est mon premier métier à tisser, fabriqué par mon mari, aujourd’hui décédé, le deuxième en est une copie que nous avons diffusé dans les ateliers villageois ».
L’action est ce qui la définit. Elle semble avoir plusieurs vies menées de front. Passionnée par la culture malgache à laquelle elle appartient, « qu’il faut ressentir sans chercher à comprendre tellement elle est riche », la tisseuse restaure des traditions textiles qui se perdent telle que la fabrication de lay masaka « Des tissus de raphia travaillés en ikat, cette technique de teinture du pourtour de l’Océan Indien qui servaient de moustiquaires de mariage mais aussi de tentures lors des décés. ». Toutes ses connaissances se nourrissent d’aller-retour incessant avec les villages de brousse de la région.
Depuis une dizaine d’années, Andrée y met son travail et ses compétences au service d’un combat qui lui tient à cur : « Faire en sorte que les ressources naturelles soient mises en valeur sur place, afin d’enrichir cette région par la valeur ajoutée du travail de transformation. De ce fait ces ressources naturelles seront protégées par les personnes qui en vivent ».
Ainsi, L’association des femmes entrepreneurs de Mahajanga (FEM) dont elle est présidente a notamment participé à la naissance de regroupements de villageoises, connues sous le terme « Les femmes du parc », en référence au parc d’Ankarafantsika. « Nous aimerions à terme qu’elles aient le statut de coopérative pour être vraiment autonomes », explique Andrée Ethève qui a participé à leur initiation, leur formation au travail du raphia et des teintures naturelles mais aussi de la soie dans la baie de Bombetoka ce gigantesque estuaire du fleuve Betsiboka.
« La soie est un travail de haute volée. J’ai tissé dix ans d’autres fibres avant de l’aborder ». A l’heure actuelle elle cherche à diversifier les créations des ateliers ruraux à partir de cette ressource, destinée à créer des lamba et autres écharpes de qualité. Des villageoises de la baie de Bombetoka sont déjà initiées aux premières opérations de transformation du cocon au fil de soie filé au fuseau. « Leurs villages sont totalement sinistrés par l’effondrement des grosses unités de productions ce qui entraîne une trop forte pression sur les ressources naturelles. La cueillette des vers à soie et leur transformation peut être une réponse pour cette région ». Les travaux de créations menées par Terre La et les activités associatives d’Andrée Ethève sont indissociables d’une personnalité forte, ancrée dans son temps et son espace. « J’aimerais tout de même aujourd’hui ralentir un peu pour pouvoir reprendre le dessin et la peinture ».
///Article N° : 9841
Un commentaire
Dans la lignée des Etheve francis tanneur et maroquinier passe un bonjour à sa cousine l’artiste et espère un jour retourner au pays pour lambrasser à bientôt