Antoine François Assoumou : le silence, le tragique, l’initié et l’absolu.

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En découvrant Le Sacre du Levant d’Antoine François Assoumou, poète du silence s’il en fut, je me suis senti transpercé par des relents tragiques de cette quête de l’absolu que l’auteur a si magistralement initiée. J’ai, dans un éclair surréaliste, revu une mer poétique, lieu virtuel de toute communion humaine, où la sensualité du spirituel se lie à la conscience de ma solitude face à l’immensité récalcitrante de notre humanité en furie.
Au-delà de cette sublime sensation, je me suis convaincu d’une chose : tout être est simultanément créateur et crée, sans pouvoir sonder jusqu’au fond les sources qui le créent ni connaître la portée de ses propres créations. Chez Antoine François Assoumou, le désir de créer l’emporte sur l’ambition purement humaine de régner sur la plus grande parcelle possible du réel. Le poète ne cherche plus à posséder que pour transformer. Il s’attache à capter les moments aimés du royaume de l’Homme . Mais c’est afin de les faire vivre dans la durée poétique.
La poésie d’Antoine François Asoummou m’a semblé refléter souvent l’aspect nocturne de la réalité. Avec lui, en effet, il n’est pas possible d’oublier la Nuit. Au-delà de la parole libérée, la nuit d’absence se fait symbole de la Présence.
Je me permettrai cependant quelques remarques sur la formation de la conscience poétique d’Antoine François Assoumou. Sans remettre en question le fait que Raskolnikov l’a « transporté dans les cryptes de l’âme », que lire et étudier des auteurs tels que Dostoïevski, Kafka, Russier, Maine de Biran, Gide et ses Nourritures terrestres ou ses Portes étroites, l’aient certainement marqué, je reste persuadé qu’en poésie, se livrer à la recherche de sources et d’influences m’a toujours paru tant soit peu sacrilège. Je préfère plutôt parler d’affinités. Il en est de profondément immédiates, de véritables et de parfois trompeuses, de conscientes ou d’inconscientes ; il en est de très anciennes qui remontent à l’éveil du moi littéraire, et de fraîchement rencontrées qui, aussitôt découvertes, peuvent marquer une œuvre encore inachevée pour peu qu’elle s’ouvre à leur souffle. Il en est assurément d’irréalisées. Parviendrait-on même à cataloguer toutes celles qui lient un poète à ses prédécesseurs ou ses contemporains qu’on n’en saurait pas davantage sur la nature de l’impulsion créatrice présente dans son œuvre.
Quoi qu’il en soit, j’ai retrouvé chez Antoine François Assoumou ce fond de silence vers quoi s’achemine notre condition humaine, comme « un murmure sur la flanelle », ce thème de la libération à l’égard de l’angoisse de la Mort « frontière de l’ambre ». J’ai retrouvé la simplicité des vocables, la prenante humanité du ton, fruit d’une patiente conquête de « l’univers de la parole », l’humilité de celui qui très tôt a pris sa place dans la gravitation des constellations poétiques, ouvrant les frontières de son être complexe afin que soient possibles toutes les osmoses.
Antoine François Assoumou a été réceptif, il me semble, à l’appel de son tragique destin, et en nous léguant comme œuvre testamentaire Le Sacre du Levant, il a réalisé le cheminement de ceux qui ont appris que tout, même la fraternité, leur vient de leur propre durée. Le poète, dans cette oeuvre poignante lacérant nos angoisses existentielles aux confins du silence intérieur, a su se tenir aux écoutes lorsque reviennent les morts traquer les analogies fugitivement incarnées, partager la science secrète des enfantements spirituels et des rêves démiurgiques, attendant la Nuit. Chez Antoine François Assoumou, l’affabulation cesse avec la Nuit et les fantômes rentrent dans le cœur du poète qui, rendu à son unité diurne, connaît la joie de vivre parmi la solidité des choses et d’y élire domicile vivant. Antoine François Assoumou possède cette unité comme on possède une nostalgie.
Antoine François Assoumou nous propose une convention : chaque personnage incarne quelque aspect de la vie intérieure de l’auteur et disparaîtra, le moment venu, soit que ce qu’il représente a pu se manifester dans la réalité concrète, soit que cette réalité l’a, au contraire, étouffé. En attendant, dans le monde poétique de l’auteur qui leur permet de subsister un instant, ces apparitions frémissent de tout le pathos de l’irréalisé.
Dans le projet assoumien, il me semble évident que le monde de la nature comme celui des hommes soit entraîné dans un même acte d’adoration cosmique. La joie mystique ne saurait se détacher du monde, le laissant rouler vers la damnation. On entrevoit une délivrance, une transfiguration des joies terrestres elles-mêmes. Et ce que Antoine François Assoumou nous suggère par-dessus tout, ce n’est pas la promesse d’une gloire de poète-mage, ni celle d’un orgueilleux accomplissement par la souffrance qui l’anime dans sa quête poétique, mais simplement l’ordre d’accepter, par la poésie, le rôle de serviteur inutile, dont le maniement de la Parole fonde le charisme à la lisière d’une nécessité intérieure au service de notre historicité si controversée et tragique.
Dans Les Exilés d’Argo que je dédie à ce poète de ma génération sacrifiée (j’avais 22 ans à sa mort), j’ai essayé de transformer en lien d’espérance, le lien de la condamnation originelle, le lien du destin, parce que le poète est celui qui peut faire le silence en lui-même afin qu’à travers lui ce qui n’a point de voix puisse s’exprimer, même en exil ; afin que la recherche du monde d’amour, la pertinence des délires sensuels de l’histoire humaine, tous ces élans vers une plénitude enivrante garantissent la nature sacramentelle du réel.
A Antoine François Assoumou, je dédie ceci, entre autres :
L’échos de ta voix rauque
Lègue ses vagues au silence
Un oiseau respire à l’horizon
Et féconde nos consciences tératiques
Etendues sur le matin
Midi illumine l’amitié des morts
Comme pour décrisper l’angoisse
Pendue aux rémiges du néant
Je veux pour toi un viatique
Sur cette longue route
Où ton sacrifice
Deviendra rédemption
Et ton exil
Le déferlement des jambroses
Contre les parois de l’éternité
(Les Exilés d’Argo, inédit, 1992)
Mieux qu’un symbolisme onirique permettant d’établir une liaison continue entre le conscient et l’inconscient pour une libération psychologique véritable, ce qui pourrait attirer définitivement l’attention, c’est la survivance au plus profond d’une détresse saturnienne, d’une espérance aussi grande que le monde, de la plus poétique des visions avec la plus humble des ascèses et la plus patiente des affirmations de l’amour humain, toutes constellations dont le projet poétique d’Antoine Assoumou est essaimé.
Puisse celui-ci gravir les marches vespérales d’une symbiose entre la légende des siècles et l’éternité.

///Article N° : 3996


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