APEC : Esquisse d’une rétrospective

Print Friendly, PDF & Email

Je vais donc témoigner (…) de la seule période que Je connaisse le mieux (…) et qui peut être considérée comme la plus déterminante

L’on pourrait peut-être croire que je me suis désintéressé de l’association pour avoir perdu le poste de secrétaire général. En réalité, ce sont les nécessités d’assurer une carrière difficile qui commençaient ainsi à me rendre peu disponible pour l’association, et, s’était ajouté à cela, une participation active à la vie politique de notre pays où la démocratie qui, pour être apaisée aujourd’hui, a d’abord connu quelques turbulences. Mais j’avais gardé de bonnes relations avec mes camarades de la direction : le secrétaire général qui m’avait succédé en 1986, le regretté Jacob Enam et le président Kum’a Ndumbe III, mon collègue à l’université de qui je recevrai du reste une invitation amicale pour la VIIIe assemblée générale organisée entre le 18 et le 16 Avril 1991. Y en a t-il eu d’autres par la suite ? Je ne saurais le dire.
Je vais donc témoigner, ci-dessus, de la seule période que je connaisse le mieux et qui, fort opportunément et comme on le verra, peut être considérée comme la plus déterminante. En effet, dans un organisme vivant comme dans un organisme social, ou même une institution, il peut arriver qu’une période donnée concentre en elle l’essentiel de son histoire qui préparait aux étapes antérieures et qui peut aussi se déployer dans les étapes ultérieures. Il en est certainement ainsi de la période transversale dont nous parlerons le moment venu.
La naissance de l’APEC
Bien que les écrivains camerounais aient commencé à produire dans les années 30, comme en témoigne un document de Louis-Marie Pouka, l’APEC, en tant qu’association, aura attendu, pour voir le jour, la naissance même du Cameroun à la souveraineté internationale. C’est en effet eu moment où le Cameroun est devenu indépendant qu’un groupe d’écrivains de ce pays a décidé de créer l’association. Inutile d’essayer de réécrire à tout prix l’histoire soi-même. Voici ce qu’on peut lire dans un numéro d’APEC Activities :
 » L’APEC a été fondée le 23 janvier 1960 par un groupe de huit compatriotes dont les noms suivent : Louis-Marie Pouka, René Philombe, Ernest Alima, Vincent Tchoungui Ngono, Job Nganthojeff, Pierre Eloundou, Rémy Medou Mvomo et Ladislas Eloundou.
Par décision N° 2025/MF/CP2 du 30 janvier 1961, cette association a été reconnue d’utilité publique et a fait l’objet du récépissé de déclaration N° 491/INT/APA/2 du 9 février 1961. En 1966, une loi fédérale prononçait la dissolution de toutes les associations (religieuse, culturelles, politiques et autres). C’est ainsi que l’APEC a de nouveau été déclarée, conformément à cette loi, et fait aujourd’hui l’objet du récépissé de déclaration N° 7/R/MINAT/DAP/LP/1 du 6 mai 1972.
Ainsi l’existence légale de l’APEC ne saurait être mise en doute, contrairement à certaines rumeurs. Les comités Directeurs de l’APEC ont été élus aux dates suivantes : À la réunion constitutive du 23 janvier 1960 : Président : Louis-Marie Pouka ; Secrétaire général : René Philombe ; Secrétaire général adjoint : Ernest Alima ; Trésorier : Job Nganthojeff. À l’Assemblée générale du 15 juin 1966 à l’institut Goethe de Yaoundé : Président : Vincent Tchoungui Ngono ; Secrétaire Général : René Philombe : Trésorier : Sankie Maimo. À l’assemblée Générale du 29 novembre 1969 au centre culturel camerounais de Yaoundé : Président : Vincent Tchoungui Ngono ; Secrétaire Général : René Philombe ; Secrétaire Généraux adjoints : Stanislas Awana et Marcel Mvondo II ; Trésorier : Jeanne Ngo Maï
L’APEC comptait des sections provinciales dirigées chacune par un délégué. Voilà donc l’équipe des pères fondateurs de l’APEC, dont la composition a été régulièrement remaniée au gré des différentes Assemblées générales s’étant succédé de 1961 à 1969, soit trois au total. La quatrième n’aura lieu qu’en 1980, ce qui fera parler, pour la toute dernière équipe demeurée inchangée pendant onze ans, d’immobilisme et de léthargie. Avant de poursuivre, je pense qu’il faut rendre un hommage solennel, à tous ces pionniers, sans qui nous ne ferrions aucun historique aujourd’hui. Je pense notamment aux disparus : Timothée Ndzagaap, Stanislas Awana, Vincent Tchoungui Ngono, René Philombe, et peut-être j’en oublie et je m’en excuse. Les autres, leurs compagnons de route, méritent aussi d’être vivement acclamés, car c’est grâce à eux tous, phares et visionnaires des temps héroïques, que la flamme de la littérature, et plus particulièrement des belles lettres, est parvenue jusqu’aux générations d’aujourd’hui. Qu’ils en soient remerciés.
Au sens propre du terme, ils ont su passer le relais à leurs successeurs, sans haine et sans rancœur, avec honneur et en toute fraternité et essayant, autant que faire se pouvait, de mettre les hommes qu’il fallait à la place qu’il fallait. Dans le compte-rendu de la toute première réunion du Comité Directeur issu de la quatrième assemblée générale des 24, 25 et 26 juillet 1981, le président nouvellement élu dira que  » cette assemblée mérite des félicitations pour son refus du vote par la liste collective, au bénéfice d’un scrutin uninominal, plus objectif parce que plus libre « . La grande articulation qui fait passer l’APEC de sa phrase embryonnaire à l’étape de la maturité s’opère en effet en 1981, en s’articulant autour de deux opportunités concomitantes et complémentaires : la volonté du comité directeur de célébrer le 20e anniversaire de l’APEC et l’implication de nouvelles énergies désireuses de revitaliser l’association. Les préparatifs de cet événement connurent une grande effervescence provoquée par l’arrivée de nouveaux venus. Sensibilisés et mobilisés par Kum’a Ndumbe III qui arrive nouvellement d’Allemagne d’où il ramène visiblement une grande expérience de la vie organisationnelle, ces nouvelles figures dont la plupart sont des universitaires, prennent attache avec René Philombe et Patrice Kayo, les organisateurs qui se sentaient ainsi encouragés, et peut-être entraînés, se mettent eux-mêmes aussi à reprendre du poil de la bête.
L’effervescence du renouveau
Par une pression aussi courtoise que légitime, les nouveaux venus amènent la vieille équipe à changer de rythme dans le travail d’animation, au cours de l’année 1980. Une avalanche de réunions itinérantes se tient un peu partout dans la ville, l’APEC n’ayant pas de siège propre. La consultation des différents procès-verbaux de l’époque peut faire comprendre aisément le dénuement de cette association qui était ainsi condamnée à l’errance. Sans domicile fixe, l’APEC, quand elle se réunit, se laisse en effet héberger tantôt par l’Ecole normale supérieure, tantôt par le centre culturel français, le centre culturel camerounais, l’institut Goethe, le siège du journal Objectif, par la faculté des lettres et des sciences humaines ou par le domicile de M. Alexandre Kum’a Ndumbe III, qui devait avoir, aussi, et à juste titre, une certaine idée derrière la tête. Les signataires de ces différents procès-verbaux et compte rendus sont des noms bien connus aujourd’hui : David Ndachi Tagne, Pascal Bekolo Bekolo plus connu sous le nom de plume de Pabe Mongo, Patrice Kayo, Kume Tale, Buma Kor, Basseck Ba Kobhio, Joseph Désiré Zingui, les regrettés Jean Ambassa, Stanislas Awona, etc.
L’objectif presque permanent de ces réunions, qui étaient tantôt mensuelles et tantôt bimensuelles, portait sur la préparation de la quatrième assemblée Générale de 1981 et surtout, sur la révision devenue nécessaire des statuts. À terme, cette révision des statuts s’est caractérisée, article par article, par une plus grande concertation des pouvoirs aux mains du président national de l’APEC alors que, dans l’ancienne conception, c’est le secrétariat général qui avait un rôle prépondérant. Le terrain étant ainsi balisé, la quatrième assemblée, qui était donc porteuse de beaucoup de changements, se tint effectivement les 24, 25 et 26 juillet 1981. Elle accoucha en tout cas, en dehors de nouveaux hommes, d’un programme d’action qui devrait encore être d’actualité et toujours applicable, parce qu’il avait été solidement élaboré, en se projetant dans le long terme.
Le renouveau de l’APEC, un vaste programme
La quatrième assemblée générale fut à la hauteur de ses ambitions, de par l’ampleur et la durée de ses manifestations. Elle reçut en particulier la visite d’un hôte de marque en la personne de Madame Carolyn G. Fowler, une américaine férue de littérature et écrivaine elle-même, qui donne une célèbre conférence intitulée : L’Écrivain noir américain et la question de l’identité culturelle à travers les œuvres. Cette grande réunion de relance accoucha d’un nouveau comité directeur dont la composition est présentée en annexe de cet exposé. La volonté affichée de rompre avec le laxisme du passé s’est aussitôt concrétisée quelques jours et quelques semaines plus tard par une intense activité organisationnelle et diplomatique. Les procès-verbaux de réunions de cette époque peuvent remplir un volume. La nouvelle équipe s’efforçait, autant qu’elle pouvait, d’appliquer le vaste programme arrêté et d’établir une collaboration institutionnelle avec certains départements ministériels. C’en était fini avec l’immobilisme. Certains collaborateurs du comité directeur l’apprirent à leurs dépends quand une décision de révocation signée du président national les frappa,  » Vu la carence totale dans plusieurs services, carence tolérée pendant deux ans ; Vu le programme d’action de l’APEC pour 1981-1983…  »
Ce programme était si vaste en effet qu’il ne devait souffrir aucun différé, aucun comportement dilatoire. S’il fallait tenter une évaluation de ce programme justement ambitieux, ce ne serait cependant qu’un constat de désolation. À l’heure qu’il est, le silence est total, à l’APEC. Tout se passe comme si la noble association était condamnée, par la fatalité, à toujours alterner une décennie d’activités avec une décennie de léthargie. Je remercie L’Africa book Development de m’avoir donné l’occasion de faire cet historique et d’attirer publiquement l’attention des poètes et des écrivains camerounais afin qu’ils prennent leurs responsabilités devant l’histoire, pour revitaliser l’association, et recommencer l’animation de la vie culturelle. C’est peut-être le retrait de l’Esprit, ou le déclin de la vie intellectuelle, qui a plongé notre société dans son matérialisme le plus vulgaire, dans cette drôle de vie qui est la notre, abjecte, sans rêves et sans poésie.
L’attention des responsables même de l’État doit aussi être attirée sur la responsabilité qui est la leur. À l’expérience, et cela apparaît par-ci par-là dans ce bref aperçu, ils n’ont pas réellement épaulé l’association qui n’en a reçu, depuis son existence, que de petites aumônes ponctuelles. Ceci ne permet pas la survie d’une organisation à but non lucratif dont l’utilité publique est cependant avérée. Les auteurs ne sont pas réellement aidés, ni les éditeurs subventionnés, et la pratique de la lecture recule dangereusement. Victor Hugo avait fait du poète le phare de la nation. Une société qui n’alimente pas un phare qui a besoin d’énergie se plonge elle-même délibérément dans l’obscurité. Un grand dessein attend le Cameroun, et il est faux de croire que ce grand dessein se réalisera tout seul, ou par l’action des anges, ou par l’action des jeunes capitaines d’industrie, mais aussi, et surtout, par celle des créateurs intellectuels. C’est dans ce sens que l’on parle actuellement de la France de Molière, de l’Allemagne de Goethe ou de l’Angleterre de Shakespeare. Occasion de dire que qui veut la fin prévoit les moyens. Et l’un de ces moyens, pour revitaliser l’écriture et revaloriser l’écrivain en lui redonnant ses lettres de noblesse, c’est de lui permettre, institutionnellement, de vivre de sa plume.
L’écrivain, en effet, c’est un artiste qui doit vivre de ses droits comme un musicien, un cinéaste ou un peintre. La loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins a congédié la SOCINADA au profit des corporations plutôt sectorielles, permettra peut-être aux écrivains de bénéficier aussi, et enfin, d’une répartition équitable et régulière des droits, à l’instar de tous les autres créateurs des œuvres de l’esprit. Mais les services techniques en charge de la répartition des droits, et notamment, au niveau des régies d’antenne prennent malheureusement leur travail à la légère, au point qu’aucun écrivain, poète, dramaturge ou romancier dont on exploite publiquement les œuvres, ne sait jamais combien il doit percevoir à la sueur à la sueur de son cerveau. C’est le cas, réellement, de parler de flou artistique. L’APEC serait gravement responsable si elle ne se réveillait pas définitivement en cette période où tout se modernise et où tout le monde sait que l’écrivain peut et doit déjà vivre de sa plume…

1. Ancien secrétaire Général de l’APEC, professeur des universités calmerounaise///Article N° : 4180

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire