Le Musée Dapper présente une centaine d’uvres, essentiellement masques, coiffes et statuettes issues de ses propres collections, complétées par celles de prestigieux musées européens et de collections particulières, ayant pour fil conducteur l’art de la coiffure dans les sociétés africaines traditionnelles. Sous un foisonnement de coiffes architecturales, parfois démesurées, toujours d’une grande créativité, la parole est là, forte, emblématique, révélatrice des identités culturelles d’une Afrique traditionnelle qui perdurent tout en étant en mutation dans l’Afrique contemporaine.
Une multitude de tresses, gigantesques lianes tombant en un rideau de pluie, flottent dans l’air. Le moindre souffle suffit à les faire bouger. Certaines sont nouées ou savamment emmêlées, d’autres sont ramassées sur elles-mêmes formant un tapis touffu. Déferlant du sol au plafond, elles semblent tisser un lien entre le ciel et la terre. Présentée avec pertinence au seuil de l’exposition Parures de tête, une installation de la jeune artiste germano-kenyane Ingrid Mwangi, Our own soul, plonge d’emblée le spectateur dans le vif du sujet : le contenu significatif de la coiffure.
Affirmative, interrogative, exclamative dans sa version contemporaine chez Mwangi pour laquelle » posséder ses propres cheveux devient le symbole de la possession de son moi « , la coiffure est aussi langage chez ses ancêtres sur la tête desquels elle est le dit de l’Homme, de son rang au sein de la communauté, de sa condition sociale, et de son état civique.
Véritables palimpsestes, les coiffes des statuettes présentées au Musée Dapper se lisent comme autant d’histoires individuelles et communautaires qui font référence à la naissance, à l’initiation, au mariage, au deuil, à toutes ces étapes de la vie pour lesquelles une coiffure emblématique était façonnée sur le haut du crâne, considéré dans de nombreuses sociétés africaines comme le » siège de l’âme « , celui où pousse » le souffle vital » parce que les cheveux ne cessent de croître. Abritant ce souffle qualifié aussi de » divin « , la tête devient dès lors un sanctuaire dont il faut prendre soin et qu’il faut prolonger par des ornements et des coiffes sculpturales, taillées à même le crâne ou façonnées dans des masques et des parures. Ainsi que le constate l’historien Jean-Paul Notué dans le catalogue de l’exposition, (1) » se coiffer est donc un acte de socialisation et de métamorphose qui permet à l’homme de communiquer des informations sur son histoire, sa condition sociale, et son identité culturelle. Les arrangements des cheveux, répondant à toute une série de rapports codifiés entre personnes appartenant à un groupe plus ou moins étendu, sont également soumis aux influences extérieures ainsi qu’au phénomène de la mode et au goût personnel « .
Tirés, tressés, nattés, prolongés, les cheveux, objets de tous les soins, sont confiés à plusieurs personnes, souvent dans l’intimité du cadre familial pour éviter que leur puissance magique ne tombe entre des mains mal intentionnées où elle pourrait subir un mauvais sort aujourd’hui encore, cette croyance perdure dans certains milieux où les cheveux ne doivent pas être confiés à n’importe qui, ni coupés la nuit par crainte que les mauvais esprits ne s’en emparent. Les cheveux sont modelés avec de l’argile, du kaolin et de l’huile avant d’être » fréquemment rehaussés de cauris, de perles, de fils ou d’éléments en or, en argent, en bronze ou en ivoire « . (2) Multiple, jamais figé, ne s’arrêtant ni à une ethnie ni à une région, l’art capillaire traditionnel d’Afrique a toujours été en perpétuel mouvement. De nombreuses coiffes, d’abord propres à certains peuples, ont muté chez d’autres où elles se sont transformées, au gré des pratiques et des modes. Ainsi la crête, couramment érigée sur le sommet du crâne par les Peul, se retrouve chez plusieurs ethnies, notamment sur les statues et les masques des Tikar du Grassland (à l’ouest du Cameroun). De même les coques arrondies des masques Punu, généralement portés en commémoration des morts, ont investi tout le bassin de l’Ogooué. D’unique, couvrant la partie frontale du crâne bordé par deux tresses, la coque peut être déclinée en deux ou cinq petites coques séparées par des raies.
Ce type de réalisation se retrouve dans les coiffures contemporaines où les coiffeuses professionnelles et occasionnelles rivalisent de secrets de fabrication. Pour Awa, » issue d’une famille où toutes les femmes savent tresser « et dont le salon de coiffure bamakois ne désemplit pas, » la coiffure est un secret de famille transmis de mère en fille auquel on ajoute une petite touche personnelle pour se démarquer des autres « . Originaire de Côte d’Ivoire, Awa a commencé à coiffer ses compatriotes chez elle avant de s’installer. Son salon comme beaucoup de salons de coiffures africains du continent et de la diaspora est un lieu de sociabilité où s’échangent les nouvelles des uns et des autres, où, exilé, on se recrée un » petit pays « où les petites histoires se mêlent à la grande Histoire. Sous l’apparente futilité d’un soin de cheveux, se forgent les opinions qui nourrissent les clameurs urbaines. En période de troubles, il n’est pas rare que les salons de coiffures soient parmi les premiers lieux surveillés voire prohibés, tant ils favorisent les échanges et les circulations d’idées. L’auteur et metteur en scène Kangni Alem (3) souligne l’importance symbolique de ces lieux de vie, rappelant que les deux leaders politiques noirs-américains Robert DeLarge et Joseph Rainey sont passés de » simples coiffeurs pour messieurs à mentors « , » du fait même de la position acquise par leurs salons dans la communauté, de leur visibilité et de leur savoir-faire de communicateurs « .
Si tous les coiffeurs ne deviennent pas politiciens, les coiffures se sont imposées comme revendication et affirmation identitaire au sein de la communauté noire. Outre les coiffures circonstancielles comme la Raie de Lumumba ou la coiffure Ogun Pari » littéralement la guerre est finie née au Nigeria après la guerre civile de 1970 « , (4) deux figures charismatiques se sont imposées : celle de la militante afro-américaine Angela Davis dont le » casque afro » s’est étendu, à la fin des années 60, à toute la diaspora, en même temps qu’elle pénétrait le continent noir, et les dreadlocks du jamaïcain Bob Marley, figure emblématique du mouvement rasta, dont la coiffure plus encore que les chansons est aujourd’hui un phénomène de mode. Aux antipodes, une autre icône, le mannequin noir-américain Naomi Campbell dont le cheveu lissé a fait de nombreuses émules chez les jeunes femmes désireuses d’imiter les chevelures caucasiennes. Une aubaine pour les fabricants de produits cosmétiques, tant la manne générée par un marché estimé à 1,7 milliard de dollars est énorme : le groupe français l’Oréal, parrain de l’exposition, ne s’y est pas trompé en rachetant en 1998 et en 2000 les leaders américains Carson et Soft Sheen, devenant ainsi le premier fabriquant mondial de » produits capillaires ethniques « . Outre ses représentations sur le continent en Afrique du Sud et au Ghana où une école de coiffure a été créée , le groupe sponsorise des salons en Afrique de l’Ouest et a lancé le Golden Scissors Award qui récompense chaque année un virtuose de la coiffure africaine.
Malgré cette pénétration occidentale du marché africain et la mode des » carrés-lissés » et autres coiffures calquées sur le modèle occidental, l’art capillaire africain perdure et les coiffures, directement inspirées des traditions mais librement adaptées s’imposent, majestueuses, dans les grandes cérémonies familiales et traditionnelles, mais aussi sur les podiums des défilés de mode internationaux.
A la suite de leurs ancêtres sculpteurs, deux artistes ont centré leur travail sur l’art capillaire de l’Afrique moderne : le Malien Youssouf Sogodogo (4), né en 1955, découvert en 1996 aux Rencontres de la photographie africaine de Bamako, et surtout le Nigérian J.D Okhai Ojeikere (6), né en 1930, qui, entre 1968 et 1999, a réalisé plus de 1000 photos regroupées dans la série Hairstyles. A travers ces clichés pris dans toutes les régions du Nigeria, Ojeikere a sublimé l’inépuisable richesse des coiffures pratiquées dans son pays tout en témoignant » d’une culture et d’un monde en pleine évolution « .
La centaine de statuettes et de masques présentés chez Dapper participent de ce travail de mémoire en témoignant de l’extraordinaire créativité capillaire des peuples d’Afrique autant que de celle de leurs sculpteurs, qui ont su restituer avec un magistral sens du détail les coiffes et les parures traditionnelles dont beaucoup ont aujourd’hui disparu. C’est toute la pertinence de l’exposition Parures de tête, qui invite le public à voir des uvres souvent somptueuses dans leur ensemble tout en l’appelant, par sa thématique, à les regarder autrement. On regrette toutefois qu’avec une telle thématique, malgré la présence d’Ingrid Mwangi et une intéressante programmation parallèle (conférence, spectacles, contes), Parures de tête, un peu figée dans son antre, n’ait pas su créer une émulation en prise avec la réalité de la diaspora africaine notamment de Paris où se situe le musée un des hauts lieux de la coiffure africaine où se font et se défont, rattachées à leur histoire, les coiffures qui nous disent l’Afrique d’aujourd’hui et celle de demain.
1, 2, 3 Catalogue de l’exposition Parures de têtes, bilingue français-anglais, sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau et Iris Halmer, éditions Dapper, Paris, 2003, 45 .
4, 6. J.D Okhai Ojeikere, photographies, André Magnin, Actes Sud, Paris, 2000.
5. Youssouf Sogodogo : photographies : les cahiers de Gao, les tresses du Mali, la ferme de mon frère, texte d’Amadou Chab Touré, Ed. de l’Oeil, Montreuil, 2000. Voir aussi son exposition sur www.afriphoto.comExposition Parures de tête, Musée Dapper, 35, rue Paul Valery, Paris 16e, tél. 01 45 00 01 50, jusqu’au 11 juillet 2004.///Article N° : 3314