Ces imbéciles en costumes choisis vocifèrent
Des oreilles benoîtes les écoutent
Parfois on en rit.
Parfois on en pleure.
Et .cela dure.
Quand finit la rigolade
Tout le monde se lève, s’essuie les mains
Comme aux toilettes
Comme au théâtre
Je suis allé au théâtre comme on va à l’école ou à l’armée. J’y suis allé avec ce vu de m’armer et de pouvoir utiliser mon arme pour me défendre. Le théâtre est mon rêve d’homme. Le théâtre est, ni plus ni moins, un rêve humain. Les atmosphères, les personnages que j’ai créés comme comédien et metteur en scène, les pièces que j’ai lues, les ateliers que j’ai pu suivre et toutes les expériences de mise en scène que j’ai pu voir in vivo ou en photos ; toutes ces voies par lesquelles je continue de côtoyer cet art, m’ont toutes fait comprendre que le théâtre est vraiment un grand rêve humain. Celui de l’homme s’exhibant pour marquer son humanité.
Le théâtre n’est que pour moi cette affirmation de l’homme à l’homme ; à travers le jeu sans doute, sérieux ou ludique, le subterfuge du geste et de la parole ; avec des parures (décors, accessoires, autres.) mais c’est l’homme qui se cache sous ce fouillis d’artifices.
Perdu dans mon rêve d’un »théâtre humain » il n’était sans doute pas
question de se fier à une pratique donnée, celle en l’occurrence d’un théâtre à proprement parler »dominant », ou »académiquement acceptable ». Il a fallu pour faire que ce rêve prenne chair l’impliquer dans la réalité. Il n’y a pas plus réel que le théâtre. Une réalité certes éphémère. Une illusion, dit-on, qui ne dure que le temps de se fermer les yeux ou de quitter la salle. Mais, tout auteur, tout comédien, tout metteur en scène, tout créateur lumière vous diront que les fantômes de la scène les habitent à toutes les minutes de leurs vies, de leurs vies réelles. Tout est ordonné par un monde de l’imaginaire humain qui existe déjà et qu’on essaie juste à chaque création de re-concocter, dans l’exercice de ce métier même. Et ces éléments de fabrication (jeu, objets, parole.) servent à démonter la vie pour mieux la recréer. La changer.
Le théâtre ne peut jamais fuir la réalité. La réalité est comme un dieu omnipotent qui plane au-dessus de nos scènes. Le choix d’une pièce, d’une mise en scène donnée, dans une époque donnée, dans une réalité donnée part toujours de ce désir de partager avec une assistance, cette part de vie humaine. Et, c’est toujours et parce que le théâtre jure de son humanité. Parce que le théâtre, tout théâtre, prêche l’existence. Le théâtre Grec, le théâtre Elizabethain, le théâtre d’après-guerre, tous ces moments de génie du théâtre universel ont dû aborder ce côté existentiel, humain que le théâtre s’occupe toujours à mettre en évidence de tout temps.
En Haïti, où la réalité sociale, politique et humaine offrent souvent des spectacles surprenants et parfois même effroyablement dignes des drames de Shakespeare ; il était presque inévitable pour ma part de penser un théâtre pouvant servir de contrepoids face à cette réalité morbide.
C’est ce qui en 2001, nous a poussé à fonder le collectif NOUS THEATRE. Et pour marquer cette nouvelle naissance nous avons pris les rues, chacun avec sa mini-scène, dans des costumes noirs signifiant le deuil de ces pratiques qui nous rendaient esclaves des moyens et techniques adéquats. On a aussi distribué un prospectus ce jour-là. Un manifeste dans lequel nous définissions nos leitmotiv. Théâtre, par tous les moyens possibles. Théâtre en tout lieu, en tout temps, ancré dans la vie pour la changer. Un théâtre d’homme qui dénonce son mal-être, de l’homme qui exige de mieux exister. Un théâtre qui s’en fout de passer par les bancs d’essai tout en restant persuadé que l’art devra surgir des sueurs, mais qui s’implique, qui s’engage de fait dans la société, dans la ville, dans la cité, dans tout le pays.
Nous étions des citoyens comédiens et non des comédiens tout court. Des citoyens comédiens conscients de leur rôle attitré d’exhibitionnistes de la cité. Et là aussi, nous nous sommes heurtés à d’énormes difficultés. Nous voulions avoir à notre disposition un camion équipé pour sillonner ce pays qui souvent donne l’impression de n’être qu’une ville, la capitale Port-au-Prince mais nous avons été bloqués par les conditions de transport . Apporter à tous ce théâtre qui viendrait leur parler après bien sûr avoir écouté leurs plaintes et indignations devant leurs propres problèmes. Et, ensemble et partout dans le pays, faire circuler leur parole, la parole de tous de tous dans le pays et pas d’un groupe, dans un lieu donné. On n’a pas pu jusqu’à présent trouvé les moyens adéquats pour réaliser ce rêve là. Nous l’avons quand même poursuivi autrement. Nous avons pendant quatre ans joué partout où c’était possible et avec tous les moyens dont nous disposions ou pas : les rues, places, marchés, administrations publiques ; les écoles, universités, musées, centres culturels, salles de spectacle et aussi dans les cimetières chaque année le 2 novembre, jour de la fête des morts. Aborder le théâtre en tout lieu. Aller vers les gens dans leur quotidienneté au lieu que ce soit eux qui viennent vers nous, nous a permis de remplir ce rôle de citoyens comédiens, de réaliser notre rêve d’exhiber par nos gestes, par nos paroles, notre humanité. Tous les textes joués, ont été écrits en cette époque pour dénoncer le mal-être qui accablait la société. Dans une société pétrie de préjugés et d’injustice, exhiber la beauté du corps au lieu de le meurtrir. Et de l’accomplissement de tout cela s’est affirmée une esthétique propre à NOUS.
C’est en nous refusant l’accès à une salle de théâtre à l’italienne pour répéter (et par conséquent l’accès au théâtre) qu’un metteur en scène m’a forcé à penser à la nécessité de faire du théâtre autrement, en dehors des contraintes habituelles (salles, techniques et tout le tralala). A travers mes lectures, j’ai d’abord cherché à comprendre ce qu’est le théâtre en lui-même, son histoire et ses différentes formes dans les cinq coins du monde . Ces précieuses heures passées à la bibliothèque et non sur le plateau, ont bétonné la motivation qui allait guider l’homme de théâtre convaincu que j’allais devenir. En empruntant les mots de Malcolm X Théâtre : By any means necessary, je n’ai pas nécessairement trouvé réponses à toutes mes quetions.. Mais des expériences d’auteurs et de metteurs en scène ont attitré mon attention en Haïti. Frank Fouché (dramaturge, metteur en scène, et théoricien du théâtre vaudou) ; Frankétienne (dramaturge, comédien, romancier), Syto Cavé (dramaturge, poète, et metteur en scène) et Hervé Denis (directeur du théâtre national et metteur en scène ayant travaillé aux côtés de Jean-Marie Serreau en France). Ensuite, résolument tourné vers l’ailleurs, les étrangers qui, de leurs expériences ô combien enrichissantes, m’ont beaucoup intéressés ont d’abord été Meyerhold (théoricien du théâtre théâtral et de la biomécanique, acteur, metteur en scène russe qui osa se mettre en face de l’évangile Stanislavskienne, le naturalisme psychologique) ; Antonin Artaud (théoricien du théâtre de la cruauté) Tadeusz Kantor (metteur en scène et théoricien du théâtre de la mort) ; Grotowski (théoricien du théâtre de la pauvreté) Victor Garcia (metteur en scène), Peter Brook et Arianne Mnouchkine en plus des théâtres traditionnels orientaux tels que le nô, le kathakali, etc.
Ces expériences qui me faisaient rêver, me poussaient dans mon idée d’un théâtre possible autrement, tout cela m’a porté à en tenter une, la nôtre, à Port-au-Prince où j’ai été supporté par une bande de rêveurs comme moi.
En dehors de ce pendant purement artistique, l’expérience NOUS est née d’une envie de dire, d’affirmer nos jeunes existences dans cette jungle féroce où l’on est facilement livré à la drogue, à la délinquance et à la prostitution.
Le groupe s’est depuis scindé en plusieurs compagnies autonomes dont un collectif de femmes « TOTO B. » dirigée par Dieuvela Etienne membre fondatrice de NOUS, « Atelier du Vide » dirigée par Téchelet Nicolas et Edouard Baptiste, « Ayizan » de Nesly Georges autres membres fondateurs de notre compagnie .Tous travaillent pour la pérennité de ce rêve et j’espère que de leur audace naîtra une grande diversité dont le théâtre haïtien sera le digne bénéficiaire.
Au-delà de cette expérience réussie à certains égards et que je poursuis encore en explorant d’autres chantiers, différents, mais toujours avec la même motivation du début by any means – nous bénéficions depuis deux ans maintenant d’une subvention annuelle de Fokal, unique centre culturel de ce pays et par le Service Culturel de l’Ambassade de France) – je reste persuadé qu’il reste fort à faire pour qu’un théâtre humain puisse voir le jour. Je continue de travailler, d’écrire, de faire des mises en scène. Et en France ou en Belgique lors de mes tournées, j’ai pu constater les conditions difficiles dans lesquelles nos collègues travaillent eux-aussi. Nos conditions bien sûr sont de loin encore plus précaires mais le théâtre souffre partout d’un manque d’intérêt accablant. Et sa vieillesse le fait reléguer au rang d’art de seconde zone réservé à un public d’élite intellectuelle. Il faut changer tout ça, ouvrir les espaces. Qu’il n’y ait plus d’espaces élites pour un public d’élites. De festival d’élites pour des auteurs d’élites. Le T.N.P. devient le cauchemar Avignon IN. Quelle démence ! Il faut oser faire comme les Grecs, donner accès à cinq mille, dix mille spectateurs (soit dit en passant : les esclaves n’étaient même pas comptés) ; ou comme les russes penser pouvoir changer avec le théâtre et monter un spectacle avec mille, deux mille spectateurs et intégrer le théâtre comme haut fait de la vie sociale, de la vie d’une ville, de tout un pays. Mais tout ça, je le sais, est derrière nous. Notre siècle, notre temps est un temps de non-humanité. Et la place du théâtre dans un monde non-humain est indubitablement minime. Dans ce monde par trop bourré de moyens de communication et plein d’informations à ingurgiter sans s’interroger le théâtre n’a pas droit de cité. Ce monde où tout est censé être facilement communiqué mais où l’on ne parle pas. Et c’est bien ça le grand défaut du théâtre : c’est qu’il parle. C’est qu’il communique. Et qu’il suscite toujours en parlant des questions d’ordre existentiel.
C’est pour cela qu’on va au théâtre comme on va aux toilettes. On n’y va pas pour écouter. On n’y va pas pour se laisser interroger. On y va, on en sort en secouant la tête comme pour esquiver une mauvaise pensée. On y va, on en sort en s’essuyant les mains.
///Article N° : 4441