« Premier roman ? Premier récit, plutôt. Récit dont je gage cependant que les lecteurs (hormis les Congolais) le prendront pour un roman, alors qu’il s’agit bien d’un récit réel. » La question est d’Henri Lopès dans sa préface. Comment lire le texte d’Aimée Gnali ? Du point de vue de l’histoire, Beto na Beto relève de l’autobiographie. Il s’agit d’une histoire d’amour entre l’auteur et Lazare Matsocota , ancien Secrétaire général de la F.E.A.N.F (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Française), assassiné en 1965 au Congo-Brazzaville. Sur le plan de la conduite du récit, Beto na Beto est incontestablement un roman. Le livre s’ouvre par un jeu de prolepse à Paris et se poursuit au Congo. Une construction non-linéaire montrant combien Aimée Gnali maîtrise l’art de la narration. On sera particulièrement sensible à la belle langue de ce récit : un style dépouillé, allant droit à l’essentiel, sans sentimentalisme ni pathos. Quant au sens, Beto na Beto constitue une contribution à l’histoire des mentalités au Congo.
Le grand mérite d’Aimée Gnali est ainsi d’avoir, à partir d’une histoire sentimentale, réussi à nous raconter en une centaine de pages l’histoire politique du Congo post-colonial. Une histoire dont le tribalisme est la gangrène. Le titre du récit (est-ce un clin d’il à Biso na biso de Passi ?) est à cet égard édifiant : il signifie tout simplement « entre nous à huit clos », à l’abri de toute autre présence ethnique. Et comme si le titre ne suffisait pas, le sous-titre oriente avec force la lecture du livre.
En mettant l’accent sur le tribalisme, Aimée Gnali fait un pied de nez aux politologues congolais qui, malgré la présence des partis tribaux, malgré les nombreuses victimes des guerres ethniques, continuent à réfuter le poids de la tribu dans la gestion de la Cité. Or, le grand enseignement de Beto na beto, est précisément que le tribalisme, comme apanage de la passion, étouffe au Congo toute forme de raison. On voit ainsi un intellectuel de la trempe de Matsocota crouler malgré lui sous le poids de l’arrogance tribale.
Mais le livre de Gnali va au-delà du tribalisme. Sur le plan panafricain, il rend compte de l’échec politique d’une génération, celle de la F.E.A.N.F. Au niveau du Congo, Beto na Beto peut être lu comme une méditation sur l’histoire. Il nous montre bien que les violences politiques et militaires actuelles y ont une longue tradition. Puisant dans sa mémoire individuelle, Gnali nourrit à sa manière la mémoire nationale. Ce livre est un legs aux jeunes générations : il rend hommage à la mémoire de Matsocota tout en soulignant ses contradictions ; il donne une sépulture à Pouabou, décédé lui aussi en 1965. Mais plus encore, ce livre est un vibrant hommage à l’amitié, une amitié d’outre-tombe. Par sa sincérité, sa justesse de ton, son économie du discours, ce livre est l’un des plus beaux écrits sur le Congo contemporain.
Beto na Beto. Le poids de la tribu, Récit de Mambou Aimée Gnali, préface d’Henri Lopès, Gallimard, Continents noirs, 2001, 114 p., 79 FF.///Article N° : 1920