Pour la troisième année consécutive, plusieurs créateurs venus du Sénégal aux Comores se sont réunis autour de la styliste sénégalaise Adama Paris pour présenter leurs nouvelles créations devant le public de la Black Fashion Week de Paris. Compte-rendu.
Cela se passe à Paris. Une fin de semaine qui précède la Nuit Blanche, cette soirée où tous les Parisiens flânent dans les rues pour admirer des installations lumineuses à travers la ville. L’été indien a laissé place à un petit vent frais qui fouette les mollets et les visages des sans domiciles allongés sur les parvis des magasins de luxe du quartier Opéra.
Pour sa troisième édition, la Black Fashion Week initiée par la styliste sénégalaise Adama Paris se tenait du 3 au 4 octobre 2014 à Paris. A l’image de la Dakar Fashion Week, la Black Fashion Week de Montréal (Canada) et la Black Fashion Week de Prague (République Tchèque) – en attendant celle de Bahia au Brésil – qui ont su s’imposer dans le milieu international de la mode.
Pour trouver le lieu du défilé, pas besoin de GPS. Suivez la longue file d’attente de jolies filles bien sapées et perchées sur des stilettos : vous êtes arrivé. De notre côté, nous filons à l’entrée à la rencontre de Pamela Diop, attachée de presse, rayonnante dans une robe plissée citron-vert. A nos côtés, les journalistes Rokhaya Diallo, Anasthasie Tudieshe et la maître de conférences Maboula Soumahoro se frayent un passage jusqu’aux sièges VIP – le premier rang devant le podium. Là les rejoint François Durpaire, historien français spécialisé dans les questions d’éducation et de diversité culturelle.
Dans la salle du Pavillon Cambon Capucine du 1er arrondissement de Paris, les spectateurs (près de 600), rivalisent de beauté. Côté coiffure, on recense chez les femmes un mélange de tresses (succès pour les chignons banane tressés) , tissages, foulards, crânes rasés ou afro. Chez les hommes, la tendance est elle aussi aux tresses, locks, crânes rasés, chapeaux ou casquettes. Avec une attention particulière pour le rasage de près et les barbes taillées.
Devant le podium, une armée de photographes préparent le défilé. Être bien placé, avoir le meilleur angle, tel est l’objectif pour un événement où chaque styliste n’aura que quinze minutes pour présenter sa collection. Il faut avoir l’il aguerri et être réactif pour sortir le meilleur cliché, le sourire, l’envol d’un pan de vêtement ou tout simplement le salut à la file qu’un créateur ou un mannequin adressera à la foule. Dans ce contexte, toute intrusion dans le champ de vision des photographes est ponctué de véhémences. Tout comme l’ambiance tamisée du podium peut donner lieu à un cri de stentor » Lumière ! » en plein défilé.
Sur les deux écrans encadrant le podium défilent les logos des partenaires de l’événement : Adama Paris, le Café de Paris, MX Événement, Fashion Africa TV, Nollywood TV, Vox Africa, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)… Puis une voix s’élève des hauts-parleurs, invitant les spectateurs à regagner leurs fauteuils. Énumérant les stylistes invités (Adama Paris et Fagueye – Sénégal ; Hayati Chayehoi – Comores ; Nefer Couture – Togo/Bénin ;Tim Création – Côte d’Ivoire ; Palse et Fundudzi by Craig Jacob – Afrique du Sud), l’animatrice avertit le public qu' » à défaut d’obtention de visa, deux stylistes ne pourront pas présenter leurs collections « . A savoir les créateurs nigérians McMeka et Eijiro Amos Tafiri.
Avant de démarrer les défilés, l’animatrice présente le concept de l’émission de télé-réalité La Nouvelle Top initié au Sénégal par la chaîne Fashion Africa TV : quinze aspirantes mannequins africaines, réunies durant un mois sur une île paradisiaque, aspire à devenir » la nouvelle top » 2014. Deux candidates sénégalaises ont franchi toutes les étapes et se retrouvent sur le podium afin que l’une d’entre elle soit élue grâce à l’applaudimètre du public. Entre Aminata Faye et Feuza Diouf, 25 ans, la gagnante sera annoncée sur Fashion Africa TV.
Place aux défilés. Honneur à la maîtresse des lieux, Adama Ndiaye plus connue sous le nom d’Adama Paris, avec une collection Femme toute en légèreté composée de lignes horizontales noires et blanches et ornée de fleurs de couleurs brodées. Multipliant les propositions, Adama Paris décline sous diverses formes (robes longues ou courtes, bustier, manteau, short, bermuda, jupe et T-shirt) cette collection.
Vient le tour du sud-africain Paledi Segapo présentant sa collection Palse Homme qui a pour point commun, de faire porter des chaussures de randonnée à l’ensemble des mannequins. Aux T-shirt blancs près du corps et bermudas beiges ou gris, succèdent les complets veste-pantalon jouant sur les lignes et les pleins : fine rayures bleues et beiges en soie se déplacent tour à tour sur l’ensemble d’une veste, d’un pantalon ou simplement sur les manches et le dos d’une veste, d’un veston, ou l’ourlet d’un bermuda.
Arrive ensuite la styliste comorienne Hayati Chayehoi et sa collection déclinée en trois couleurs majeures : le bleu cobalt, le blanc et le turquoise à grosses fleurs blanches et jaunes. D’un mannequin à l’autre, les couleurs passent d’un gilet aux manches retroussées à un t-shirt col bateau, d’une robe longue moulante à un pantalon léger, se complétant avec intelligence, fraîcheur et rappels nuancés.
Créée par le styliste Timite Zeyne, la collection ivoirienne Tim Création suivante, est plus proche des ensembles top et jupes des tailleurs africains mais arbore une multitude de broderies et strass tout en subtilité. L’entrée sur scène d’élégants kimonos colorés (rose, gris, jaune, ocre et violet) sur des ensembles chemise-pantalon blancs fait son effet. Le public est séduit.
Cela est sans compter la présentation de la collection Homme de Nefer Couture du franco-togolais-béninois Daniel Tohou. Du bermuda-veste-canotier au complet pistache ou rouge bordeaux, le styliste fait un sans faute dans le domaine de la sape, suscitant même une standing ovation de la part des spectateurs séduits par la simplicité des coupes et le chic des propositions. Ajoutant à cela l’humour déployé par les mannequins (comme ces deux jumeaux se faisant face dans un magnifique jeu de miroir, ou les pipes sorties des poches à la fin du défilé), Daniel Tohou s’impose à la fois dans le style et la présentation-même de son défilé.
Malgré ce succès retentissant, le sud-africain Craig Jacobs ne recule pas et envoie la collection mixte de sa maison Fundundzi. Majoritairement composée de couleurs flashy entre bleu lapis-lazuli et mers du sud, cette collection joue sur les coupes et l’asymétrie, comme ces collerettes rouges ou bleues à pois blancs portées parfois sur un torse nu. Craig Jacobs porte une attention particulière au détail du haut transparent (ample pour les femmes, filet moulant pour les hommes), aux franges colorées au bas de robes courtes noires, en passant par les tissus croisés et les jupes amples.
Pour conclure cette session, la styliste sénégalaise Mame Fagueye Bâ envoie sa collection mixte Fagueye moins colorée mais très habillée. Ensembles manteau/long-pantalon, robes courtes ou longues, le jeu des textures est manié avec dextérité. Broderies, voiles, tulles, velours, les tenues offrent ici une épaule dénudée, là une jambe, un décolleté ou un torse nu sans jamais aguicher.
Pour sa troisième édition, la Black Fashion Week a montré une fois de plus qu’être créateur en Afrique ne signifie pas inventer des tenues pour un type de couleur de peau mais au contraire dépasser la question des origines pour transcender les genres et les propositions.
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