« Ce sont des artistes, tout simplement »

Entretien d'Ayoko Mensah avec Mathilde Monnier

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Née à Mulhouse et formée à la Post-Modern Dance chez Viola Farber, Mathilde Monnier s’est affirmée, dans les années 80, comme l’une des figures de proue de la danse contemporaine française. Suite au succès de sa pièce « Pour Antigone », en 1993, créée à Ouagadougou avec des danseurs burkinabés, les collaborations entre chorégraphes français et africains se sont multipliées. Depuis 1995, Mathilde Monnier dirige le centre chorégraphique national de Montpellier.

Pourquoi avez-vous décidé d’aller à la rencontre de danseurs africains ?
Il faut d’abord vous dire que cette expérience autour d’Antigone* avec des artistes africains a maintenant déjà 9 ans. A l’époque, je pense que j’étais dans une crise artistique et une remise en question de mon travail. J’ai souhaité utiliser ce moment de fragilité pour rencontrer d’autres artistes qui m’ont permis de penser mon travail différemment. Depuis des années, j’étais intriguée par la danse africaine que je connaissais mal et je souhaitais en savoir plus. Je voulais aussi la faire reconnaître comme un art majeur en soi plutôt que comme un folklore comme on la présente trop souvent. Et je me suis aperçu que la danse africaine avait beaucoup de liens avec la danse contemporaine.
Qu’est-ce que cette rencontre, notamment pour votre création Pour Antigone, vous a apporté ?
La rencontre autour d’Antigone a été fondamentale dans mon travail. Cela a tellement changé de choses que je ne sais par où commencer… Mais d’une manière générale, cette pièce a vraiment déclenché pour moi une manière nouvelle de travailler. Auparavant, je pense que j’étais dans des copies et des fascinations. La rencontre avec des artistes étrangers m’a obligé à inventer de nouvelles techniques de travail et m’a projeté dans un réel inconnu.
Vous avez animé plusieurs stages de formation en Afrique, notamment au Burkina Faso. Que cherchiez-vous à transmettre aux danseurs ?
Pour rencontrer des danseurs, j’ai effectivement donné des stages dans plusieurs pays africains. J’ai surtout essayé de transmettre des bases de mouvement qui pouvaient me sembler communes ou reconnaissables avec des techniques de danse africaine, sauf que les chemins pour y arriver étaient différents. Je ne souhaitais pas enseigner un style mais plutôt transmettre des outils de travail corporels qui pourraient servir à chacun.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé chez ces danseurs ?
La grande adaptabilité qu’ils possèdent et leur profonde curiosité qui facilite l’échange.
Depuis 1993, vous avez engagé Salia Sanou et Seydou Boro dans votre compagnie. Que lui ont-ils apporté ?
Très vite, Salia et Seydou se sont révélés plein de talent et d’idées. Je les ai senti dans une disponibilité rare tout en étant très conscients de la richesse de leur art. Ils ont rapidement mesuré qu’une partie de leur responsabilité serait aussi de faire vivre cet art dans leur pays et pas seulement en Europe. Nous avons beaucoup dialogué là-dessus, et réfléchi ensemble sur les modalités possibles de transmission de la danse contemporaine africaine.
Leur expressivité est-elle différente de celle des danseurs occidentaux ?
Je pense que l’expressivité de chacun diffère et c’est ce que je recherche. Je n’aime pas dire que la leur est différente des autres car déjà entre eux ils ne se ressemblent pas. Mais il est sûr que la culture de chacun marque l’expressivité et se porte à tous les endroits du corps.
Aujourd’hui, les collaborations entre chorégraphes occidentaux et africains se multiplient. Que pensez-vous de ces échanges et de l’influence, en général, des premiers sur les seconds ?
Je suis heureuse de voir d’autres rencontres se faire. Je pense qu’ils n’y en a pas assez et que ces échanges sont importants.
Les grands festivals de danse européens ouvrent de plus en plus leurs programmations aux créations africaines. Cela répond-il, selon vous, à un nouveau besoin d’exotisme du Nord ?
Sans doute, les grands festivals récupèrent un peu tout et profitent des phénomènes de mode de la danse. Mais en même temps, cela ouvre des réflexions de tous les côtés. Il est important que des artistes africains se fasse connaître internationalement.
Que peuvent apporter, à votre avis, les chorégraphes africains au monde de la danse contemporaine ?
Ce n’est pas à moi à répondre à cette question, c’est aux artistes africains. Eux seuls savent ce qu’ils ont à défendre et à apporter.
L’expression « danse africaine » est-elle pour vous synonyme d’un ghetto dans lequel on cherche à enfermer les chorégraphes du continent ? Quelle terminologie préférez-vous éventuellement employer ?
Oui, je pense que cela peut être un danger de cataloguer cette danse comme « danse africaine ». Je préfère toujours parler à partir du nom même de certains artistes car tous ont une démarche différente, de même qu’entre les différents pays des tendances sont en train de se dessiner, qui doivent être reconnues internationalement mais aussi dans leur pays ce qui est parfois plus difficile. Pour moi ce sont des artistes chorégraphiques tout simplement.

* Pour Antigone, pièce créée en 1993 avec plusieurs interprètes burkinabés. Dans cette création, Mathilde Monnier questionne les fondements universels du mythe en opérant des transversales entre les cultures occidentales et africaines.///Article N° : 16

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